Conseil d’Etat, 8 août 2008, n° 290051, Société Bleu Azur

La personne responsable du marché dispose d’un délai de trois mois pour répondre à la réclamation de l’entrepreneur.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 290051

SOCIETE BLEU AZUR

Mme Agnès Fontana
Rapporteur

M. Bertrand Dacosta
Commissaire du gouvernement

Séance du 25 juin 2008
Lecture du 8 août 2008

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 7ème et 2ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 7ème sous-section de la Section du contentieux

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 9 février 2006 et 10 mai 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la société à responsabilité limitée BLEU AZUR, dont le siège est 25 boulevard de la liberté à Le Perreux-sur-Marne (94170) ; la SOCIETE BLEU AZUR demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt du 8 décembre 2005 par lequel la cour administrative d’appel de Versailles a rejeté sa requête tendant à l’annulation du jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 7 mai 2002 rejetant sa demande de condamnation de l’office public interdépartemental d’habitation à loyer modéré de l’Essonne, du Val d’Oise et des Yvelines à lui verser la somme de 349 485, 72 euros ;

2°) de mettre la somme de 3 500 euros à la charge de l’office public interdépartemental d’habitation à loyer modéré de l’Essonne, du Val d’Oise et des Yvelines au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le décret N° 76-87 du 21 janvier 1976 approuvant le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de travaux, ensemble ledit cahier des charges ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Agnès Fontana, chargée des fonctions de Maître des Requêtes,

- les observations Me Bertrand, avocat de la SOCIETE BLEU AZUR et de la SCP Peignot, Garreau, avocat de l’office public interdépartementale d’habitation a loyer modéré,

- les conclusions de M. Bertrand Dacosta, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SOCIETE BLEU AZUR a conclu avec l’office public interdépartemental d’habitation à loyer modéré de l’Essonne, du Val d’Oise et des Yvelines (OPIEVOY) un contrat portant sur le lot n° 6 (menuiseries intérieures en bois) d’un marché public relatif à la réhabilitation et la création de logements ainsi qu’à l’aménagement des halls d’immeuble dans la cité de Fauvettes, à Neuilly-sur-Marne, dont l’acte d’engagement a été signé par la société le 13 mars 1995 ; que la durée contractuelle d’exécution des travaux, initialement fixée à un an, a été prolongée jusqu’au 20 octobre 1997 par un avenant signé le 5 juin 1997 ; que les opérations de réception se sont échelonnées entre le 29 juin 1996 et le 28 juillet 1997, la réception des travaux ayant été prononcée le 30 octobre 1997 ; que la SOCIETE BLEU AZUR a adressé son projet de décompte final au maître d’œuvre et au maître d’ouvrage le 9 mars 1999 ; qu’elle a ensuite mis en demeure l’office de lui notifier le décompte général par un courrier reçu le 1er juin 1999 ; que l’entreprise a enfin saisi le tribunal administratif, par demande enregistrée le 12 juillet 1999, de conclusions tendant, d’une part, au versement du solde du marché, d’autre part, à l’indemnisation des préjudices qu’elle estime avoir subis au cours de l’exécution du marché, à savoir un allongement excessif de la durée du chantier, la modification des prestations demandées par le maître d’ouvrage, l’obligation dans laquelle elle s’est trouvée d’exécuter des travaux supplémentaires et hors marché, des moins-values, des actes de vandalisme, le versement d’un droit proportionnel au représentant des créanciers dans le cadre d’une procédure de redressement judiciaire au cours de laquelle l’office avait présenté des créances au titre des pénalités de retard, représentant un montant total de 349 485, 75 euros assorti d’intérêts moratoires et compensatoires ; qu’au cours de l’instruction, le maître d’ouvrage a présenté un décompte général, qui a été refusé par l’entreprise par un mémoire de réclamation transmis le 20 août 1999 ;

Considérant que par jugement du 7 mai 2002, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté la demande comme irrecevable, au motif qu’elle avait été présentée prématurément par l’entreprise, sans que cette irrecevabilité puisse être régularisée par le dépôt d’un mémoire de réclamation en cours de procédure ; que par l’arrêt attaqué du 8 décembre 2005, contre lequel la SOCIETE BLEU AZUR se pourvoit régulièrement en cassation, la cour administrative d’appel de Versailles a confirmé ce jugement ;

Sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens du pourvoi :

Considérant en premier lieu que le paragraphe 50.22 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés de travaux fait obligation à l’entrepreneur, en cas de litige avec la personne responsable du marché de lui adresser un mémoire de réclamation ; qu’en l’espèce, confrontée à l’absence de notification d’un décompte général par le maître de l’ouvrage, la SOCIETE BLEU AZUR s’était acquittée de cette obligation en mettant le maître de l’ouvrage en demeure d’en établir un ; que cette mise en demeure doit être regardée comme un mémoire de réclamation au sens de l’article 50.22 ;

