Conseil d’Etat, référé, 16 mai 2008, n° 315833, Syndicat de l’industrie des technologies de l’information (SFIB)

Lorsque sont invoqués pour justifier une situation d’urgence les effets anticoncurrentiels d’une décision administrative, de tels effets doivent être caractérisés et susceptibles d’affecter durablement la structure concurrentielle du marché en cause ; que tel n’est pas le cas en l’espèce, en l’état où l’affaire se présente devant le juge du référé, alors que la décision contestée a pour objet de rendre éligibles à la rémunération due au titre des articles L. 311-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle des appareils mobiles qui combinent une fonction téléphonique avec une fonction de baladeur comparable à celle des appareils et baladeurs déjà rendus éligibles à cette rémunération. A cet égard la contestation du critère tiré de l’existence sur l’appareil téléphonique mobile déclaré éligible de fonctionnalités propres à un baladeur, notamment la " touche dédiée ", et les interrogations sur le régime des cartes mémoires externes ne démontrent pas l’existence d’un effet anticoncurrentiel caractérisé.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 315833

SYNDICAT DE L’INDUSTRIE DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION (SFIB)

Ordonnance du 16 mai 2008

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE JUGE DES REFERES

Vu la requête, enregistrée le 30 avril 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par le SYNDICAT DE L’INDUSTRIE DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION (SFIB) dont le siège est Tour Neptune, 20 place de Seine à Paris La Défense Cedex (92086) ; le SYNDICAT DE L’INDUSTRIE DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION (SFIB) demande au Conseil d’Etat :

1°) d’ordonner, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de la décision n° 10 du 27 février 2008 de la commission prévue à l’article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle relative à la rémunération pour copie privée rendant éligibles à la rémunération pour copie privée les mémoires et disques durs intégrés à un appareil mobile combinant une fonction téléphone et une fonction baladeur et comportant une mémoire d’une capacité supérieure ou égale à 128 Mo, la possibilité de restituer des contenus audio et/ou vidéo et des fonctionnalités propres à un baladeur ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

il soutient que la condition d’urgence est remplie dès lors que la décision litigieuse préjudicie aux intérêts des entreprises qu’il représente ; qu’en effet elle entraîne un préjudice financier et grave immédiat ; qu’elle les expose à une distorsion de concurrence injustifiée ; qu’elle est source d’insécurité juridique ; qu’elle préjudicie à l’intérêt public, notamment ceux des consommateurs, du nécessaire respect d’une concurrence effective et de l’équilibre entre les intérêts privés représentés au sein de la commission copie privée ; qu’il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ; qu’en effet, aucun compte-rendu des réunions de la commission relatives à cette décision n’a été publié, méconnaissant ainsi les exigences des articles L. 311-5 alinéa 3 et D. 311-1 du code de la propriété intellectuelle ; que le président de la commission n’a pas pleinement exercé ses attributions visant à préserver un équilibre au sein de la commission en omettant d’user de son pouvoir de demander une seconde délibération ; que la commission a excédé ses compétences en adoptant une décision qui s’apparente à une mesure conservatoire ; que la décision litigieuse est entachée d’erreur manifeste d’appréciation en assimilant les téléphones mobiles multimédias et les baladeurs audio et vidéo ; qu’elle rémunère des actes de copie qui ne relèvent pas de l’exception de copie privée ; que les téléphones mobiles multimédia ne sauraient être éligibles à la rémunération pour copie privée ; qu’en définissant de manière ambiguë les téléphones mobiles multimédia éligibles, la décision contestée est source d’insécurité juridique ; qu’une étude des usages de copie privée des téléphones mobiles multimédia préalable aurait dû être menée ; que l’intention des auteurs de la décision contestée est étrangère à l’intérêt général et constitue un détournement de pouvoir ;

Vu la décision dont la suspension est demandée ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la propriété intellectuelle

Vu le code de justice administrative ;

