Conseil d’Etat, 16 avril 2008, n° 302235, Association française d’implantologie

Les dispositions de l’article R. 4127-216 du code de la santé publique, qui ont été édictées dans le but d’éviter qu’un chirurgien-dentiste ne puisse faire usage de ses titres à des fins publicitaires et afin de prémunir les patients, dans l’intérêt de la santé, contre des risques d’erreur ou de confusion dans l’interprétation des indications qui leur sont données par un chirurgien-dentiste, mettent en cause la liberté de recevoir ou de communiquer des informations et entrent, par suite, dans les prévisions des stipulations de l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que l’exercice de cette liberté peut être soumis à des " restrictions ", dès lors que celles-ci répondent à l’une ou l’autre des exigences énoncées au paragraphe dudit article 10 ; que les dispositions de l’article R. 4127-216 du code de la santé publique qui donnent au Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes compétence pour autoriser un chirurgien-dentiste à faire figurer sur ses imprimés professionnels des titres et fonctions autres que le diplôme d’Etat ou la spécialité, apportent à la liberté de communication et d’information une restriction nécessaire à la protection de la santé, destinée à assurer les patients de la qualité et de l’intelligibilité des informations portées à leur connaissance, restriction autorisée par le paragraphe 2 de l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; qu’à supposer qu’elles entrent dans le champ de l’article 1er du protocole additionnel n° 1 à cette convention, elles ne constituent pas une réglementation de l’usage d’un bien contraire aux stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel à cette convention ; que si ces dispositions constituent une entrave à la liberté d’établissement et à la libre prestation de services, elles s’appliquent de manière non discriminatoire, et apportent à ces libertés ainsi qu’il a été dit ci-dessus une restriction justifiée par un objectif de santé publique, sans aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 302235

ASSOCIATION FRANÇAISE D’IMPLANTOLOGIE

M. Olivier Rousselle
Rapporteur

Mme Catherine de Salins
Commissaire du gouvernement

Séance du 19 mars 2008
Lecture du 16 avril 2008

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 5ème et 4ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 5ème sous-section de la section du contentieux

Vu la requête, enregistrée le 5 mars 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour l’ASSOCIATION FRANCAISE D’IMPLANTOLOGIE, dont le siège est 44 rue Sainte à Marseille (13001) ; l’ASSOCIATION FRANCAISE D’IMPLANTOLOGIE demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler la décision implicite par laquelle le président du Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes a rejeté sa demande du 2 novembre 2006 tendant à ce que les chirurgiens-dentistes soient autorisés à faire mention, sur leurs imprimés et plaques professionnels, de leurs compétences reconnues dans le domaine de l’implantologie, ainsi que des diplômes décernés dans cette discipline ;

2°) d’enjoindre audit conseil d’accorder cette faculté aux chirurgiens-dentistes ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le Traité instituant la Communauté européenne ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Rousselle, Conseiller d’Etat,

- les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de l’ASSOCIATION FRANÇAISE D’IMPLANTOLOGIE et de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat du Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes,

- les conclusions de Mme Catherine de Salins, Commissaire du gouvernement

Considérant que l’ASSOCIATION FRANÇAISE D’IMPLANTOLOGIE demande l’annulation de la décision implicite par laquelle le Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes a rejeté sa demande tendant à ce qu’il autorise les chirurgiens-dentistes à faire mention sur leurs imprimés et sur leurs plaques professionnels, des compétences ou titres qu’ils auraient acquis dans le domaine de l’implantologie ;

Sur les fins de non-recevoir opposées par le Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes :

Considérant que, contrairement à ce que soutient le Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes, la décision attaquée porte atteinte aux intérêts que l’ASSOCIATION FRANÇAISE D’IMPLANTOLOGIE a vocation à défendre ; que les fins de non-recevoir opposées à la requête, présentée par le représentant régulièrement mandaté de cette association qui a elle-même capacité à ester en justice, doivent par suite être écartées ;

Sur les conclusions de la requête en tant qu’elles sont dirigées contre le refus implicite du Conseil national de l’ordre d’autoriser les chirurgiens-dentistes à faire mention sur leurs imprimés professionnels des compétences ou titres qu’ils auraient acquis dans le domaine de l’implantologie :

Considérant que l’article R. 4127-216 du code de la santé publique limite les indications qu’un chirurgien-dentiste est autorisé à mentionner sur ses imprimés professionnels, outre sa " qualité et sa spécialité ", aux " titres et fonctions reconnus par le Conseil national de l’ordre " ;

Considérant qu’aux termes de l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : " 1.Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontières./2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut-être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, .à la protection de la santé ou de la morale. " ;

