Conseil d’Etat, 19 octobre 2001, n° 234352, B.

Eu égard à l’ensemble des conséquences qui résultent pour le requérant de l’impossibilité dans laquelle il a été placé d’exercer son activité chirurgicale dans sa spécialité conformément à son statut, en l’absence de justification tirée de l’intérêt de la santé publique et de tout risque pour les patients, la condition d’urgence posée à l’article L 521-1 du code de justice administrative est remplie en tant que les décisions attaquées affectent la situation individuelle du requérant.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 234352

B.

Mme Picard, Rapporteur

M Schwartz, Commissaire du gouvernement

Lecture du 19 Octobre 2001

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 31 mai 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour M Jean-Pierre B. ; M. B. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’ordonnance en date du 15 mai 2001 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à la suspension de la décision du 30 janvier 2001 par laquelle le directeur général du centre hospitalier universitaire de Brest a suspendu l’activité du service de chirurgie digestive dans lequel il exerçait à compter du 1er février 2001 et en tant que de besoin la décision du 1er février 2001 par laquelle le directeur général du même centre hospitalier a refusé de l’affecter dans un autre service et lui a fait savoir qu’il ne pouvait plus prendre en charge de nouveaux patients à compter de la même date ;

2°) ordonner la suspension des décisions des 30 janvier et 1er février 2001 ;

3°) enjoindre au centre hospitalier universitaire de Brest de le replacer dans une activité chirurgicale au moins équivalente à celle qui était la sienne avant le 31 janvier 2001 ;

4°) condamner le centre hospitalier universitaire de Brest à lui payer la somme de 15 000 F sur le fondement de l’article L 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu l’ordonnance n° 58-1373 du 30 décembre 1958 ;

Vu le décret n° 84-135 du 24 février 1984 modifié ;

Vu le code de justice administrative et notamment son article L 761-1 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Picard, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Tiffreau, avocat de M B. et de Me Le Prado, avocat du centre hospitalier universitaire de Brest,

- les conclusions de M Schwartz, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’aux termes de l’article R 311-1 du code de justice administrative : "Le Conseil d’Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort : (à) 3° Des litiges relatifs à la situation individuelle des fonctionnaires nommés par décret du Président de la République en vertu des dispositions de l’article 13 (3ème alinéa) de la Constitution et des articles 1er et 2 de l’ordonnance n° 58-1136 du 28 novembre 1958 portant loi organique concernant les nominations aux emplois civils et militaires de l’Etat" ;

Considérant que M B., professeur des universités-praticien hospitalier, appartient à un corps dont les membres sont nommés par le Président de la République en vertu de l’article 2 de l’ordonnance du 28 novembre 1958 ; que, dès lors, le Conseil d’Etat était seul compétent pour connaître de la demande de M B. tendant à la suspension des décisions des 30 janvier et 1er février 2001 du directeur du centre hospitalier universitaire de Brest, qui, en ce qu’elles suspendent l’activité du service dans lequel il exerçait et l’empêchent de poursuivre sa propre activité médicale, portent atteinte à sa situation individuelle ; que, par suite, l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Rennes en date du 15 mai 2001 doit être annulée ;

Considérant qu’il y a lieu pour le Conseil d’Etat, par application de l’article L 821-2 du code de justice administrative, de statuer sur la demande de suspension présentée par M B. ;

Considérant qu’aux termes de l’article L 521-1 du code de justice administrative : "Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision" ;

Considérant que par une décision en date du 30 janvier 2001 le directeur du centre hospitalier universitaire de Brest a suspendu l’activité du service de chirurgie digestive et a réaffecté ses personnels au service de chirurgie générale ou les a remis à disposition du département d’anesthésie, à l’exception de M B. et de son adjoint, dont le futur cadre d’activité devait faire l’objet d’une concertation ; que par une lettre du 1er février 2001, le directeur du centre hospitalier universitaire a fait connaître à M B. qu’en l’absence de cadre défini pour son exercice professionnel à l’hôpital de la Cavale Blanche, il ne pouvait plus y prendre en charge de nouveaux patients à compter du 1er février 2001 et devait en conséquence soit les adresser à un autre chirurgien, soit les faire admettre à l’hôpital de Landerneau, où il exerçait également ;

Considérant, en premier lieu, que les décisions du directeur du centre hospitalier universitaire de Brest en date du 30 janvier 2001 et du 1er février 2001, suspendant à titre provisoire l’activité du service de chirurgie digestive où exerçait M B., et refusant à ce dernier de poursuivre son activité médicale dans un autre service ont pour conséquence de faire obstacle à ce qu’il exerce toute activité médicale au centre hospitalier de la Cavale Blanche, y compris dans le cadre de la permanence médicale du service de chirurgie ; que cette situation affecte en outre nécessairement l’activité d’enseignement de ce professeur des universités-praticien hospitalier ; que la concertation annoncée par l’administration hospitalière pour déterminer le cadre dans lequel pourrait exercer M B. n’a, depuis lors, pas été engagée ; que, dans ces circonstances, eu égard à l’ensemble des conséquences qui résultent pour M B. de l’impossibilité dans laquelle il a été placé d’exercer son activité chirurgicale dans sa spécialité conformément à son statut, en l’absence de justification tirée de l’intérêt de la santé publique et de tout risque pour les patients, la condition d’urgence posée à l’article L 521-1 du code de justice administrative est remplie en tant que les décisions attaquées affectent la situation individuelle de M B. ; qu’en revanche aucune urgence ne justifie la suspension de l’exécution de la décision du 30 janvier 2001 suspendant l’activité du service de chirurgie digestive ;

Considérant, en second lieu, que le moyen tiré de l’incompétence du directeur du centre hospitalier universitaire de Brest pour priver M. B. de son activité médicale au sein de ce centre est propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux sur la légalité de cette décision ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu pour le Conseil d’Etat d’ordonner la suspension de la décision susanalysée ; que cette suspension implique que les autorités compétentes placent à nouveau M B. dans une situation administrative lui permettant l’exercice effectif de son activité médicale conforme à son statut et à sa spécialité ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que M B., qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamné à payer au centre hospitalier universitaire de Brest la somme qu’il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de condamner le centre hospitalier universitaire de Brest à payer à M B. la somme de 15 000 F qu’il demande à ce titre ;

D E C I D E :

Article 1er : L’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Rennes en date du 15 mai 2001 est annulée.

Article 2 : Les décisions du 30 janvier et du 1er février 2001 du directeur du centre hospitalier universitaire de Brest sont suspendues en tant qu’elles refusent de placer M B. dans une situation administrative lui permettant l’exercice effectif de son activité médicale conforme à son statut et à sa spécialité.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M B. est rejeté.

Article 4 : Le centre hospitalier universitaire de Brest versera à M B. la somme de 15 000 F sur le fondement de l’article L 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Les conclusions du centre hospitalier universitaire de Brest tendant à l’application de l’article L 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à M Jean-Pierre B., au centre hospitalier universitaire de Brest et au ministre de l’emploi et de la solidarité.

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