Conseil d’Etat, 27 octobre 2008, n° 296339, Société ARCELOR-France

L’autorité compétente, saisie d’une demande tendant à l’abrogation d’un règlement illégal, est tenue d’y déférer, soit que ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l’illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 296339

SOCIETE ARCELOR-FRANCE

Mme Laure Bédier
Rapporteur

Mlle Anne Courrèges
Commissaire du gouvernement

Séance du 29 septembre 2008
Lecture du 27 octobre 2008

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 1ère et 6ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 1ère sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 9 août et 11 décembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SOCIETE ARCELOR-FRANCE, dont le siège est 1 à 5, rue Cherubini à La Plaine Saint-Denis (93200) ; la SOCIETE ARCELOR-FRANCE demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 12 juin 2006 par laquelle le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille a rejeté sa demande tendant à la modification du tableau n° 30 B des maladies professionnelles ou bien à l’édiction des mesures spéciales d’application prévues par l’article L. 461-7 du code de la sécurité sociale, ainsi que la décision du 28 juillet 2006 du ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement et les décisions implicites du Premier ministre, du ministre de la santé et de la solidarité et du ministre délégué à l’emploi rejetant cette même demande ;

2°) d’enjoindre à l’administration de réunir les instances compétentes et de prendre toutes dispositions nécessaires pour procéder, dans un délai inférieur à huit mois, à la révision du tableau n° 30 B en ce qui concerne les plaques pleurales et les épaississements pleuraux ;

3°) subsidiairement, d’annuler le refus de l’administration d’exercer les pouvoirs qu’elle tient de l’article L. 461-7 pour prévoir des dispositions spéciales de prise en charge des " plaques pleurales " et " épaississements pleuraux " ;

4°) d’enjoindre à l’administration de produire les avis de la commission spécialisée du conseil supérieur de la prévention des risques professionnels ;

5°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 10 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 29 septembre 2008, présentée pour la SOCIETE ARCELOR-FRANCE ;

Vu le code du travail ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le décret n° 85-630 du 19 juin 1985 ;

Vu le décret n° 96-445 du 22 mai 1996 ;

Vu le décret n° 2000-343 du 14 avril 2000 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Laure Bédier, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la SOCIETE ARCELOR-FRANCE,

- les conclusions de Mlle Anne Courrèges, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que, par lettre du 11 mai 2006, la SOCIETE ARCELOR-FRANCE a saisi le Premier ministre et plusieurs ministres d’une demande tendant à l’abrogation ou à la modification du tableau n° 30 B des maladies professionnelles annexé au code de la sécurité sociale, relatif aux lésions pleurales bénignes consécutives à l’inhalation de poussières d’amiante et, subsidiairement, à l’édiction de dispositions spéciales d’application concernant les plaques pleurales, par la mise en œuvre de la procédure prévue par l’article L. 461-7 de ce code ; que cette société demande l’annulation des décisions du 12 juin 2006 du ministre de la santé et des solidarités et du 28 juillet 2006 du ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement refusant de faire droit à cette demande, ensemble les refus implicitement opposés par les autres destinataires de sa lettre du 11 mai 2006 ;

Sur les conclusions relatives à la modification du tableau n° 30 B des maladies professionnelles annexé au code de la sécurité sociale :

Considérant que l’autorité compétente, saisie d’une demande tendant à l’abrogation d’un règlement illégal, est tenue d’y déférer, soit que ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l’illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date ;

Considérant, en premier lieu, que si l’article L. 461-2 du code de la sécurité sociale prévoit que les tableaux relatifs aux maladies professionnelles annexés à ce code sont révisés et complétés par des décrets pris après avis du conseil supérieur de la prévention des risques professionnels, il ne précise pas les modalités de cette consultation ; que les articles R. 231-14 et suivants du code du travail, dans leur rédaction alors en vigueur, qui définissent les règles d’organisation et de fonctionnement du conseil supérieur de la prévention des risques professionnels, n’imposent la consultation de la formation plénière de ce conseil ou de sa commission permanente qu’en ce qui concerne les projets de loi intéressant la prévention des risques professionnels et les projets de décret pris en application des titres III et IV du livre II du code du travail, au nombre desquels ne figurent pas les projets de décret créant, révisant ou complétant les tableaux relatifs aux maladies professionnelles ; qu’en application de l’article L. 231-3 du code du travail, selon lequel la composition et les règles de fonctionnement du conseil supérieur de la prévention des risques professionnels ainsi que les attributions de ce conseil autres que celles qu’il mentionne lui-même sont déterminées par décret en Conseil d’Etat, les articles R. 231-18, R. 231-21, R. 231-22 et R. 231-24 du code du travail ont prévu la constitution, par arrêté, de commissions spécialisées et fixé le cadre général de leurs attributions, de leur composition et de leur fonctionnement ; que, sur ce fondement, le ministre du travail a pu légalement, par arrêté du 3 octobre 1984, créer au sein du conseil supérieur de prévention des risques professionnels une commission spécialisée en matière de maladies professionnelles et préciser que c’est cette formation du conseil supérieur qui est consultée sur les projets de décrets pris en application de l’article L. 461-2 du code de la sécurité sociale ; qu’ainsi, la société requérante n’est pas fondée à soutenir que les décrets qui ont créé et modifié le tableau n° 30 B des maladies professionnelles, notamment le décret n° 2000-343 du 14 avril 2000, ont été pris au terme d’une procédure irrégulière au motif qu’ils ont été soumis à la commission spécialisée en matière de maladies professionnelles du conseil supérieur de la prévention des risques professionnels et non à la formation plénière de ce conseil ou à sa commission permanente ;

