Conseil d’Etat, 7 juillet 2008, n° 276273, Eric C.

S’il résulte de la combinaison de cet article et des autres dispositions du décret du 20 février 1959 que l’administration est représentée devant la cour régionale des pensions, comme devant le tribunal départemental des pensions, par un commissaire du gouvernement désigné par le ministre chargé des anciens combattants et victimes de guerre, et que, notamment, c’est à lui que sont notifiés les jugements du tribunal et les arrêts de la cour, il ne s’en déduit pas que ce fonctionnaire a qualité, même sur instruction en ce sens, pour former appel au nom de l’Etat dans les cas où cette compétence a été expressément réservée au ministre. Dans ces cas, seul le ministre ou une personne ayant régulièrement reçu de lui délégation à cet effet a compétence pour signer la requête par laquelle il est fait appel d’un jugement du tribunal des pensions.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 276273

M. C.

M. Alain Boulanger
Rapporteur

Mlle Anne Courrèges
Commissaire du gouvernement

Séance du 21 mai 2008
Lecture du 7 juillet 2008

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 1ère et 6ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 1ère sous-section de la Section du contentieux

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 janvier et 19 avril 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Eric C. ; M. C. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt du 16 novembre 2004 par lequel la cour régionale des pensions de Bordeaux a annulé le jugement du 23 mai 2003 par lequel le tribunal départemental des pensions de la Gironde lui avait accordé une pension d’invalidité au taux de 10 % ;

2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter la requête d’appel ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre ;

Vu le décret n° 59-327 du 20 février 1959, notamment son article 11 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alain Boulanger, chargé des fonctions de Maître des requêtes,

- les observations de Me Blanc, avocat de M. C.,

- les conclusions de Mlle Anne Courrèges, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’aux termes de l’article 11 du décret du 20 février 1959 relatif aux juridictions des pensions, dans sa rédaction issue du décret du 30 octobre 1996 : " Les décisions du tribunal départemental des pensions sont susceptibles d’appel devant la cour régionale des pensions soit par l’intéressé, soit par l’Etat. L’appel présenté au nom de l’Etat est formé par le préfet de la région dans laquelle la cour régionale des pensions compétente a son siège ; toutefois, l’appel est formé par le ministre intéressé lorsque le litige soulève une question relative à l’état des personnes, à la nationalité ou à l’application des articles L. 78 ou L. 107 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre, ou lorsque la décision litigieuse a été prise par le ministre de la défense. / (.) Les règles posées par les articles précédents pour la procédure à suivre devant le tribunal départemental sont (.) applicables devant la cour. (.) " ; que s’il résulte de la combinaison de cet article et des autres dispositions du décret du 20 février 1959 que l’administration est représentée devant la cour régionale des pensions, comme devant le tribunal départemental des pensions, par un commissaire du gouvernement désigné par le ministre chargé des anciens combattants et victimes de guerre, et que, notamment, c’est à lui que sont notifiés les jugements du tribunal et les arrêts de la cour, il ne s’en déduit pas que ce fonctionnaire a qualité, même sur instruction en ce sens, pour former appel au nom de l’Etat dans les cas où cette compétence a été expressément réservée au ministre ; que dans ces cas, seul le ministre ou une personne ayant régulièrement reçu de lui délégation à cet effet a compétence pour signer la requête par laquelle il est fait appel d’un jugement du tribunal des pensions ;

Considérant qu’en l’espèce, la décision contestée par M. C. a été prise par le ministre de la défense ; qu’il est constant que l’acte d’appel a été signé par le commissaire du gouvernement près la cour régionale des pensions de Bordeaux au nom du directeur interdépartemental d’Aquitaine des anciens combattants et victimes de guerre ; qu’il résulte de ce qui a été indiqué ci-dessus qu’en l’absence de régularisation par le ministre de la défense ou par un fonctionnaire agissant régulièrement en son nom, cet appel était irrecevable ; qu’il appartenait à la cour de relever d’office ce moyen qui ressortait des pièces du dossier ; que, par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, M. C. est fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque ;

Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu, par application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au fond ;

Considérant, en premier lieu, que, dans son mémoire en défense enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat le 4 décembre 2007, le ministre de la défense s’est expressément approprié les conclusions de la requête d’appel présentée à la cour régionale des pensions et l’a ainsi régularisée ; que, par suite, M. C. n’est plus fondé à invoquer l’incompétence du signataire de cette requête ;

Considérant, en second lieu, qu’aux termes de l’article L. 4 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre : " Les pensions sont établies d’après le degré d’invalidité. / Sont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 p. cent. / Il est concédé une pension : / 1° Au titre des infirmités résultant de blessures, si le degré d’invalidité qu’elles entraînent atteint ou dépasse 10 p. cent ; (.) / 3° Au titre d’infirmités résultant exclusivement de maladie, si le degré d’invalidité qu’elles entraînent atteint ou dépasse (.) 30 % en cas d’infirmité unique (.) " ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction que M. C. a été victime, à l’occasion du service, le 31 janvier 1999, d’une entorse aggravée à la cheville droite occasionnée par une glissade sur le sol gelé et que cette entorse a entraîné pour lui une infirmité correspondant à un taux d’invalidité de 10 % ; que, survenue dans de telles circonstances, cette infirmité ne peut être regardée comme résultant d’une blessure, laquelle suppose l’action violente d’un fait extérieur ; qu’ainsi, le degré d’invalidité étant en deçà du minimum de 30 % prévu par l’article L. 4 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre pour les infirmités résultant de maladie, le ministre de la défense est fondé à soutenir que c’est à tort que le tribunal départemental des pensions a fait droit à la demande de M. C. et lui a accordé une pension au taux de 10 % ; qu’il y a lieu, par suite, d’annuler le jugement du tribunal départemental des pensions de la Gironde du 23 mai 2003 et de rejeter la demande soumise par M. C. à ce tribunal ainsi que, par voie de conséquences, ses conclusions présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt de la cour régionale des pensions de Bordeaux du 16 novembre 2004 est annulé.

Article 2 : Le jugement du tribunal départemental des pensions de la Gironde du 23 mai 2003 est annulé.

Article 3 : La demande présentée par M. C. devant le tribunal départemental des pensions et le surplus des conclusions de son pourvoi sont rejetés.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Eric C. et au ministre de la défense.

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