Conseil d’Etat, 25 juillet 2008, n° 313710, Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (ANAFE) et Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI)

L’obligation de disposer d’un visa de transit aéroportuaire répond à des nécessités d’ordre public tenant à éviter, à l’occasion d’une escale ou d’un changement d’avion, le détournement du transit aux seules fins d’entrée en France et ne porte par elle-même aucune atteinte au droit d’asile.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N°s 313710, 313713

ASSOCIATION NATIONALE D’ASSISTANCE AUX FRONTIERES POUR LES ETRANGERS (ANAFE)
GROUPE D’INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES (GISTI)

M. Jérôme Marchand-Arvier
Rapporteur

M. Frédéric Lenica
Commissaire du gouvernement

Séance du 11 juillet 2008
Lecture du 25 juillet 2008

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 2ème et 7ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 2ème sous-section de la Section du contentieux

Vu 1°/, sous le n° 313710, la requête, enregistrée le 26 février 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par l’ASSOCIATION NATIONALE D’ASSISTANCE AUX FRONTIERES POUR LES ETRANGERS (ANAFE), désignée mandataire unique, domiciliée au 21 ter, rue Voltaire à Paris (75011) et le GROUPE D’INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES (GISTI), dont le siège est 3, villa Marcès à Paris (75011) ; l’ASSOCIATION NATIONALE D’ASSISTANCE AUX FRONTIERES POUR LES ETRANGERS (ANAFE) et le GROUPE D’INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES (GISTI) demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêté du 15 janvier 2008 du ministre des affaires étrangères et européennes et du ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du codéveloppement fixant la liste des Etats dont les ressortissants sont soumis au visa consulaire de transit aéroportuaire et les exceptions à cette obligation ;

2°) d’enjoindre au Premier ministre, dans l’hypothèse de l’incompétence des signataires de l’arrêté contesté, de prendre un nouvel arrêté instaurant une liste d’Etats tiers dont les ressortissants sont soumis au visa consulaire de transit aéroportuaire qui ne contiendrait aucune disposition contraire au droit d’asile ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 000 euros par association requérante en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu 2°/, sous le n° 313713, la requête, enregistrée le 26 février 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par l’ASSOCIATION NATIONALE D’ASSISTANCE AUX FRONTIERES POUR LES ETRANGERS (ANAFE), désignée mandataire unique, domiciliée au 21 ter, rue Voltaire à Paris (75011) et le GROUPE D’INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES (GISTI), dont le siège est 3, villa Marcès à Paris (75011) ; l’ASSOCIATION NATIONALE D’ASSISTANCE AUX FRONTIERES POUR LES ETRANGERS (ANAFE), et le GROUPE D’INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES (GISTI) demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêté du 1er février 2008 du ministre des affaires étrangères et européennes et du ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du codéveloppement fixant la liste des Etats dont les ressortissants sont soumis au visa consulaire de transit aéroportuaire et les exceptions à cette obligation en tant qu’il ajoute à l’article 3 de l’arrêté du 15 janvier 2008 après " Mali ", " les Russes provenant d’un aéroport situé en Ukraine, Biélorussie, Moldavie, Turquie ou Egypte " ;

2°) d’enjoindre au Premier ministre, dans l’hypothèse de l’incompétence des signataires de l’arrêté contesté, de prendre un nouvel arrêté instaurant une liste d’Etats tiers dont les ressortissants sont soumis au visa consulaire de transit aéroportuaire qui ne contiendrait pas de disposition contraire au droit d’asile et aux principes d’égalité de traitement et de non-discrimination ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 000 euros par association requérante en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule et l’article 53-1 ;

Vu la convention de Chicago du 7 décembre 1944 sur l’aviation civile internationale ;

Vu la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;

Vu le traité sur l’Union européenne ;

Vu le règlement (CE) du Conseil n° 1683/95 du 29 mai 1995 ;

Vu l’action commune 96/197/JAI du 4 mars 1996, adoptée par le Conseil, en application de l’article K. 3 du traité sur l’Union européenne, relative au régime de transit aéroportuaire ;

Vu le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

Vu l’arrêté du 10 avril 1984 modifié relatif aux conditions d’entrée des étrangers sur le territoire métropolitain et dans les départements d’outre-mer français ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jérôme Marchand-Arvier, Auditeur,

- les conclusions de M. Frédéric Lenica, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que les requêtes de l’ASSOCIATION NATIONALE D’ASSISTANCE AUX FRONTIERES POUR LES ETRANGERS et du GROUPE D’INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES présentent à juger des questions semblables ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur la requête n° 313710 :

