La directive a clairement entendu imposer aux Etats membres de l’Union européenne de prendre les mesures nécessaires pour éviter une consommation excessive de médicaments vétérinaires, ce qui implique une limitation effective de la possibilité de renouveler leur délivrance sur la base d’une même ordonnance.
CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N°s 306813, 306925, 306933
SYNDICAT NATIONAL DES VETERINAIRES D’EXERCICE LIBERAL et autres
Mme Christine Grenier
Rapporteur
M. Luc Derepas
Commissaire du gouvernement
Séance du 11 juin 2008
Lecture du 27 juin 2008
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 1ère et 6ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 1ère sous-section de la Section du contentieux
Vu 1°), sous le n° 306813, la requête, enregistrée le 22 juin 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par le SYNDICAT NATIONAL DES VETERINAIRES D’EXERCICE LIBERAL, dont le siège est 10, place Léon Blum à Paris (75011), représenté par son président et par M. Rémi G. ; le SYNDICAT NATIONAL DES VETERINAIRES D’EXERCICE LIBERAL et M. G. demandent au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir l’article 2 du décret n° 2007-596 du 24 avril 2007 relatif aux conditions et modalités de prescription et de délivrance au détail des médicaments vétérinaires et modifiant le code de la santé publique (dispositions réglementaires), en tant qu’il modifie l’article R. 5141-111 de ce code, ou, subsidiairement, d’annuler ce décret dans sa totalité si l’article 2 n’est pas divisible ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu 2°), sous le n° 306925, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 25 juin et 25 septembre 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SELARL TECHNIVET, dont le siège est 20, rue de Bel Air à Fromelennes (08600), représentée par son gérant en exercice et pour M. Thierry P. ; la SELARL TECHNIVET et M. P. demandent au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2007-596 du 24 avril 2007 relatif aux conditions et modalités de prescription et de délivrance au détail des médicaments vétérinaires et modifiant le code de la santé publique (dispositions réglementaires) ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu 3°), sous le n° 306933, la requête, enregistrée le 26 juin 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par l’UNION DES SYNDICATS DE PHARMACIENS D’OFFICINE, dont le siège est 71, rue Chardon-Lagache à Paris (75016), représentée par son président ; l’UNION DES SYNDICATS DE PHARMACIENS D’OFFICINE demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir le même décret n° 2007-596 du 24 avril 2007 ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le traité instituant la Communauté européenne ;
Vu la directive 2001/82/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001, modifiée par la directive 2004/28/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 ;
Vu le code rural ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de Mme Christine Grenier, chargée des fonctions de Maître des requêtes,
les observations de Me Spinosi, avocat de la SELARL TECHNIVET et de M. P.,
les conclusions de M. Luc Derepas, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes du SYNDICAT NATIONAL DES VETERINAIRES D’EXERCICE LIBERAL et de M. G., de la SELARL TECHNIVET et de M. P. et de l’UNION DES SYNDICATS DE PHARMACIENS D’OFFICINE sont dirigées contre le même décret ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sur les fins de non-recevoir opposées à la requête de l’UNION DES SYNDICATS DES PHARMACIENS D’OFFICINE :
Considérant qu’en application de l’article L. 5143-2 du code de la santé publique, les pharmaciens titulaires d’une officine peuvent préparer, détenir et délivrer au détail les médicaments vétérinaires ; que, toutefois, l’UNION DES SYNDICATS DES PHARMACIENS D’OFFICINE ne demande l’annulation du décret du 24 avril 2007 qu’en tant que, par l’article R. 5141-112-2 nouveau du code de la santé publique, il autorise la prescription de médicaments vétérinaires sans examen clinique préalable des animaux par les vétérinaires ; que ces dispositions étant sans incidence directe sur les conditions de délivrance des médicaments vétérinaires par les pharmaciens d’officine, ce syndicat ne justifie pas d’un intérêt lui donnant qualité pour agir contre les dispositions qu’il conteste ; qu’ainsi, sa requête n’est pas recevable ;
Sur l’article R. 5141-111 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue du décret attaqué :
