Conseil d’Etat, 18 juillet 2008, n° 291602, Société nationale des chemins de fer français

Il résulte de la décision de la décision du 23 septembre 2005 que l’utilisation du réseau public de transport d’électricité est facturée aux consommateurs d’électricité par point de raccordement au réseau. La formule tarifaire comprend une part fixe proportionnelle à la puissance souscrite et une part variable en fonction du nombre de kilowattheures prélevés. La formule est construite de telle sorte que le prix unitaire du kilowattheure transporté est inversement proportionnel au volume total d’énergie prélevé et directement proportionnel à la puissance souscrite.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 291602

SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANÇAIS

M. Jean Courtial
Rapporteur

M. François Séners
Commissaire du gouvernement

Séance du 2 juillet 2008
Lecture du 18 juillet 2008

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 3ème et 8ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 3ème sous-section de la section du contentieux

Vu, la requête, enregistrée le 21 mars 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANCAIS (SNCF) dont le siège social est situé 34, rue du Commandant Mouchotte à Paris (75699) ; la SNCF demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler les décisions par lesquelles le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie et le ministre délégué à l’industrie ont implicitement rejeté sa demande tendant à ce que ces ministres complètent leur décision du 23 septembre 2005 approuvant les tarifs d’utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d’électricité par un dispositif corrigeant la discrimination tarifaire subie par le chemin de fer ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la directive 2003/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2003 concernant les règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 96/92/CE ;

Vu le code de commerce ;

Vu la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 ;

Vu le décret n° 2001-365 du 26 avril 2001 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean Courtial, Conseiller d’Etat,

- les conclusions de M. François Séners, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que, par une décision conjointe du 23 septembre 2005, les ministres chargés de l’économie et de l’énergie ont, sur proposition motivée de la Commission de régulation de l’énergie, approuvé les tarifs d’utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d’électricité figurant en annexe de leur décision ; que la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANÇAIS (SNCF) demande l’annulation des décisions par lesquelles le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie et le ministre délégué à l’industrie ont implicitement rejeté ses demandes tendant à ce qu’ils complètent leur décision à caractère réglementaire du 23 septembre 2005 par un dispositif particulier permettant de supprimer le caractère discriminatoire à l’égard du chemin de fer, selon elle, de la répartition des coûts entre les consommateurs d’électricité utilisateurs du réseau public de transport d’électricité, résultant du régime tarifaire qu’elle institue ;

Sur la recevabilité de la requête :

Considérant que le signataire de la requête a reçu un mandat exprès de la SNCF de la représenter dans la présente instance ; que la requête n’a donc pas été déposée en méconnaissance des dispositions de l’article R. 432-1 du code de justice administrative ;

Sur la participation à l’instance de la Commission de régulation de l’énergie :

Considérant que la décision du 23 septembre 2005 a été prise sur proposition motivée de la Commission de régulation de l’énergie ; que celle-ci a été appelée en cause par le Conseil d’Etat ; que la SNCF n’est pas fondée à discuter la présence de cette autorité administrative dans l’instance ;

Sur la légalité des décisions implicites de rejet attaquées :

Considérant que, selon la SNCF, eu égard aux particularités des prélèvements d’électricité par les trains, l’application aux opérateurs ferroviaires du tarif institué par la décision du 23 septembre 2005 leur ferait supporter un coût d’utilisation du réseau de transport d’électricité manifestement supérieur à celui supporté par les autres utilisateurs du réseau ; que, dans cette mesure, la décision du 23 septembre 2005 méconnaîtrait le droit de la concurrence et ne respecterait pas l’obligation de répartition des coûts de manière non discriminatoire entre les utilisateurs ; qu’il en résulterait que les décisions rejetant implicitement ses demandes tendant à compléter le tarif par des dispositions tenant compte des particularités des prélèvements d’électricité par les trains seraient entachées d’illégalité ;

Considérant qu’aux termes du II de l’article 4 de la loi du 11 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité, dans sa rédaction alors en vigueur, les tarifs d’utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d’électricité " sont définis en fonction de catégories fondées sur les caractéristiques intrinsèques des fournitures, en fonction des coûts liés à ces fournitures ; les tarifs d’utilisation du réseau public de transport et des réseaux publics de distribution applicables aux utilisateurs sont calculés de manière non discriminatoire, afin de couvrir l’ensemble des coûts supportés par les gestionnaires de ces réseaux, y compris les coûts résultant de l’exécution des missions et des contrats de service public " ; que, en vertu des dispositions des articles 2 et 3 du décret du 26 avril 2001 relatif aux tarifs d’utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d’électricitié, ces tarifs sont calculés à partir de l’ensemble des coûts des réseaux et permettent de répartir ces coûts de façon non discriminatoire entre, notamment, les consommateurs d’électricité qui sont raccordés aux réseaux publics et qui prélèvent de l’électricité sur ces réseaux ; qu’aux termes du I de l’article 4 du même décret, ces tarifs " comprennent une composante fonction de la puissance souscrite et une composante fonction de l’énergie injectée ou prélevée. / Ils sont fonction de la tension de raccordement et peuvent dépendre du nombre de points de raccordement (.) " ;

Considérant qu’il résulte de la décision de la décision du 23 septembre 2005 que l’utilisation du réseau public de transport d’électricité est facturée aux consommateurs d’électricité par point de raccordement au réseau ; que la formule tarifaire comprend une part fixe proportionnelle à la puissance souscrite et une part variable en fonction du nombre de kilowattheures prélevés ; que la formule est construite de telle sorte que le prix unitaire du kilowattheure transporté est inversement proportionnel au volume total d’énergie prélevé et directement proportionnel à la puissance souscrite ;

En ce qui concerne le moyen tiré d’une méconnaissance du droit de la concurrence :