Considérant en second lieu que l’article 50.31 du même cahier dispose : " si, dans un délai de trois mois à partir de la date de réception, par la personne responsable du marché, de la lettre ou du mémoire de l’entrepreneur mentionné aux 21 et 22 du présent article, aucune décision n’a été notifiée à l’entrepreneur ou si celui-ci n’accepte pas la décision qui lui a été notifiée, l’entrepreneur peut saisir le tribunal administratif territorialement compétent. " ; qu’il résulte de ces dispositions que la personne responsable du marché dispose d’un délai de trois mois pour répondre à la réclamation de l’entrepreneur ; que cependant, la présentation d’une demande au tribunal administratif avant l’expiration du délai de trois mois n’a pas pour effet de rendre la demande irrecevable, lorsqu’une décision de rejet, née le cas échéant de la prolongation du silence de la personne responsable du marché, fait obstacle au jour du jugement à ce qu’une fin de non-recevoir tirée du caractère prématuré de cette demande soit opposée au requérant ;

Considérant en revanche que dans l’hypothèse où un décompte général est notifié à l’entreprise avant l’expiration du délai de trois mois prévu par l’article 50.31 du CCAG, l’intervention de ce décompte général rend sans objet la saisine du tribunal administratif ; que dans l’hypothèse où la personne responsable du marché entend notifier un décompte général après l’expiration du délai susmentionné, ce document ne peut être regardé comme un décompte général au sens des dispositions du cahier des clauses administratives générales en sorte que le litige conserve son objet et qu’il y a lieu pour le juge de le trancher ;

Considérant qu’en l’espèce, la SOCIETE BLEU AZUR a adressé à l’OPIEVOY une mise en demeure dont l’office a accusé réception le 1er juin 1999 ; que l’entreprise a ensuite saisi le tribunal administratif d’une demande enregistrée le 12 juillet ; que l’OPIEVOY lui a par la suite notifié un document reçu par l’entreprise le 23 juillet 1999, soit moins de trois mois après la mise en demeure adressée à l’office par la SOCIETE BLEU AZUR ; qu’eu égard à sa forme et à son contenu, ce document doit être regardé comme un décompte général ;

Considérant qu’il résulte de ce qu’il précède qu’en jugeant irrecevable la demande présentée par la SOCIETE BLEU AZUR devant le tribunal administratif, alors qu’elle aurait dû la regarder comme ayant perdu son objet au motif qu’un décompte général lui avait été notifié moins de trois mois après la mise en demeure reçue par l’OPIEVOY le 1er juin 1999, la cour administrative d’appel de Versailles a commis une erreur de droit et ce alors même que la société avait formé dès le 20 août 1999 une réclamation contre ce décompte général, réclamation dont le rejet a donné naissance à un autre litige ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu d’annuler l’arrêt du 8 décembre 2005 de la cour administrative d’appel de Versailles ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat, s’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut " régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie " ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au fond ;

Considérant qu’en rejetant pour irrecevabilité la demande qui lui était soumise, au motif qu’une procédure précontentieuse était en cours, sans prendre en considération la circonstance que l’intervention d’un décompte général avant l’expiration du délai de trois mois prévu à l’article 50.31 du cahier des clauses administratives générales privait le litige de son objet, le tribunal administratif de Cergy Pontoise a commis une erreur de droit ; qu’il y a lieu d’annuler, pour ce motif, son jugement du 7 mai 2002 ;

Considérant que la SOCIETE BLEU AZUR demandait au tribunal administratif de condamner l’OPIEVOY à lui verser la somme de 349 485, 75 euros assortie d’intérêts moratoires et compensatoires au titre du solde du marché et en réparation des différents préjudices subis au cours de l’exécution de celui-ci ; qu’ainsi qu’il a été dit, la seule circonstance que cette demande a été présentée moins de trois mois après la mise en demeure dont l’OPIEVOY a accusé réception le 1er juin 1999 ne rend pas la demande irrecevable ; qu’en revanche, l’intervention d’un décompte général dont l’entreprise a reçu notification le 23 juillet 1999 prive le litige de son objet en sorte qu’il n’y a plus lieu d’y statuer ;

Sur les conclusions aux fins d’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions susmentionnées font obstacle à ce que la somme de 6 000 euros soit mise à la charge de la SOCIETE BLEU AZUR, qui n’est pas, dans la présente affaire, la partie perdante ; qu’il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de l’office public interdépartemental d’habitation a loyer modéré de l’Essonne, du Val d’Oise et des Yvelines une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la SOCIETE BLEU AZUR et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles en date du 8 décembre 2005 est annulé.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise en date du 7 mai 2002 est annulé.

Article 3 : Il n’y a pas lieu de statuer sur la demande présentée par la SOCIETE BLEU AZUR devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise.

Article 4 : L’office public interdépartemental d’habitation à loyer modéré de l’Essonne, du Val d’Oise et des Yvelines versera à la SOCIETE BLEU AZUR une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société à responsabilité limitée BLEU AZUR et à l’office public interdépartemental d’habitation à loyer modéré de l’Essonne, du Val d’Oise et des Yvelines.

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