Considérant qu’aux termes de l’article 67 de la directive du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments vétérinaires, dans rédaction issue de la directive du 31 mars 2004 : " (.) Les Etats membres prennent toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que, dans le cas des médicaments délivrés uniquement sur ordonnance, la quantité prescrite et délivrée soit limitée à ce qui est nécessaire pour le traitement ou la thérapie concernés (.) " ; que cette directive a clairement entendu imposer aux Etats membres de l’Union européenne de prendre les mesures nécessaires pour éviter une consommation excessive de médicaments vétérinaires, ce qui implique une limitation effective de la possibilité de renouveler leur délivrance sur la base d’une même ordonnance ;
Considérant, en premier lieu, que le II de l’article R. 5141-111 du code de la santé publique, tel que modifié par le décret attaqué, autorise, sous certaines conditions, le renouvellement de la délivrance des médicaments à partir d’une même ordonnance ; que son 1°) l’interdit pour les médicaments vétérinaires comprenant les substances les plus dangereuses ; que le 2°) encadre ce renouvellement, qui n’est autorisé, s’agissant des médicaments vétérinaires qui contiennent des substances vénéneuses, qu’à la double condition d’être inscrits sur une liste arrêtée conjointement par les ministres chargés de l’agriculture et de la santé et sur proposition de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments en application de l’article L. 5143-6 du code de la santé publique, et d’être utilisés à des fins préventives pour le traitement des affections habituellement rencontrées dans l’élevage concerné ; qu’en revanche, les médicaments vétérinaires ne figurant pas sur cette liste ou qui ne sont pas utilisés à des fins préventives et qui comportent des substances vénéneuses ne peuvent être renouvelés, s’ils relèvent de la liste I des substances vénéneuses qui regroupe celles qui présentent le risque le plus élevé pour la santé publique, que sur indication écrite du prescripteur précisant le nombre de renouvellements ou la durée du traitement et, s’ils relèvent de la liste II des substances vénéneuses, que lorsque le prescripteur ne l’a pas expressément interdit ; que ces dispositions doivent être lues de manière combinée avec celles de l’article L. 5143-5 du code de la santé publique, aux termes duquel l’ordonnance " ne peut prescrire que la quantité de médicaments nécessaire ", de l’article R. 5132-12 de ce même code, qui limite la quantité de médicaments délivrés en une seule fois et de l’article R. 5132-14 qui prévoit un délai déterminé, en fonction de la posologie et des quantités précédemment délivrées, entre le renouvellement de deux traitements ; qu’en outre, la prescription se fait en toute hypothèse sous la responsabilité du vétérinaire ; que le renouvellement de la délivrance des médicaments vétérinaires sur la base d’une même ordonnance est ainsi suffisamment restreint s’agissant des médicaments définis au 2°) du II de l’article R. 5141-111 qui sont inscrits sur la liste prévue à l’article L. 5143-6 du code de la santé publique et uniquement délivrés à titre préventif ; que ces dispositions ne sont pas entachées d’une erreur manifeste dans l’appréciation des risques de fraude et de consommation excessive de médicaments vétérinaires et des conséquences pouvant en résulter pour la santé publique ;
Considérant que, pour les mêmes motifs, le III de l’article R. 5141-111 du code de la santé publique, tel que modifié par le décret attaqué, qui limite la durée maximale de validité de la prescription à un an, n’est pas incompatible avec les objectifs fixés par l’article 67 de la directive du 6 novembre 2001 ;
Mais considérant, en second lieu, qu’en application des 3°) et 4°) du II de l’article R. 5141-111, la délivrance de médicaments vétérinaires comprenant, d’une part, des substances définies aux a) et au b) de l’article L. 5144-1 du code de la santé publique qui ne relèvent pas de la réglementation des substances vénéneuses et figurent sur la liste prévue à l’article L. 5143-6 et, d’autre part, des substances définies au e) de l’article L. 5144-1, peut être renouvelée sur la base d’une même ordonnance sans nouvelle intervention du prescripteur ; qu’alors que la validité de la prescription est d’un an selon le III de l’article R. 5141-111, la possibilité de renouvellement de la délivrance ainsi ouverte n’est limitée que par les dispositions générales mentionnées ci-dessus relatives à la prescription de la seule quantité de médicaments nécessaire au traitement, au délai à respecter entre le renouvellement de deux traitements et à la durée maximale de validité d’un an de l’ordonnance, alors même que les médicaments en cause peuvent contenir des matières virulentes et produits d’origine microbienne, des substances d’origine organique, ainsi que des substances