Conseil d’Etat, 19 novembre 2008, n° 297382, Jean-Charles W.

Les servitudes relatives à l’utilisation du sol ne peuvent être prescrites que par des dispositions réglementaires et que les représentations graphiques du plan d’occupation des sols qui accompagnent ces dispositions ne peuvent par elles-mêmes créer de telles prescriptions.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 297382

M. W.

Mme Agnès Daussun
Rapporteur

M. François Séners
Commissaire du gouvernement

Séance du 15 octobre 2008
Lecture du 19 novembre 2008

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 3ème et 8ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 3ème sous-section de la section du contentieux

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 13 septembre et 11 décembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Jean-Charles W. ; M. W. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt du 1er juin 2006 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté sa requête tendant à l’annulation du jugement du 4 janvier 2005 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du 9 décembre 1999 par laquelle le maire de Cavalaire-sur-Mer (Var) a refusé de lui délivrer un permis de construire ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Cavalaire-sur-Mer la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l’urbanisme, notamment ses articles L. 130-1 et L. 315-8 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Agnès Daussun, Conseiller d’Etat,

- les observations de la SCP Monod, Colin, avocat de M. W. et de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la commune de Cavalaire-sur-Mer,

- les conclusions de M. François Séners, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 130-1 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction applicable au litige : " Les plans d’occupation des sols peuvent classer comme espaces boisés les bois, forêts, parcs à conserver, à protéger ou à créer, qu’ils soient soumis ou non au régime forestier, enclos ou non, attenant ou non à des habitations. Le classement interdit tout changement d’affectation ou tout mode d’occupation du sol de nature à compromettre la conservation, la protection ou la création des boisements (.) " ; qu’aux termes de l’article R. 123-18 de ce même code : " Les documents graphiques doivent faire apparaître les zones urbaines et les zones naturelles. Ces zones à l’intérieur desquelles s’appliquent les règles prévues à l’article R.123-21 et, s’il y a lieu, les coefficients d’occupation des sols définis à l’article R. 123-22 sont : 1- les zones urbaines. 2- les zones naturelles, équipées ou non, dans lesquelles les règles et coefficients mentionnés ci-dessus, peuvent exprimer l’interdiction de construire. Ces zones naturelles comprennent en tant que de besoin : (.) b) les zones dites zones NB desservies partiellement par des équipements qu’il n’est pas prévu de renforcer et dans lesquelles des constructions ont déjà été édifiées (.) 3 - Ces zones urbaines ou naturelles comprennent, le cas échéant : a) les espaces boisés classés à conserver ou à créer (.)" ; qu’aux termes de l’article R. 123-21 du même code : "Le règlement fixe les règles applicables aux terrains compris dans les diverses zones du territoire couvert par le plan. 1°/ A cette fin, il doit : a) déterminer l’affectation dominante des sols par zones selon les catégories prévues à l’article R. 123-18 en précisant l’usage principal qui peut en être fait et, s’il y a lieu, la nature des activités qui peuvent y être interdites ou soumises à des conditions particulières, telles que (.) les défrichements, coupes et abattages ainsi que les divers modes d’occupation du sol qui font l’objet d’une réglementation " ;

Considérant qu’il résulte des dispositions précitées que les servitudes relatives à l’utilisation du sol ne peuvent être prescrites que par des dispositions réglementaires et que les représentations graphiques du plan d’occupation des sols qui accompagnent ces dispositions ne peuvent par elles-mêmes créer de telles prescriptions ;

Considérant dès lors qu’en se fondant, pour rejeter la requête d’appel de M. W., sur ce que, s’il résulte des dispositions précitées du code de l’urbanisme que la création d’un espace boisé classé est subordonnée à un classement en tant que tel dans les documents graphiques d’un plan d’occupation des sols, aucune disposition législative ou réglementaire ne subordonne, en outre, cette création à l’existence de prescriptions spécifiques aux espaces boisés classés dans le règlement dudit plan d’occupation des sols, la cour administrative d’appel de Marseille a commis une erreur de droit ;

Considérant que M. W. est donc fondé à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, par application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de juger l’affaire au fond ;

Sans qu’il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la demande de M. W. devant le tribunal administratif de Nice ;

