Conseil d’Etat, 16 juillet 2008, n° 300458, Jean-Louis M.

L’article 79-I du code civil local précité vise à radier du registre des associations inscrites, les associations n’exerçant plus d’activité et n’ayant plus de direction depuis plus de cinq ans. Si l’association radiée peut continuer d’exister en tant qu’association non-inscrite, une telle radiation la prive de la personnalité juridique et de la possibilité de recevoir des dons et legs, et entraîne notamment la dévolution de son patrimoine propre. Un tel dispositif constitue une ingérence dans la liberté d’association au sens des stipulations de l’article 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui ne relève d’aucune des restrictions autorisées par le deuxième paragraphe de ce même article.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 300458

M. M.

M. Edouard Geffray
Rapporteur

Mlle Célia Verot
Commissaire du gouvernement

Séance du 26 mai 2008
Lecture du 16 juillet 2008

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 10ème et 9ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 10ème sous-section de la section du contentieux

Vu la requête, enregistrée le 10 janvier 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par M. Jean-Louis M. ; M. M. demande au Conseil d’Etat d’annuler le décret n° 2006-1477 du 29 novembre 2006 du Premier ministre pris pour l’application de l’article 18 de la loi n° 2003-709 du 1er août 2003 et relatif au registre des associations du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code civil local ;

Vu la loi n° 2003-709 du 1er août 2003 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Edouard Geffray, Maître des Requêtes,

- les conclusions de Mlle Célia Verot, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que l’article 79-I du code civil local, introduit par l’article 17 de la loi du 1er août 2003, dispose : " Les associations ayant fait l’objet d’un retrait de capacité juridique ou d’une dissolution sont radiées du registre des associations par le tribunal d’instance. Il en est de même des associations pour lesquelles le tribunal d’instance constate qu’elles ont cessé toute activité et ne possèdent plus de direction depuis plus de cinq ans " ; qu’aux termes de l’article 77 du même code, modifié par l’article 18 de la loi du 1er août 2003 : " Sont fixées par décret les mesures d’exécution des articles 55 à 79-1, notamment en vue de préciser les modalités d’instruction des demandes d’inscription et de tenue du registre des associations, ainsi que pour définir les conditions dans lesquelles les associations peuvent être radiées du registre des associations en application de l’article 79-I " ; que l’article 1er du décret du 29 novembre 2006 introduit dans le code civil local un article 30-12, qui dispose : " L’ordonnance de radiation d’une association qui entre dans les prévisions du premier alinéa de l’article 79-I du code civil local est notifiée dans les formes prévues à l’article 5. En cas de retour au greffe de la notification dont l’avis n’a pas été signé par son destinataire, la notification est réputée valablement faite par l’affichage de l’ordonnance au greffe du tribunal pendant un délai de quinze jours. / L’ordonnance de radiation ne peut être frappée que d’un pourvoi immédiat " ; que M. M. demande l’annulation de ce décret en tant qu’il ne fixe pas les conditions dans lesquelles les associations n’ayant plus d’activité ni de direction depuis plus de cinq ans peuvent être radiées du registre des associations en application de l’article 79-I précité ;

Sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la garde des sceaux, ministre de la justice ;

Considérant qu’aux termes de l’article 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts. / 2. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’Etat " ;

Considérant que l’article 79-I du code civil local précité vise à radier du registre des associations inscrites, les associations n’exerçant plus d’activité et n’ayant plus de direction depuis plus de cinq ans ; que si l’association radiée peut continuer d’exister en tant qu’association non-inscrite, une telle radiation la prive de la personnalité juridique et de la possibilité de recevoir des dons et legs, et entraîne notamment la dévolution de son patrimoine propre ; qu’un tel dispositif constitue une ingérence dans la liberté d’association au sens des stipulations de l’article 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui ne relève d’aucune des restrictions autorisées par le deuxième paragraphe de ce même article ; que, par suite, l’article 79-I du code civil local, en tant qu’il prévoit la radiation du registre des associations inactives, au seul motif qu’elles n’ont plus d’activité ni de direction depuis plus de cinq ans et sans autre justification que la bonne tenue du registre, est incompatible avec l’article 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que ces dispositions étant inapplicables, le Premier ministre était tenu, comme il l’a fait en l’espèce, de ne pas prendre les mesures d’exécution de ces dispositions ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. M. n’est pas fondé à demander l’annulation du décret attaqué ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. M. est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Jean-Louis M., au Premier ministre et à la garde des sceaux, ministre de la justice.

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Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article3017