l’abandon de créance consenti par une entreprise au profit d’un tiers ne relève pas en règle générale d’une gestion commerciale normale, sauf s’il apparaît qu’en consentant un tel avantage, l’entreprise a agi dans son propre intérêt
CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 291041
SOCIETE AUTEUIL INVESTISSEMENT
Mme Anne Egerszegi
Rapporteur
M. François Séners
Commissaire du gouvernement
Séance du 15 octobre 2008
Lecture du 19 novembre 2008
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 3ème et 8ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 3ème sous-section de la section du contentieux
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 mars et 3 juillet 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SOCIETE AUTEUIL INVESTISSEMENT, dont le siège est 14 rue Avaulée à Malakoff (92240) ; la SOCIETE AUTEUIL INVESTISSEMENT demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 23 décembre 2005 par lequel la cour administrative d’appel de Versailles a rejeté sa requête tendant à l’annulation du jugement du 4 décembre 2003 du tribunal administratif de Versailles qui a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et de contribution de 10 % auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 1996 et 1997 ;
2°) réglant l’affaire au fond, de lui accorder la décharge des impositions litigieuses ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d’exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de Mme Anne Egerszegi, Maître des Requêtes,
les observations de la SCP Richard, avocat de la SOCIETE AUTEUIL INVESTISSEMENT,
les conclusions de M. François Séners, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’à la suite de la vérification, portant sur la période du 1er août 1994 au 31 juillet 1997, de la comptabilité de la SOCIETE AUTEUIL INVESTISSEMENT, créée le 26 juin 1991 par M. Michel Soppelsa pour exercer l’activité d’achat et de revente d’immeubles, l’administration fiscale a réintégré dans les résultats imposables de la société le montant des intérêts abandonnés sur la créance détenue sur M. Robert ainsi qu’une partie des honoraires versés à l’entreprise Gimsa ; que la SOCIETE AUTEUIL INVESTISSEMENT se pourvoit en cassation contre l’arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles du 23 décembre 2005 qui, confirmant le jugement du 4 décembre 2003 du tribunal administratif de Versailles, a rejeté sa requête tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et de contribution de 10 % auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 1996 et 1997 ;
Sur la réintégration des charges correspondant à une partie des honoraires versés à l’entreprise Gimsa :
Considérant qu’aux termes du 1 de l’article 39 du code général des impôts : "Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (.) notamment : 1° Les frais généraux de toute nature (.). Toutefois, les rémunérations ne sont admises en déduction des résultats que dans la mesure où elles correspondent à un travail effectif et ne sont pas excessives eu égard au travail rendu (.)" ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, le 5 avril 1994, la SOCIETE AUTEUIL INVESTISSEMENT et l’entreprise individuelle Gimsa de M. Soppelsa, ont signé une convention de gestion aux termes de laquelle la société confiait à l’entreprise individuelle, contre une facturation annuelle d’honoraires, le suivi et la gestion administrative des chantiers de sa filiale, la SARL Le Logis Idéal, ainsi que le suivi et la gestion complète de ses futures acquisitions immobilières, sans que ladite convention ne comporte aucune clause fixant ou permettant de fixer la rémunération des services rendus ;que les factures établies par l’entreprise Gimsa ont représenté 60 % du chiffre d’affaires réalisé par la SOCIETE AUTEUIL INVESTISSEMENT pour l’exercice 1996 et 18 % de ce même chiffre d’affaires pour 1997 ; que l’administration a estimé cette rémunération excessive au regard de celles qui sont habituellement pratiquées par les professionnels de l’immobilier ;
Considérant, d’une part, que la cour, qui a répondu au moyen de la société requérante tiré de ce que les interventions de son prestataire ne se limitaient pas aux seules prestations de gestion locative et de commercialisation d’immeuble, a suffisamment motivé sa décision en relevant que l’administration avait apporté la preuve du caractère excessif des charges déduites au titre des rémunérations versées à l’entreprise Gimsa en se référant aux usages de la profession et en retenant un taux de rémunération de 6 % à partir d’une comparaison des honoraires pratiqués par des sociétés intervenant dans le domaine de l’administration, la gestion ou la commercialisation d’immeubles ; que, d’autre part, la cour, pour juger que seules les prestations achevées pouvaient donner lieu à rémunération, s’est fondée sur la convention de gestion passée entre la SOCIETE AUTEUIL INVESTISSEMENT et l’entreprise Gimsa et non sur les dispositions de la loi du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d’exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce ; que, par suite, le moyen tiré de ce qu’elle aurait commis une erreur de droit en appliquant ces dispositions, ne peut qu’être écarté ;
Considérant que la société requérante n’est dès lors pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque en tant qu’il a rejeté ses conclusions relatives à la décharge des suppléments d’impositions correspondant à la réintégration dans ses résultats des charges correspondant à une partie des honoraires versés à l’entreprise Gimsa ;
