Il résulte de l’article L. 211-1 du code de l’urbanisme que le droit de préemption d’une commune dotée d’un plan d’occupation des sols ou d’un plan local d’urbanisme ne peut s’exercer que dans les zones urbaines et dans les zones d’urbanisation future délimitées par ce plan dans lesquelles elle a institué un droit de préemption urbain. Si l’article L. 213-2-1 du même code permet à la commune, lorsque la réalisation d’une opération d’aménagement le justifie, d’exercer son droit de préemption urbain sur la fraction d’une unité foncière mise en vente qui est comprise dans une zone soumise à ce droit, et précise qu’en ce cas le propriétaire peut exiger de la commune qu’elle se porte acquéreur de l’ensemble de cette unité foncière, il n’autorise pas la commune à préempter ceux des éléments d’un ensemble immobilier faisant l’objet d’une déclaration d’intention d’aliéner unique qui sont situés dans une zone où le droit de préemption ne peut pas s’exercer.
CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 310951
SOCIETE E.P.M. - EXECUTIVE PROJECT & MANAGEMENT
Mme Laure Bédier
Rapporteur
Mlle Anne Courrèges
Commissaire du gouvernement
Séance du 16 avril 2008
Lecture du 21 mai 2008
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 1ère et 6ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 1ère sous-section de la Section du contentieux
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 27 novembre et 12 décembre 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SOCIETE E.P.M. - EXECUTIVE PROJECT & MANAGEMENT, dont le siège est 52, avenue de la Sapinière à Uccle (1180), Belgique ; la SOCIETE E.P.M. - EXECUTIVE PROJECT & MANAGEMENT demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’ordonnance du 5 novembre 2007 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à la suspension, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, de l’exécution de la décision du 25 juillet 2007 par laquelle le maire de la commune de Grimaud a exercé le droit de préemption de la commune à l’occasion de la vente par adjudication de quatorze appartements et trois bungalows situés dans l’ensemble immobilier " résidence Les Jardins de Grimaud ", cadastré section E n° 781, lieu-dit " Mignonne " ;
2°) statuant en référé, de prononcer la suspension de la décision du 25 juillet 2007 ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Grimaud la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l’urbanisme ;
Vu la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001, notamment son article 23 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de Mme Laure Bédier, Maître des Requêtes,
les observations de Me Ricard, avocat de la SOCIETE E.P.M. - EXECUTIVE PROJECT & MANAGEMENT et de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la commune de Grimaud,
les conclusions de Mlle Anne Courrèges, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que, par une décision du 25 juillet 2007, le maire de la commune de Grimaud a exercé le droit de préemption de la commune sur un ensemble immobilier composé de quatorze appartements et trois bungalows pour lesquels la SOCIETE E.P.M. avait été déclarée adjudicataire à l’issue d’une vente aux enchères publiques faisant suite à la liquidation judiciaire de la société propriétaire de ces biens immobiliers ; que la SOCIETE E.P.M. demande l’annulation de l’ordonnance par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à la suspension de l’exécution de cette décision ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ;
Considérant qu’il résulte de l’article L. 211-1 du code de l’urbanisme que le droit de préemption d’une commune dotée d’un plan d’occupation des sols ou d’un plan local d’urbanisme ne peut s’exercer que dans les zones urbaines et dans les zones d’urbanisation future délimitées par ce plan dans lesquelles elle a institué un droit de préemption urbain ; que si l’article L. 213-2-1 du même code permet à la commune, lorsque la réalisation d’une opération d’aménagement le justifie, d’exercer son droit de préemption urbain sur la fraction d’une unité foncière mise en vente qui est comprise dans une zone soumise à ce droit, et précise qu’en ce cas le propriétaire peut exiger de la commune qu’elle se porte acquéreur de l’ensemble de cette unité foncière, il n’autorise pas la commune à préempter ceux des éléments d’un ensemble immobilier faisant l’objet d’une déclaration d’intention d’aliéner unique qui sont situés dans une zone où le droit de préemption ne peut pas s’exercer ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, par une délibération en date du 26 mai 1989, le conseil municipal de la commune de Grimaud a décidé d’instituer un droit de préemption urbain sur toutes les zones d’urbanisation (U) et d’urbanisation future (NA) du plan d’occupation des sols de la commune ; qu’ainsi que l’a relevé le juge des référés, il est constant que si les quatorze appartements préemptés se situent en zone UB, les trois bungalows se trouvent en zone NB dans laquelle la commune ne peut pas exercer son droit de préemption ; qu’il résulte de ce qui a été dit ci-dessus qu’en l’absence de dispositions législatives en ce sens, le juge des référés du tribunal administratif de Nice ne pouvait se fonder sur les dispositions de l’article L. 213-2-1 du code de l’urbanisme et sur la circonstance que la cession de l’ensemble constitué par ces appartements et ces bungalows est intervenue globalement, par voie d’adjudication dans le cadre d’une procédure judiciaire, sur décision du juge-commissaire, pour ne pas retenir comme de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision de préemption le moyen tiré de ce qu’elle ne respectait pas les zones de préemption ; que son ordonnance est donc entachée d’une erreur de droit et doit pour ce motif, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, être annulée ;
Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu pour le Conseil d’Etat, en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée ;
Sur les fins de non-recevoir :
Considérant que la mesure de suspension que le juge des référés peut prononcer sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du code de justice administrative à l’égard d’une décision de préemption peut consister, lorsque le transfert de propriété a été opéré à la date à laquelle il statue, à empêcher la collectivité publique titulaire du droit de préemption de faire usage des prérogatives qui s’attachent au droit de propriété de façon à éviter que l’usage ou la disposition qu’elle fera de ce bien jusqu’à ce qu’il soit statué sur le litige au fond rendent irréversible la décision de préemption, sous réserve qu’à cette date la collectivité n’en ait pas déjà disposé, de telle sorte que ces mesures seraient devenues sans objet ; que, par suite, si le transfert à la commune de Grimaud de l’ensemble immobilier préempté doit, comme elle le soutient, être regardé comme étant intervenu à la suite de la décision du tribunal de grande instance de Draguignan lui attribuant la propriété du bien suivant le jugement d’adjudication du 29 juin 2007 et du paiement du prix d’adjudication le 3 août 2007, cette circonstance n’a pas pour effet de priver d’objet les conclusions de la SOCIETE E.P.M. tendant à la suspension de l’exécution de la décision de préemption, dès lors qu’il n’est pas établi ni d’ailleurs allégué que la commune de Grimaud ne serait plus propriétaire de l’ensemble immobilier litigieux ; que la SOCIETE E.P.M., adjudicataire évincé de cet ensemble immobilier, justifie d’un intérêt lui donnant qualité pour agir contre la décision de préemption ; que, dès lors, les fins de non-recevoir présentées par la commune de Grimaud doivent être écartées ;
Sur la demande de suspension :
Considérant, d’une part, que la SOCIETE E.P.M. bénéficie, en sa qualité d’acquéreur évincé, d’une présomption d’urgence, à l’encontre de laquelle la commune n’invoque aucune circonstance particulière ;
Considérant, d’autre part, qu’il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que le moyen tiré de ce que la décision litigieuse ne respecte pas les zones de préemption instaurées par la commune de Grimaud dans la délibération du 26 mai 1989 est de nature, en l’état de l’instruction, à créer un doute sérieux sur la légalité de cette décision ; qu’en revanche, pour l’application de l’article L. 600-4-1 du code de l’urbanisme, les moyens tirés de l’absence de saisine des services fiscaux, du non-respect du délai de trente jours imparti au titulaire du droit de préemption pour la substitution à l’adjudicataire, de l’absence de délégation régulière de l’exercice du droit de préemption au maire par le conseil municipal, de l’absence de délibération motivée du conseil municipal permettant de passer outre l’avis du service des domaines, de la méconnaissance de l’article L. 211-4 du code de l’urbanisme, du non-respect de l’article L. 210-1 du même code et de l’absence de réalisme du projet de préemption ne sont pas, en l’état du dossier, de nature à faire naître un tel doute ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la SOCIETE E.P.M. est fondée à demander la suspension de l’exécution de la décision de préemption du 25 juillet 2007 en tant qu’elle permet à la commune de Grimaud de disposer de l’ensemble ainsi acquis et peut la conduire à user de ce bien dans des conditions qui rendraient irréversible cette décision de préemption ; que, toutefois, cette décision de suspension ne fait pas obstacle à ce que la commune de Grimaud prenne les mesures conservatoires qui s’avéreraient nécessaires ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la commune de Grimaud le versement à la SOCIETE E.P.M. d’une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; que ces dispositions font en revanche obstacle à ce que soit mise à la charge de cette société, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande la commune de Grimaud au même titre ;
D E C I D E :
Article 1er : L’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nice du 5 novembre 2007 est annulée.
Article 2 : L’exécution de l’arrêté du 25 juillet 2007 du maire de la commune de Grimaud est suspendue en tant que cette décision permet à la commune de disposer de l’ensemble ainsi acquis et peut la conduire à en user dans des conditions qui la rendraient irréversible.
Article 3 : La commune de Grimaud versera à la SOCIETE E.P.M. la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la commune de Grimaud au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE E.P.M. - EXECUTIVE PROJECT & MANAGEMENT et à la commune de Grimaud.
Copie en sera adressée pour information au ministre d’Etat, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire.
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