Considérant, en second lieu, qu’aux termes de l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale : " (.) Est présumée d’origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau (.) " ; que, selon l’article L. 461-2 du même code : " Des tableaux annexés aux décrets énumèrent les manifestations morbides d’intoxications aiguës ou chroniques présentées par les travailleurs exposés d’une façon habituelle à l’action des agents nocifs mentionnés par lesdits tableaux, qui donnent, à titre indicatif, la liste des principaux travaux comportant la manipulation ou l’emploi de ces agents. Ces manifestations morbides sont présumées d’origine professionnelle " ; que, dans sa rédaction actuelle, issue d’un décret n° 2000-343 du 14 avril 2000 pris sur la base notamment du rapport établi en 1998 par deux experts, après consultation de la commission spécialisée du conseil supérieur de la prévention des risques professionnels et de la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles de la caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés, le tableau n° 30 B des maladies professionnelles permet la prise en charge comme maladie professionnelle liée à l’exposition à l’amiante, dans un délai de quarante ans après l’exposition, des plaques pleurales calcifiées ou non, unilatérales ou bilatérales, dès lors qu’elles sont confirmées par un examen au scanner ; qu’il ressort des pièces du dossier qu’un débat s’est ouvert, postérieurement à l’adoption du décret du 14 avril 2000 au sein de la communauté scientifique et médicale sur la question de savoir si, telles que caractérisées par le tableau n° 30 B, et compte tenu des progrès des méthodes de dépistage, les plaques pleurales peuvent être présumées imputables à l’exposition à l’amiante, si elles constituent ou non une pathologie évolutive et si elles entraînent un préjudice fonctionnel ; que ce débat a conduit les ministres compétents à saisir en février 2007 la société de pneumologie de langue française afin d’examiner ces différents points au vu des dernières données scientifiques connues, en vue le cas échéant de l’organisation d’une " conférence de consensus " ; que, toutefois, s’il appartient au pouvoir réglementaire d’actualiser, le cas échéant dans un sens restrictif, en fonction de l’évolution des connaissances scientifiques et des méthodes médicales et après avis des instances compétentes, les tableaux des maladies professionnelles, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’à la date des décisions attaquées, en l’état des connaissances, et compte tenu des difficultés inhérentes à ce type de détermination, le Premier ministre et les ministres compétents aient fait une inexacte application des dispositions des articles L. 461-1 et L. 461-2 du code de la sécurité sociale en refusant de faire droit à la demande de la société requérante tendant à l’abrogation ou à la modification du tableau n° 30 B des maladies professionnelles en ce qui concerne les plaques pleurales ;

Sur les conclusions tendant à titre subsidiaire à la mise en œuvre de la procédure prévue par l’article L. 461-7 du code de la sécurité sociale :

Considérant que l’article L. 461-7 du code de la sécurité sociale dispose que : " Des décrets peuvent prévoir des dispositions spéciales d’application du présent livre à certaines maladies professionnelles " ; que, pour les raisons indiquées ci-dessus, le Premier ministre et les ministres compétents n’ont pas méconnu les dispositions de cet article ni entaché leur appréciation d’erreur manifeste en n’usant pas de leur faculté de prendre des dispositions spéciales encadrant les conditions de prise en charge comme maladie professionnelle des lésions pleurales bénignes liées à l’exposition à l’amiante ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin d’examiner la fin de non-recevoir opposée par le ministre de la santé et des solidarités, la requête de la SOCIETE ARCELOR-FRANCE doit être rejetée ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d’injonction et ses demandes présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SOCIETE ARCELOR-FRANCE est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE ARCELOR-FRANCE, au Premier ministre, au ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité et à la ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative.

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