Considérant qu’en vertu de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, le juge des référés peut suspendre une décision administrative à la condition notamment que la condition d’urgence soit remplie ; qu’à défaut la requête peut être rejetée, en application de l’article L. 522-3 de ce code, sans instruction ni audience publique ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 311-1 du code de la propriété intellectuelle : " Les auteurs et les artistes-interprètes des œuvres fixées sur phonogrammes ou vidéogrammes, ainsi que les producteurs de ces phonogrammes ou vidéogrammes, ont droit à une rémunération au titre de la reproduction desdites œuvres, réalisées dans les conditions mentionnées au 2° de l’article L. 122-5 et au 2° de l’article L. 211-3. Cette rémunération est également due aux auteurs et aux éditeurs des œuvres fixées sur tout autre support, au titre de leur reproduction réalisée, dans les conditions prévues au 2° de l’article L. 122-5, sur un support d’enregistrement numérique " ; qu’en se fondant sur la circonstance que les appareils mobiles dits " baladeurs téléphoniques " sont utilisés dans des conditions analogues, selon les cas, aux appareils et baladeurs dont les capacités d’enregistrement sont dédiées à la lecture d’œuvres fixées sur des phonogrammes ou à ceux dont les capacités d’enregistrement sont dédiées à la fois à l’enregistrement numérique des phonogrammes et des vidéogrammes, dont elle a fixé la rémunération respectivement dans ses décisions n° 6 du 22 novembre 2005 et n° 7 du 20 juillet 2006 , la commission prévue à l’article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle a déclaré par la décision n°10 du 27 février 2008, en son article 1, éligibles à la rémunération due au titre des articles L. 311-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle les mémoires et disques durs intégrés à un appareil mobile combinant une fonction téléphone et une fonction baladeur, et comportant : ? une mémoire d’une capacité supérieure ou égale à 128 Mo ; ? la possibilité de restituer des contenus audio et/ou vidéo ; ? des fonctionnalités propres à un baladeur, notamment un outil spécifique de gestion et de transfert de ces contenus ainsi qu’une ou plusieurs touches dédiées à la fonction baladeur de l’appareil ; qu’en ses articles 2 et 3 la même décision fixe le montant de la rémunération unitaire selon les caractéristiques des appareils ; que le syndicat requérant demande la suspension de cette décision ;

Considérant que pour justifier de la condition d’urgence le syndicat requérant invoque l’importance des sommes en jeu qui seront répercutées pour l’essentiel sur le consommateur et par la même difficilement récupérables, l’introduction d’une distorsion de concurrence injustifiée, le risque d’insécurité juridique résultant de critères dont l’un serait insuffisamment précis et exposerait ainsi fabricants et importateurs au risque de sanction pénale, et de manière générale l’atteinte à l’intérêt public ;

Considérant que si le syndicat requérant avance dans son évaluation du montant des rémunérations à verser pour la période comprise entre le 1er mai et le 31 décembre 2008 une fourchette comprise entre un plancher de 817 000 euros et une probabilité de 2 000 000 d’euros, il ne fournit aucun élément permettant de mettre en regard de ces sommes le chiffre d’affaires et le bénéfice escompté par les entreprises concernées et plus généralement l’impact relatif de la rémunération instituée par la décision sur des entreprises qui, en l’espèce, travaillent sur un marché en expansion ;

Considérant que lorsque sont invoqués pour justifier une situation d’urgence les effets anticoncurrentiels d’une décision administrative, de tels effets doivent être caractérisés et susceptibles d’affecter durablement la structure concurrentielle du marché en cause ; que tel n’est pas le cas en l’espèce, en l’état où l’affaire se présente devant le juge du référé, alors que la décision contestée a pour objet de rendre éligibles à la rémunération due au titre des articles L. 311-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle des appareils mobiles qui combinent une fonction téléphonique avec une fonction de baladeur comparable à celle des appareils et baladeurs déjà rendus éligibles à cette rémunération ; qu’à cet égard la contestation du critère tiré de l’existence sur l’appareil téléphonique mobile déclaré éligible de fonctionnalités propres à un baladeur, notamment la " touche dédiée ", et les interrogations sur le régime des cartes mémoires externes ne démontrent pas l’existence d’un effet anticoncurrentiel caractérisé ;

Considérant que la loi pénale est d’interprétation stricte ; que le critère d’éligibilité tiré de la présence sur l’appareil téléphonique mobile de fonctionnalités propres à un baladeur, notamment un outil spécifique de gestion et de transfert de ces contenus ainsi qu’une ou plusieurs touches dédiées à la fonction baladeur de l’appareil, n’est pas de nature à créer une incertitude sur l’applicabilité de la loi pénale sanctionnant la méconnaissance par les redevables de leurs obligations constitutive d’une situation d’urgence ;

Considérant qu’eu égard au montant des rémunérations unitaires instituées et aux divers intérêts publics et privés en balance le syndicat requérant n’est, enfin, pas fondé à soutenir que l’intérêt des consommateurs et des industriels et importateurs ainsi que l’équilibre économique et l’effectivité de la concurrence seraient atteints dans des conditions créant une situation d’urgence ; que par suite sa requête, y compris sa demande de remboursement des frais exposés et non compris dans les dépens, doit être rejetée ;

O R D O N N E :

Article 1er : La requête du SYNDICAT DE L’INDUSTRIE DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION (SFIB) est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée au SYNDICAT DE L’INDUSTRIE DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION (SFIB).

Copie en sera adressée pour information au ministre de la culture et de la communication.

_________________
Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article2920