Sur l’abandon des intérêts sur la créance détenue sur M. Robert :
Considérant que l’abandon de créance consenti par une entreprise au profit d’un tiers ne relève pas en règle générale d’une gestion commerciale normale, sauf s’il apparaît qu’en consentant un tel avantage, l’entreprise a agi dans son propre intérêt ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, le 31 juillet 1994, la SOCIETE AUTEUIL INVESTISSEMENT a rétrocédé à M. Robert la totalité des parts sociales de la SA Réviron qu’elle avait acquises un an plus tôt de cette même personne ; que, compte tenu des difficultés de trésorerie de M. Robert, qui ne pouvait s’acquitter de ce montant, la société a accepté un paiement différé sans intérêts financiers en contrepartie d’une garantie hypothécaire sur un immeuble appartenant au débiteur ; que l’administration, qui a admis le caractère normal de l’opération d’achat puis de revente de ces parts sociales, a regardé l’abandon des intérêts comme un acte anormal de gestion ;
Considérant que la cour, pour juger que la SOCIETE AUTEUIL INVESTISSEMENT n’avait aucun intérêt à abandonner les intérêts sur la créance qu’elle détenait sur M. Robert, s’est fondée uniquement sur l’absence de relations commerciales entre la société et la SA Réviron et sur le montant du rachat des titres en cause, inférieur de moitié à leur valeur d’acquisition un an plus tôt, et a estimé que les difficultés de trésorerie de M. Robert constituait une circonstance étrangère à l’opération d’acquisition et de revente des titres, alors que la société faisait valoir que, dans la conjoncture défavorable affectant le secteur de l’immobilier durant les années en cause, M. Robert était le seul acquéreur possible des parts qu’elle détenait dans la SA Reviron, que le patrimoine immobilier de sa filiale, la SARL Le Logis Idéal, était entièrement géré par la société Réviron, qui exerçait l’activité d’administrateur de biens, et qu’il était de son propre intérêt de garantir le recouvrement de sa créance en obtenant de son débiteur une inscription hypothécaire sur des immeubles situés à Paris en contrepartie de sa renonciation aux intérêts auxquels elle aurait pu prétendre ; que la cour administrative d’appel de Versailles a ainsi inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis pour en déduire à tort que l’administration apportait la preuve que la renonciation aux intérêts était constitutive d’un acte anormal de gestion ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la société requérante est seulement fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque en tant qu’il a rejeté ses conclusions relatives à la décharge des suppléments d’imposition correspondant à la réintégration dans ses résultats des intérêts auxquels elle avait renoncé ;
Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative de régler, dans les limites de l’annulation prononcée, l’affaire au fond ;
Considérant qu’ainsi qu’il a été dit, l’abandon des intérêts sur le prêt consenti à M. Robert constituait, dans le cadre d’un arrangement global entre la SOCIETE AUTEUIL INVESTISSEMENT, qui ne souhaitait pas conserver ses parts dans la société Reviron en raison de la mauvaise situation financière de celle-ci et M. Robert, seul acquéreur déclaré, une des conditions de réalisation de l’opération, le paiement de la créance étant par ailleurs garanti par une inscription hypothécaire ; que, dans les conditions particulières de l’espèce, la société requérante établit qu’il était de son intérêt d’agir de la sorte et est, par suite, fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à la réduction des suppléments d’impôt sur les sociétés et de contribution de 10% auxquels elle a été assujettie en raison de cet abandon de créance au titre des exercices clos en 1996 et 1997 ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la SOCIETE AUTEUIL INVESTISSEMENT et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles du 23 décembre 2005 est annulé en tant qu’il a rejeté les conclusions de la requête de la SOCIETE AUTEUIL INVESTISSEMENT tendant à la décharge des suppléments d’impôt sur les sociétés et de contribution de 10 % ainsi que des pénalités correspondantes résultant de la réintégration dans les résultats imposables des exercices clos en 1996 et 1997 du montant des intérêts non réclamés sur la créance détenue sur M. Robert.
Article 2 : La SOCIETE AUTEUIL INVESTISSEMENT est déchargée de la part des suppléments d’impôt sur les sociétés et de contribution de 10 % ainsi que des pénalités correspondantes afférant aux intérêts non réclamés.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Versailles du 4 décembre 2003 est réformé en ce qu’il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : L’Etat versera à la SOCIETE AUTEUIL INVESTISSEMENT la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions présentées par la SOCIETE AUTEUIL INVESTISSEMENT devant le Conseil d’Etat et la cour administrative d’appel de Versailles est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE AUTEUIL INVESTISSEMENT et au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique.
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Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article3239