Considérant que, s’il ressort de l’avis n° 08-A-02 rendu le 25 février 2008 par le Conseil de la concurrence en réponse à une demande de l’Union des transports publics sur le tarif institué par la décision du 23 septembre 2005 que certains éléments de ce tarif n’y sont pas explicités, notamment la fixation des coefficients qui entrent dans la composition de la formule susmentionnée, il n’est pas établi, ni même d’ailleurs allégué, que l’application de ce tarif procurerait au gestionnaire du réseau public de transport d’électricité des recettes d’un montant supérieur à l’ensemble des coûts qu’il supporte ; que d’ailleurs, à supposer même que la répartition que définit le tarif soit défavorable à la SNCF, comme celle-ci le soutient, il n’en résulterait pas nécessairement que le gestionnaire du réseau bénéficierait de recettes ne correspondant pas à des coûts effectivement supportés ; que, dans ces conditions, la SNCF n’établit pas que la décision du 23 septembre 2005 place ce gestionnaire en situation d’abuser automatiquement de la position dominante que lui confère le monopole de droit dont il bénéficie du fait de tarifs qui excèdent la couverture de ses coûts et qu’elle n’est donc pas fondée à soutenir que le tarif qu’elle institue méconnaît sur ce point le droit de la concurrence ;

En ce qui concerne le moyen tiré d’une méconnaissance de l’obligation de répartition des coûts de manière non discriminatoire entre les utilisateurs :

Considérant qu’en faisant obligation à l’autorité compétente d’établir des tarifs d’utilisation du réseau public de transport de l’électricité en répartissant les coûts entre les utilisateurs de manière non discriminatoire, les dispositions législatives et réglementaires précitées transposent en droit interne une exigence de la directive 2003/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2003 ; que cette exigence fait obstacle à ce qu’un régime tarifaire contienne des dispositions qui, alors qu’elles réserveraient le même traitement à l’ensemble des consommateurs d’électricité utilisateurs du réseau, conduiraient à faire supporter à certains de ces consommateurs, en raison des particularités objectives de leurs prélèvements d’électricité, un coût manifestement supérieur aux coûts supportés par les autres consommateurs, à moins que cet effet ne puisse être évité dans l’intérêt de l’équilibre général du système et ne soit pas disproportionné à l’objectif poursuivi ; qu’il y a lieu, pour apprécier si un utilisateur du réseau subit une discrimination, de tenir compte des coûts spécifiques que peuvent entraîner, pour le gestionnaire de ce réseau, les caractéristiques de l’usage du réseau par cet utilisateur ;

Considérant que la SNCF fait valoir que les entreprises ferroviaires sont placées dans une situation particulière, par rapport aux autres consommateurs qui utilisent le réseau public pour l’alimentation d’équipements fixes, en raison de ce que les trains prélèvent de l’électricité successivement à partir de chacun des points de raccordement qui se trouvent sur leur parcours ; que la SNCF est contrainte de souscrire, pour chacun des 536 points de raccordement que nécessite le réseau ferré qu’empruntent ses convois, une puissance élevée pour l’alimentation du train lors de son passage et qui n’est sollicitée que pendant la brève période durant laquelle le convoi circule sur le tronçon alimenté à partir d’un point de raccordement donné ; qu’ainsi les entreprises ferroviaires se trouveraient défavorisées par une formule de calcul incitant, à rebours de ce que leur imposent les contraintes techniques inhérentes à la circulation des trains, à souscrire le moins de puissance possible mais à l’utiliser le plus continûment possible ; que la SNCF, qui indique que les contraintes techniques susmentionnées et les règles tarifaires l’ont obligée à réserver une puissance de 3 680 MW en 2006 pour un besoin de puissance synchrone de 1 800 MW, évalue pour elle-même le surcoût annuel à 55 millions d’euros ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier, en particulier des énonciations de l’avis précité du Conseil de la concurrence, ainsi que des observations qui ont été présentées lors de l’enquête diligentée devant la troisième sous-section siégeant en formation d’instruction le 16 avril 2008, que, compte tenu de ses caractéristiques objectives particulières, l’utilisation du réseau public de transport d’électricité par la SNCF conduit, au regard de la formule tarifaire retenue, à un certain nombre de spécificités, à savoir, principalement, un poids relatif de la part fixe proportionnelle à la puissance souscrite de la facture significativement plus lourd que celui de la part fixe moyenne pour l’ensemble des utilisateurs du réseau public et un taux d’utilisation de la puissance souscrite sensiblement plus faible que le taux moyen pour l’ensemble des utilisateurs ; qu’une telle utilisation du réseau, qui exige l’alimentation successive de plusieurs points de connexion de même puissance réservée, occasionne cependant, pour le gestionnaire du réseau, des coûts qui présentent, eux aussi, des spécificités ; que la SNCF, qui ne critique pas dans son principe le mode de tarification retenu par la décision du 23 septembre 2005, ne peut être regardée comme établissant que le tarif que celle-ci institue serait discriminatoire à son égard faute d’éléments suffisants de nature à compenser, après prise en compte des spécificités des coûts supportés par RTE du fait de l’utilisation qu’elle fait de son réseau, les spécificités des tarifs dont elle est elle-même redevable ; que, dès lors, elle n’est pas fondée à soutenir que les décisions par lesquelles les ministres compétents ont rejeté ses demandes tendant à aménager le tarif institué par la décision du 23 septembre 2005 par un dispositif particulier adapté aux contraintes d’utilisation du réseau par les entreprise ferroviaires sont illégales ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce soit mis à la charge de l’Etat, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, le paiement de la somme demandée par la SNCF au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANÇAIS est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANÇAIS, au ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi et à la Commission de régulation de l’énergie.

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