Considérant qu’aux termes du paragraphe 3.3 du règlement du plan d’occupation des sols applicable à la zone NB du plan d’occupation des sols de la commune de Cavalaire-sur-Mer, définie comme une " zone naturelle desservie partiellement par des équipements publics qu’il n’est pas prévu de renforcer mais où une urbanisation de faible densité peut être admise " : " dans les espaces boisés classés figurant au plan, les coupes et abattages d’arbres sont soumis à autorisation hormis le cas d’enlèvement des arbres dangereux. " ; qu’ainsi le règlement du plan d’occupation des sols prévoit, en édictant les prescriptions mentionnées ci-dessus, le classement en espaces boisés classés des parcelles figurant comme telles au document graphique auxquelles il se réfère ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le terrain sur lequel M. W. a sollicité un permis de construire est situé dans la zone NB précitée du plan d’occupation des sols de la commune de Cavalaire-sur-Mer, et figure par ailleurs au plan comme espace boisé classé ; qu’il est situé dans une partie boisée de la commune et s’inscrit dans le prolongement d’une zone naturelle à protéger et grevée dans son ensemble d’une servitude d’espace boisé classé en application de l’article L. 146.6 du code de l’urbanisme ; que, dès lors, et bien que ce terrain soit situé dans un lotissement, son classement en espace boisé classé n’est pas entaché d’une erreur manifeste d’appréciation ;

Considérant, par ailleurs, qu’aux termes de l’article L. 315-8 du code de l’urbanisme dans sa rédaction applicable à la décision en litige : " Dans les cinq ans à compter de l’achèvement d’un lotissement, constaté dans les conditions prévues par décret en Conseil d’Etat, le permis de construire ne peut être refusé ou assorti de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d’urbanisme intervenues postérieurement à l’autorisation du lotissement " ; qu’en application de l’article R. 315-36 du même code, le certificat constatant que les travaux exécutés en application des prescriptions de l’arrêté d’autorisation ont été achevés est délivré par l’autorité compétente sur papier libre, sans frais et en double exemplaire, à la demande du bénéficiaire de l’autorisation et dans le délai maximum d’un mois à compter de sa requête et concerne selon le cas tout ou partie des travaux autorisés ; mention de ce certificat ou de son obtention tacite devant par ailleurs figurer dans l’acte portant mutation ;

Considérant qu’il résulte des dispositions précitées que la date de signature du certificat d’achèvement des travaux de lotissement par l’autorité compétente, qui doit être regardée comme étant celle de sa délivrance au bénéficiaire de l’autorisation, a pour effet de déclencher le délai à l’issue duquel les dispositions d’urbanisme intervenues postérieurement à l’autorisation du lotissement deviennent opposables au bénéficiaire de cette autorisation et aux propriétaires ou locataires des lots ; que, si l’absence de mesures de publicité, d’ailleurs non prévues par la réglementation, a pour effet de permettre aux tiers intéressés de contester la légalité de ce certificat sans condition de délai, elle est par elle-même sans incidence sur les effets de la délivrance de ce certificat ;

Considérant qu’il n’est pas contesté que le certificat d’achèvement des travaux du lotissement où se situe le terrain de M. W. a été délivré le 11 mai 1990 ; que M. W. n’en conteste pas la légalité ; qu’à la date du 9 décembre 1999 à laquelle le maire de Cavalaire-sur-Mer lui a refusé le permis de construire qu’il sollicitait, le délai de cinq ans prévu à l’article L. 315-8 du code de l’urbanisme était expiré ; que, dès lors, les dispositions du plan d’occupation des sols de la commune de Cavalaire-sur-Mer approuvé le 5 juin 1998 étaient applicables à l’instruction de la demande de permis de construire présentée par M. W. ;

Considérant enfin que, le terrain de M. W. étant situé en espace boisé classé, les dispositions de l’article L. 130-1 du code de l’urbanisme y sont applicables ; que, si cet article n’interdit pas toute construction, il prohibe tout changement d’affectation ou tout mode d’occupation du sol de nature à compromettre la conservation, la protection ou la création des boisements ; qu’il ressort des pièces du dossier que, compte tenu de sa situation, le projet de construction de M. W. compromet la conservation des boisements situés sur son terrain ; que, par suite le maire de Cavalaire-sur-Mer pouvait légalement lui refuser le permis de construire par application de ces dispositions ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. W. n’est pas fondé à demander l’annulation du jugement du 4 janvier 2005 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande dirigée contre la décision du 9 décembre 1999 par laquelle le maire de Cavalaire-sur-Mer lui a refusé ce permis de construire ; que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à sa charge la somme que demande la commune en application desdites dispositions ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt du 1er juin 2006 de la cour administrative d’appel de Marseille est annulé.

Article 2 : La requête d’appel de M. W. devant cette cour ensemble les conclusions de M. W. devant le Conseil d’Etat tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions de la commune de Cavalaire-sur-Mer tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Jean-Charles W. et à la commune de Cavalaire-sur-Mer.

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