Considérant que les dispositions de l’article R. 4127-216 du code de la santé publique, qui ont été édictées dans le but d’éviter qu’un chirurgien-dentiste ne puisse faire usage de ses titres à des fins publicitaires et afin de prémunir les patients, dans l’intérêt de la santé, contre des risques d’erreur ou de confusion dans l’interprétation des indications qui leur sont données par un chirurgien-dentiste, mettent en cause la liberté de recevoir ou de communiquer des informations et entrent, par suite, dans les prévisions des stipulations de l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que l’exercice de cette liberté peut être soumis à des " restrictions ", dès lors que celles-ci répondent à l’une ou l’autre des exigences énoncées au paragraphe dudit article 10 ; que les dispositions de l’article R. 4127-216 du code de la santé publique qui donnent au Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes compétence pour autoriser un chirurgien-dentiste à faire figurer sur ses imprimés professionnels des titres et fonctions autres que le diplôme d’Etat ou la spécialité, apportent à la liberté de communication et d’information une restriction nécessaire à la protection de la santé, destinée à assurer les patients de la qualité et de l’intelligibilité des informations portées à leur connaissance, restriction autorisée par le paragraphe 2 de l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; qu’à supposer qu’elles entrent dans le champ de l’article 1er du protocole additionnel n° 1 à cette convention, elles ne constituent pas une réglementation de l’usage d’un bien contraire aux stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel à cette convention ; que si ces dispositions constituent une entrave à la liberté d’établissement et à la libre prestation de services, elles s’appliquent de manière non discriminatoire, et apportent à ces libertés ainsi qu’il a été dit ci-dessus une restriction justifiée par un objectif de santé publique, sans aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci ; que le moyen tiré de ce que les dispositions attaquées seraient contraires aux articles 43 et 49 du traité instituant la Communauté européenne doit par suite être écarté ; que le Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes a pu, par suite, légalement, sur le fondement de ces dispositions, rejeter la demande de l’association requérante tendant à ce que les chirurgiens-dentistes soient de manière générale et sans que le Conseil ait à procéder à un examen particulier des titres en cause, autorisés à faire figurer sur leurs imprimés professionnels leurs " compétences en implantologie " ;

Sur les conclusions de la requête en tant qu’elles sont dirigées contre le refus implicite du Conseil national de l’ordre d’autoriser les chirurgiens-dentistes à faire mention sur leurs plaques professionnelles des compétences ou titres qu’ils auraient acquis dans le domaine de l’implantologie :

Considérant que le refus implicite du Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes se fonde sur les dispositions de l’article R. 4127-218 du code de la santé publique aux termes desquelles : " Les seules indications qu’un chirurgien-dentiste est autorisé à faire figurer sur une plaque professionnelle à la porte de son immeuble ou de son cabinet sont ses noms, prénoms, sa qualité et sa spécialité. " ; que les dispositions de cet article ont pour effet d’interdire à un chirurgien-dentiste de mentionner sur sa plaque professionnelle d’autres titres ou diplômes que son diplôme d’Etat et sa spécialité ; que le souci d’éviter que ne soit exercée comme un commerce la profession de chirurgien-dentiste ne justifie toutefois pas l’interdiction générale et absolue de faire figurer sur les plaques professionnelles toutes autres indications relatives à la qualification du praticien autre que celles du diplôme d’Etat et de la spécialité, sans qu’il soit tenu compte du but ou de la valeur informative de ces indications ; que cette interdiction est, par suite, de nature à porter aux droits des intéressés au respect des libertés précédemment mentionnées une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels des restrictions peuvent être définies ; qu’ainsi, les dispositions de l’article R. 4127-218 du code de la santé publique méconnaissent les stipulations de l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que le Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes ne pouvait légalement se fonder sur les dispositions de l’article R. 4127-218 pour rejeter la demande de l’association ; que celle-ci est par suite fondée à demander l’annulation sur ce point de la décision qu’elle attaque ;

Sur les conclusions tendant à ce qu’il soit fait application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge du Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes la somme demandée par l’association française d’implantologie au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’ASSOCIATION FRANÇAISE D’IMPLANTOLOGIE, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que demande le Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La décision implicite de refus du Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes d’autoriser les chirurgiens-dentistes à faire mention sur leurs plaques professionnelles des compétences ou titres qu’ils auraient acquis dans le domaine de l’implantologie est annulée.

Article 2 : Le surplus des conclusions sur la requête de l’ASSOCIATION FRANÇAISE D’IMPLANTOLOGIE est rejeté.

Article 3 : Les conclusions du Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à l’ASSOCIATION FRANCAISE D’IMPLANTOLOGIE, au Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes et à la ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative.

_________________
Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article2895