Conseil d’Etat, 12 décembre 2008, n° 296982, Ministre de l’éducation nationale c/ M. H.

Si les fonctionnaires et agents des collectivités publiques ne sont pas pécuniairement responsables envers ces collectivités des conséquences dommageables de leurs fautes de service, il ne saurait en être ainsi lorsque le préjudice qu’ils ont causé à ces collectivités est imputable à des fautes personnelles détachables de l’exercice de leurs fonctions ; que la circonstance que le préjudice n’ait pas été établi par une décision juridictionnelle condamnant la collectivité mais corresponde à la réparation accordée par la collectivité publique à la victime de la faute personnelle de l’agent dans le cadre d’un règlement amiable formalisé par une transaction conclue entre la collectivité et la victime ou ses ayants droit ne fait pas, par elle-même, obstacle à la possibilité pour la collectivité de se retourner contre l’agent à raison de la faute personnelle commise par celui-ci.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 296982

MINISTRE DE L’EDUCATION NATIONALE
c/ M. H.

M. Xavier Domino
Rapporteur

M. Emmanuel Glaser
Commissaire du gouvernement

Séance du 12 novembre 2008
Lecture du 12 décembre 2008

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 3ème et 8ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 3ème sous-section de la section du contentieux

Vu l’ordonnance du 28 août 2006 par laquelle le président de la cour administrative d’appel de Nancy a transmis au Conseil d’Etat, en application de l’article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi par lequel le MINISTRE DE L’EDUCATION NATIONALE demande l’annulation du jugement du 1er mars 2005 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a annulé le titre de perception émis le 25 février 2002 par le recteur de l’académie de Strasbourg à l’encontre de M. Bernard H. pour le recouvrement de la somme de 7 622 euros ;

Vu le pourvoi, enregistré le 31 août 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, et le mémoire, enregistré le 21 septembre 2006, présentés par le MINISTRE DE L’EDUCATION NATIONALE ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l’éducation ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Xavier Domino, Auditeur,

- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. H.,

- les conclusions de M. Emmanuel Glaser, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. H., qui enseignait alors dans une école primaire publique, a été condamné pour des faits de violence commis sur des élèves à une peine d’emprisonnement avec sursis par un jugement du 28 juin 2001 du tribunal correctionnel de Saverne ; que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a jugé que M. H. était fondé à demander l’annulation du titre exécutoire de 7 622 euros émis à son encontre par l’Etat le 25 février 2002, au motif que ce titre, représentant le montant de l’indemnité allouée par le préfet du Bas-Rhin aux parents de deux enfants victimes de violences en vertu d’une transaction passée par le recteur, était dépourvu de base légale dès lors qu’il ne faisait pas suite à une condamnation de l’Etat et que l’Etat n’avait aucune obligation de faire droit à la demande de transaction présentée par les ayants droit des victimes ;

Considérant que, si les fonctionnaires et agents des collectivités publiques ne sont pas pécuniairement responsables envers ces collectivités des conséquences dommageables de leurs fautes de service, il ne saurait en être ainsi lorsque le préjudice qu’ils ont causé à ces collectivités est imputable à des fautes personnelles détachables de l’exercice de leurs fonctions ; que la circonstance que le préjudice n’ait pas été établi par une décision juridictionnelle condamnant la collectivité mais corresponde à la réparation accordée par la collectivité publique à la victime de la faute personnelle de l’agent dans le cadre d’un règlement amiable formalisé par une transaction conclue entre la collectivité et la victime ou ses ayants droit ne fait pas, par elle-même, obstacle à la possibilité pour la collectivité de se retourner contre l’agent à raison de la faute personnelle commise par celui-ci ; que, dès lors, en statuant comme il l’a fait, sans rechercher s’il existait un préjudice dont la réparation incombait à l’Etat et qui pouvait être imputé en tout ou en partie à une faute personnelle de M. H., le tribunal administratif a commis une erreur de droit ;

Considérant que le ministre de l’éducation nationale est fondé pour ce motif à demander l’annulation du jugement attaqué ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, par application de l’article L. 821-1 du code de justice administrative, de régler l’affaire au fond ;

Considérant que la responsabilité de l’Etat est engagée, en vertu des dispositions de l’article L. 911-4 du code de l’éducation, à raison de faits dommageables commis par un instituteur dans l’exercice de ses fonctions ; qu’il incombait à l’Etat de réparer le préjudice subi par les victimes du fait des agissements de M. H., alors même que la constatation de ce préjudice et son évaluation ne résultaient pas d’une décision juridictionnelle ; qu’il suit de là que l’Etat était en droit d’engager à l’encontre de l’enseignant une action récursoire à la condition que les faits dommageables fussent imputables à une faute personnelle détachable du service ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier, notamment des constatations faites par le tribunal correctionnel, que M. H. a exercé, pendant une période de deux ans, des violences consistant notamment en gifles et coups, sur une quinzaine d’enfants de l’école primaire où il travaillait ; que ces agissements sont d’une gravité suffisante pour caractériser, bien qu’ils soient intervenus dans le service, une faute personnelle détachable de l’exercice par l’enseignant de ses fonctions ; que si des rapports d’inspection font état d’un climat de confiance régnant dans la classe de M. H. ainsi que des qualités manifestées par celui-ci dans ses fonctions tant d’enseignant que de directeur d’école, ces circonstances ne sont pas de nature à retirer aux faits leur gravité ;

Considérant que le requérant ne justifie pas d’une faute de service de l’administration qui serait de nature à faire disparaître ou à atténuer la responsabilité qui lui incombe dans les faits dont s’agit ;

Considérant qu’indépendamment du montant des indemnités que l’Etat a allouées aux ayants droit des victimes dans le cadre de la transaction qu’il a conclue avec eux, il appartient au juge administratif de déterminer le montant du préjudice dont la réparation peut être demandée au fonctionnaire auteur des dommages que l’Etat a dû réparer ; qu’en l’espèce, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l’évaluant à 3 000 euros ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que M. H. n’est fondé à demander l’annulation du titre attaqué qu’en tant qu’il met à sa charge une somme supérieure à 3 000 euros ;

Considérant que, les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de l’Etat au titre des frais exposés par M. Hamman et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du 1er mars 2005 du tribunal administratif de Strasbourg est annulé.

Article 2 : Le titre exécutoire en date du 25 février 2002 est annulé seulement en tant qu’il met à la charge de M. H. le paiement d’une somme excédant 3 000 euros.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la demande de M. H. devant le tribunal administratif et ses conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE L’EDUCATION NATIONALE et à M. Bernard H..

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