susceptibles de demeurer à l’état de résidus toxiques ou dangereux dans les denrées d’origine animale ; que les mesures ainsi prises ne peuvent, dans ces conditions, être regardées comme permettant de veiller à ce que la quantité délivrée soit limitée à ce qui est nécessaire, au sens de l’article 67 de la directive du 6 novembre 2001 ; qu’elle sont, dès lors, incompatibles avec les objectifs de cette directive ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le SYNDICAT NATIONAL DES VETERINAIRES D’EXERCICE LIBERAL et M. G. sont fondés à demander l’annulation des dispositions du 3°) et du 4°) du II de l’article R. 5141-111 du code de la santé publique, tel que modifié par le décret attaqué, qui sont divisibles du reste de cet article ;
Sur l’article R. 5141-112-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue du décret attaqué :
Considérant qu’en vertu du 2° de l’article L. 5143-2 du code de la santé publique, les vétérinaires sont autorisés à délivrer des médicaments vétérinaires, lorsqu’il s’agit des animaux auxquels ils donnent personnellement leurs soins ou dont la surveillance sanitaire et les soins leur sont régulièrement confiés ; qu’aux termes du 3° de l’article R. 5141-112-1 du code de la santé publique, on doit entendre par surveillance sanitaire et soins régulièrement confiés au vétérinaire : " le suivi sanitaire permanent d’animaux d’espèces dont la chair ou les produits sont destinés à la consommation humaine, ainsi que d’animaux élevés à des fins commerciales ", qui comporte notamment : " /a) La réalisation d’un bilan sanitaire d’élevage ; /b) L’établissement et la mise en œuvre d’un protocole de soins ; / c) La réalisation de visites régulières de suivi ; / d) La dispensation régulière de soins, d’actes de médecine ou de chirurgie " ;
Considérant que le 3° de l’article R. 5141-112-1, qui explicite les conditions définies par l’article L. 5143-2 dans lesquelles les vétérinaires peuvent délivrer au détail des médicaments, n’a ni pour objet ni pour effet de modifier les conditions d’exercice de la profession de vétérinaire, telles qu’elles résultent notamment de l’article L. 243-1 du code rural, qui ne mentionne pas, au demeurant, la délivrance de médicaments vétérinaires, et de l’article R. 242-44 de ce code relatif à la liberté de prescription des vétérinaires ; qu’il se borne à reprendre, en les précisant, les termes de l’article L. 5143-2 qui fixent les cas dans lesquels les vétérinaires sont autorisés à délivrer des médicaments ; qu’ainsi, le moyen des requérants tiré de ce que l’article R. 5141-112-1 du code de la santé publique serait, pour ce motif, entaché d’illégalité doit être écarté ;
Sur la méconnaissance de la liberté d’entreprendre et d’installation des jeunes diplômés :
Considérant que si le II de l’article R. 5141-112-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue du décret attaqué, permet au propriétaire de l’élevage de désigner un vétérinaire pour assurer la surveillance sanitaire de son élevage, il ne saurait être sérieusement soutenu que ces dispositions portent ainsi une atteinte excessive au principe de la liberté d’entreprendre, ni qu’elles empêcheraient l’installation des jeunes vétérinaires diplômés ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que le SYNDICAT NATIONAL DES VETERINAIRES D’EXERCICE LIBERAL et M. G. sont seulement fondés à demander l’annulation de l’article 2 du décret attaqué en tant qu’il introduit les dispositions du 3°) et du 4°) du II de l’article R. 5141-111 du code de la santé publique ; qu’en revanche, sans qu’il soit besoin d’examiner les fins de non-recevoir qui lui sont opposées, la requête de la SELARL TECHNIVET et de M. P. doit être rejetée ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 1 000 euros chacun au SYNDICAT NATIONAL DES VETERINAIRES D’EXERCICE LIBERAL et à M. G. en application de ces dispositions ; que ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu’il soit fait droit aux conclusions présentées au même titre par la SELARL TECHNIVET et par M. P. ;
D E C I D E :
Article 1er : L’article 2 du décret du 24 avril 2007 est annulé en tant qu’il insère un 3°) et un 4°) au II de l’article R. 5141-111 du code de la santé publique.
Article 2 : L’Etat versera au SYNDICAT NATIONAL DES VETERINAIRES D’EXERCICE LIBERAL et à M. G. une somme de 1 000 euros chacun au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les requêtes de la SELARL TECHNIVET et de M. P., de l’UNION DES SYNDICATS DE PHARMACIENS D’OFFICINE, ainsi que le surplus des conclusions de la requête du SYNDICAT NATIONAL DES VETERINAIRES D’EXERCICE LIBERAL et de M. G. sont rejetés.
_________________
Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article2967