Pour l’application des dispositions de l’article L. 86 LPF, éclairées par les travaux parlementaires, les pièces annexes au versement comprennent non seulement les documents comptables et financiers établis à l’occasion du versement mais aussi les documents de toute nature pouvant justifier le montant des travaux effectués ou des dépenses totales exposées par le contribuable, tels que les devis, mémoires ou factures
CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 291229
M. B.
Mme Fabienne Lambolez
Rapporteur
Mme Claire Landais
Commissaire du gouvernement
Séance du 17 mars 2008
Lecture du 5 mai 2008
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 10ème et 9ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 10ème sous-section de la section du contentieux
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 13 mars et 12 juillet 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Jean B. ; M. B. demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 28 décembre 2005 par lequel la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté son appel tendant à l’annulation de l’article 2 du jugement du 21 décembre 2001 du tribunal administratif de Nantes rejetant sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 1992 et 1993 ;
2°) réglant l’affaire au fond, de le décharger des impositions litigieuses et des pénalités correspondantes ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat les frais de garantie exposés pour l’obtention du sursis de paiement, ainsi que les frais supportés lors de la mise en oeuvre de procédure de recouvrement forcée après la notification du jugement ;
4°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 4 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de Mme Fabienne Lambolez, Maître des Requêtes,
les observations de la SCP Peignot, Garreau, avocat de M. Jean B.,
les conclusions de Mme Claire Landais, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B. a acquis, en 1992, un immeuble composé de trois corps de bâtiments à rénover, situé à Tréguier (Côtes d’Armor), sur lequel il a effectué des travaux d’un montant de 883 722 F en 1992 et 1 476 982 F en 1993 ; que, dans le cadre d’un contrôle sur pièces des revenus déclarés par M. et Mme B. au titre de ces deux années, l’administration fiscale a remis en cause la déduction de ces travaux des revenus fonciers de l’intéressé ; que le tribunal administratif de Nantes, par un jugement du 21 décembre 2001, puis la cour administrative d’appel de Nantes, par l’arrêt attaqué du 28 décembre 2005, ont rejeté les requêtes de M. B. tendant à la décharge des suppléments d’impôt sur le revenu mis à sa charge au titre des années 1992 et 1993 ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 86 du livre des procédures fiscales : " Les agents de l’administration ont un droit de communication à l’égard des membres des professions non commerciales définies ci-après : / (.) b. Les professions consistant à titre principal en la prestation de services à caractère décoratif ou architectural ou en la création et la vente de biens ayant le même caractère. / Le droit prévu au premier alinéa ne porte que sur l’identité du client, le montant, la date et la forme du versement ainsi que les pièces annexes de ce versement (.) " ; que, pour l’application de ces dispositions, éclairées par les travaux parlementaires, les pièces annexes au versement comprennent non seulement les documents comptables et financiers établis à l’occasion du versement mais aussi les documents de toute nature pouvant justifier le montant des travaux effectués ou des dépenses totales exposées par le contribuable, tels que les devis, mémoires ou factures ;
Considérant qu’en jugeant que l’administration n’avait pas fait un usage irrégulier de son droit de communication de nature à entacher d’irrégularité la procédure d’imposition, en obtenant, auprès du maître d’œuvre responsable de la conception et de la surveillance des travaux réalisés par le requérant, les plans de l’immeuble, alors que ces documents, à la différence du devis descriptif des travaux, ne sont pas en principe au nombre des pièces annexes du versement au sens des dispositions précitées de l’article L. 86, les juges d’appel ont commis une erreur de droit ; que, dès lors, M. B. est fondé à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;
Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu, en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au fond et de statuer sur l’appel de M. B. ;
Sur la régularité de la procédure d’imposition :
Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article L. 10 du livre des procédures fiscales : " L’administration des impôts contrôle les déclarations ainsi que les actes utilisés pour l’établissement des impôts, droits, taxes et redevances. / Elle contrôle également les documents déposés en vue d’obtenir des déductions, restitutions ou remboursements. / A cette fin, elle peut demander aux contribuables tous renseignements, justifications ou éclaircissements relatifs aux déclarations souscrites ou aux actes déposés (.) " ; qu’aux termes de l’article L. 12 du même livre, dans sa rédaction applicable à la présente procédure : " L’administration des impôts peut procéder à l’examen contradictoire de l’ensemble de la situation fiscale des personnes physiques au regard de l’impôt sur le revenu dans les conditions prévues au présent livre. / A l’occasion de cet examen, l’administration peut contrôler la cohérence entre, d’une part, les revenus déclarés et, d’autre part, la situation patrimoniale, la situation de trésorerie et les éléments du train de vie des membres du foyer fiscal (.) " ; qu’aux termes de l’article L. 47 du même livre, dans sa rédaction applicable à la présente procédure : " Un examen contradictoire de l’ensemble de la situation fiscale personnelle d’une personne physique au regard de l’impôt sur le revenu ou une vérification de comptabilité ne peut être engagée sans que le contribuable en ait été informé par l’envoi ou la remise d’un avis de vérification. / Cet avis doit préciser les années soumises à vérification et mentionner expressément, sous peine de nullité de la procédure, que le contribuable a la faculté de se faire assister par un conseil de son choix (.) " ;
Considérant que, si M. B. soutient que, par leur ampleur, les contrôles effectués par l’administration doivent être regardés comme manifestant l’engagement d’un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle, il résulte de l’instruction que ces contrôles ont porté uniquement sur les travaux réalisés sur l’immeuble situé à Tréguier, et non sur l’ensemble des revenus déclarés par M. et Mme B., leur situation de trésorerie, leur situation patrimoniale ou leur train de vie ; qu’ainsi, le moyen tiré de ce que les garanties de procédure applicables à l’examen contradictoire de situation fiscale personnelle n’auraient pas été respectées ne peut être accueilli ;
Considérant, en deuxième lieu, que, comme il a été dit ci-dessus, l’administration ne pouvait, sur le fondement de l’article L. 86 du livre des procédures fiscales, obtenir auprès du maître d’œuvre des travaux la communication des plans de l’immeuble, qui ne présentent pas le caractère de pièces annexes au versement au sens de cet article ; que toutefois, il ne résulte pas de l’instruction que l’administration se serait fondée sur les plans de l’immeuble pour procéder aux redressements en litige ; que dès lors, l’irrégularité alléguée est sans incidence sur la régularité de la procédure d’imposition ;
Considérant, en troisième lieu, que l’administration a annexé à la notification de redressements du 2 août 1995 le devis descriptif des travaux établi par le maître d’œuvre, portant le nom de son auteur et sur lequel elle déclarait se fonder à titre principal pour remettre en cause la déduction des travaux ; qu’eu égard aux mentions figurant dans la notification, le contribuable a été mis à même de connaître l’origine des renseignements obtenus auprès de tiers ; que, par suite, le moyen tiré d’une information insuffisante du contribuable sur l’origine du devis en cause doit être écarté ;
Sur le bien-fondé de l’imposition :
Considérant qu’aux termes de l’article 31 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux années d’imposition en litige : " I. Les charges de la propriété déductibles pour la détermination du revenu net comprennent : / 1° Pour les propriétés urbaines : / a. Les dépenses de réparation et d’entretien (.) ; / b. Les dépenses d’amélioration afférentes aux locaux d’habitation, à l’exclusion des frais correspondant à des travaux de construction, de reconstruction ou d’agrandissement (.) " ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction que les travaux réalisés, qui avaient pour objet la restauration complète de l’immeuble acquis par M. B., ont consisté notamment en la démolition de l’escalier existant, le percement de nouvelles trémies pour la création de deux escaliers, le percement de dix-sept fenêtres à l’étage supérieur et la consolidation de certaines fondations ; que ces travaux ont ainsi entraîné une modification importante du gros œuvre et présentent, par suite, le caractère de travaux de reconstruction ; que s’ils comportent aussi pour une part des travaux d’amélioration, ceux-ci n’en sont pas dissociables ; que c’est dès lors, à bon droit que l’administration a réintégré la totalité de ces dépenses dans les revenus fonciers de M. et Mme B. ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que M. B. n’est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande en décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 1992 et 1993 ; que doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que, en tout état de cause, ses conclusions tendant à ce que soient mis à la charge de l’Etat les frais de garantie exposés pour l’obtention du sursis de paiement et les frais supportés lors de la mise en oeuvre de procédure de recouvrement forcé après la notification du jugement du tribunal administratif ;
D E C I D E :
Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes du 28 décembre 2005 est annulé.
Article 2 : La requête d’appel de M. B. et le surplus de ses conclusions devant le Conseil d’Etat sont rejetés.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Jean B. et au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique.
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