Considérant qu’aux termes de l’article L. 211-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : " Pour entrer en France, tout étranger doit être muni : / 1° Des documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur (.) " ; qu’aux termes du premier alinéa de l’article R. 211-1 du même code dans sa rédaction alors applicable : " Un arrêté pris conjointement par le ministre de l’intérieur et le ministre des affaires étrangères détermine la nature des documents prévus au 1° de l’article L. 211-1 sous le couvert desquels les étrangers sont admis à franchir la frontière " ; qu’aux termes de l’article 1er de l’arrêté du 10 avril 1984 modifié relatif aux conditions d’entrée des étrangers sur le territoire métropolitain et dans les départements d’outre-mer français : " Pour être admis à pénétrer sur le territoire métropolitain (.) tout étranger doit être muni d’un passeport (.) en cours de validité et revêtu d’un visa français " et qu’aux termes de son article 3 : " Sont (.) dispensés du visa les étrangers : (.) / 2° Transitant par le territoire français en empruntant exclusivement la voie aérienne, sous réserve qu’ils ne sortent pas des limites de l’aéroport durant les escales, à l’exception des ressortissants des Etats qui sont soumis au visa (consulaire) de transit aéroportuaire. La liste des Etats dont les ressortissants sont soumis au visa (consulaire) de transit aéroportuaire est arrêtée par le ministre de l’intérieur et le ministre des affaires étrangères " ;

Considérant qu’en vertu des habilitations prévues par les articles L. 211-1 et R. 211-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, et conformément aux dispositions précitées de l’article 3 de l’arrêté du 10 avril 1984 modifié, le ministre des affaires étrangères et le ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du codéveloppement étaient compétents pour établir, par les arrêtés attaqués, une liste d’Etats aux ressortissants desquels l’obligation de visa de transit aéroportuaire est imposée ;

Considérant qu’il ressort notamment des dispositions de l’action commune du 4 mars 1996 relative au régime du transit aéroportuaire, prise sur le fondement de l’article K. 3 du traité sur l’Union européenne, aux termes desquelles les Etats membres de l’Union européenne peuvent, sous réserve d’en informer les autres Etats, imposer aux ressortissants d’autres Etats que les douze pays mentionnés sur une liste annexée aux instructions consulaires communes, l’exigence de disposer d’un visa de transit aéroportuaire, délivré par les autorités consulaires, pour les ressortissants de ces Etats qui transitent, à l’occasion d’une escale ou d’un transfert entre deux tronçons d’un vol international, par la zone internationale d’un aéroport situé sur le territoire national, en particulier afin de vérifier l’absence de risque en matière de sécurité ou d’immigration irrégulière ; que l’obligation de disposer d’un visa de transit aéroportuaire répond à des nécessités d’ordre public tenant à éviter, à l’occasion d’une escale ou d’un changement d’avion, le détournement du transit aux seules fins d’entrée en France et ne porte par elle-même aucune atteinte au droit d’asile ;

Considérant que, si l’arrêté attaqué a pour effet de soumettre à l’obligation d’un visa de transit aéroportuaire les ressortissants de certains Etats, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’en fixant la liste de ces Etats, les auteurs de l’arrêté attaqué aient entaché leur décision d’une erreur manifeste d’appréciation au regard de l’objectif d’ordre public poursuivi dès lors que la liste des Etats visés a été établie en fonction des potentialités de détournement du transit ;

Considérant que le détournement de pouvoir allégué n’est pas établi ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que l’ASSOCIATION NATIONALE D’ASSISTANCE AUX FRONTIERES POUR LES ETRANGERS et le GROUPE D’INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES ne sont pas fondés à demander l’annulation de l’arrêté du 15 janvier 2008 ; que, par voie de conséquence, leurs conclusions aux fins d’injonction et d’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées ;

Sur la requête n° 313713 :

Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête ;

Considérant qu’il ressort des dispositions précitées de l’article 3 de l’arrêté du 10 avril 1984 modifié qu’un visa de transit aéroportuaire peut être exigé pour les ressortissants des Etats mentionnés sur une liste définie par arrêté ; que l’arrêté du 1er février 2008 instaure un visa de transit aéroportuaire non pour les ressortissants d’un pays déterminé mais pour ceux provenant de certains aéroports ; que, par suite, en ajoutant au critère de la nationalité des personnes visées un critère relatif à l’aéroport de provenance, l’arrêté du 1er février 2008 est entaché d’illégalité ; que les requérants sont, dès lors, fondés à demander son annulation ;

Sur les conclusions aux fins d’injonction :

Considérant qu’aux termes de l’article L. 911-1 du code justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution " ;

Considérant que la présente décision n’annule pas l’arrêté du 1er février 2008 sur le fondement de l’incompétence de ses auteurs ; que, par suite, et en tout état de cause, il n’y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées aux fins d’injonction ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat le versement à chacune des associations requérantes de la somme de 1 000 euros qu’elles demandent au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêté du 1er février 2008 du ministre des affaires étrangères et du ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du codéveloppement est annulé.

Article 2 : L’Etat versera la somme de 1 000 euros à l’ASSOCIATION NATIONALE D’ASSISTANCE AUX FRONTIERES POUR LES ETRANGERS et de 1 000 euros au GROUPE D’INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La requête n° 313710 et le surplus des conclusions de la requête n° 313713 de l’ASSOCIATION NATIONALE D’ASSISTANCE AUX FRONTIERES POUR LES ETRANGERS et du GROUPE D’INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES sont rejetés.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à l’ASSOCIATION NATIONALE D’ASSISTANCE AUX FRONTIERES POUR LES ETRANGERS, au GROUPE D’INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES, au ministre des affaires étrangères et européennes et au ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire.

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