Conseil d’Etat, 24 octobre 2008, n° 299893, Société le Nickel-SLN

Les dommages résultant du fait de l’abstention de l’autorité administrative compétente de prendre les mesures nécessaires pour rétablir l’ordre ne peuvent, lorsque cette abstention n’est pas fautive, engager la responsabilité de cette autorité que si cette abstention a été directement à l’origine d’un dommage anormal et spécial.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 299893

SOCIETE LE NICKEL-SLN

M. Damien Botteghi
Rapporteur

M. Jean-Philippe Thiellay
Commissaire du gouvernement

Séance du 15 septembre 2008
Lecture du 24 octobre 2008

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 5ème et 4ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 5ème sous-section de la section du contentieux

Vu le pourvoi et le mémoire complémentaire, enregistrés les 19 décembre 2006 et 19 mars 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SOCIETE LE NICKEL-SLN, dont le siège est 2, rue Desjardins BP E5 à Nouméa Cedex (98848) ; la SOCIETE LE NICKEL-SLN demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt du 20 septembre 2006 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a rejeté sa requête tendant à l’annulation du jugement du 24 mars 2005 du tribunal administratif de Nouméa rejetant sa demande de condamnation de l’Etat à lui verser une indemnité de 188 399 000 F CFP en réparation des dommages qu’elle a subis du fait d’une rupture d’approvisionnement en énergie électrique en août 2003 ;

2°) réglant l’affaire au fond, de condamner l’Etat à lui payer une somme de 188 399 000 F CFP en réparation du préjudice subi ;

3°) à mettre à la charge de l’Etat une somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Damien Botteghi, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Didier, Pinet, avocat de la SOCIETE LE NICKEL-SLN,

- les conclusions de M. Jean-Philippe Thiellay, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société requérante exploite une usine métallurgique en Nouvelle-Calédonie située à Doniambo, sur la commune de Nouméa ; qu’un des pylônes de la ligne électrique alimentée à partir d’une centrale propriété de la société ENERCAL qui fournit de manière prépondérante l’usine de la requérante en énergie, a été, le 26 août 2003, détruit à la suite d’affrontements entre les communautés mélanésienne et wallisienne sur le territoire de la tribu de Saint-Louis ; qu’ainsi privée d’approvisionnement pendant 28 jours, la société requérante a dû, pour alimenter ses fours, faire appel à d’autres sources d’approvisionnement en électricité ainsi que réduire sa production de nickel ; qu’elle a recherché la responsabilité de l’Etat à raison de ces surcoûts d’exploitation qu’elle impute aux refus des autorités de police d’intervenir pour assurer la sécurité d’accès au pylône des techniciens de la société ENERCAL, sur le fondement, d’une part, de la rupture de l’égalité devant les charges publiques et, d’autre part, de l’article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales ; que la cour administrative d’appel de Paris a, par arrêt du 20 septembre 2006 contre lequel la SOCIETE LE NICKEL-SLN se pourvoit en cassation, rejeté ces conclusions indemnitaires ;

Sur la régularité de l’arrêt :

Considérant que la société requérante soutient que la cour a méconnu le principe du contradictoire et les dispositions de l’article L. 5 du code de justice administrative en ne lui laissant pas un délai suffisant pour répliquer au mémoire du ministre de l’intérieur communiqué le 1er septembre 2006, alors que l’instruction a été close le 3 septembre et que l’audience s’est tenue le 6 septembre ; que, toutefois, ce mémoire, qui se bornait à produire l’arrêt du 12 juin 2006 par lequel la cour administrative d’appel de Paris avait statué sur l’appel de la société requérante dirigé contre un jugement du 4 septembre 2003 du tribunal administratif de Nouméa ne contenait aucun élément de fait ou de droit nouveau ; que dans ces conditions, la société requérante n’est pas fondée à soutenir que l’arrêt du 20 septembre 2006 serait intervenu au terme d’une procédure irrégulière ;

Sur le bien-fondé de l’arrêt :

Considérant que les dommages résultant du fait de l’abstention de l’autorité administrative compétente de prendre les mesures nécessaires pour rétablir l’ordre ne peuvent, lorsque cette abstention n’est pas fautive, engager la responsabilité de cette autorité que si cette abstention a été directement à l’origine d’un dommage anormal et spécial ;

Considérant que la cour, pour rejeter les conclusions indemnitaires de la SOCIETE LE NICKEL-SLN, a jugé que si les préjudices qu’elle invoquait étaient en lien direct avec l’abstention des autorités de police de permettre un accès sécurisé à la parcelle, située sur le territoire de la tribu de Saint-Louis, où se trouvait le poteau électrique détruit, il n’était cependant pas établi qu’ils présentaient un caractère de gravité tel qu’ils puissent justifier l’engagement de la responsabilité de l’Etat sur le terrain de la rupture de l’égalité devant les charges publiques, alors même que d’autres incidents se seraient déjà produits ; qu’il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond, d’une part, que l’activité de la société n’a pas été interrompue pendant la période considérée, d’autre part que l’aléa lié aux affrontements communautaires était connu de la société requérante lors de son installation dans cette zone et enfin que cette dernière n’a apporté aucun élément de nature à établir que les pertes de production ou les coûts supplémentaires qu’elle a supportés aient été, au regard notamment de son chiffre d’affaires, anormaux ; que, par suite, la cour administrative d’appel de Paris n’a pas commis d’erreur de qualification juridique en estimant que le préjudice ne présentait pas une gravité suffisante pour être indemnisé ;

Considérant qu’aux termes de l’article 92 de la loi du 7 janvier 1983, rendu applicable en Nouvelle-Calédonie par l’article 27-II de la loi n° 86-29 du 9 janvier 1986 : " l’Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens " ; qu’en écartant l’application de ces dispositions au motif que les circonstances de la destruction du pylône n’étaient pas connues et que celle-ci ne pouvait par suite être imputée à un attroupement ou à un rassemblement, la cour a porté sur les faits de l’espèce une appréciation souveraine exempte de dénaturation et n’a pas commis d’erreur de droit ; qu’elle n’a pas davantage entaché sa décision de contradiction de motifs en jugeant que si la destruction du pylône était liée à des affrontements tribaux, qui avaient duré plusieurs mois, il n’était pas établi qu’elle soit imputable à un rassemblement ou à un attroupement ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le pourvoi de la SOCIETE LE NICKEL-SLN doit être rejeté ; que les conclusions de cette dernière présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent l’être par voie de conséquence ;

D E C I D E :

Article 1er : Le pourvoi de la SOCIETE LE NICKEL-SLN est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE LE NICKEL-SLN et à la ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales.

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Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article3159