Conseil d’Etat, 14 avril 2008, n° 298810, Fédération nationale des plages restaurants

En fixant à un minimum de 80 %, réduit à 50 % pour les plages artificielles, la surface de la plage devant rester libre de tout équipement, le pouvoir réglementaire n’a ni excédé l’habilitation qu’il tenait de la loi, dès lors que l’usage libre et gratuit par le public constitue la destination fondamentale des plages aux termes du second alinéa de l’article L. 321-9 du code de l’environnement, ni commis d’erreur manifeste dans son appréciation des intérêts économiques des exploitants d’activités installées sur les plages.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 298810

FEDERATION NATIONALE DES PLAGES RESTAURANTS

M. Jean-Marc Anton
Rapporteur

Mme Nathalie Escaut
Commissaire du gouvernement

Séance du 21 mars 2008
Lecture du 14 avril 2008

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 8ème et 3ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 8ème sous-section de la section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 15 novembre 2006 et 12 février 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la FEDERATION NATIONALE DES PLAGES RESTAURANTS ; la FEDERATION NATIONALE DES PLAGES RESTAURANTS demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler le décret du 26 mai 2006 relatif aux concessions de plage, ainsi que la décision implicite du 19 septembre 2006 par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande de retrait de ce décret ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, et notamment son article 22 ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et son premier protocole ;

Vu le traité instituant la Communauté européenne, notamment son article 12 ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code de l’environnement ;

Vu le code du tourisme ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Marc Anton, Auditeur,

- les observations de la SCP Vier, Barthélemy, Matuchansky, avocat de la FEDERATION NATIONALE DES PLAGES RESTAURANTS,

- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, Commissaire du gouvernement

Considérant que la FEDERATION NATIONALE DES PLAGES RESTAURANTS demande au Conseil d’Etat d’annuler le décret du 26 mai 2006, pris en application de l’article L. 321-9 du code de l’environnement et relatif aux concessions de plages, ainsi que la décision implicite du Premier ministre de rejeter sa demande du 18 juillet 2006 tendant à son retrait ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 321-1 du code de l’environnement : " I. Le littoral est une entité géographique qui appelle une politique spécifique d’aménagement, de protection et de mise en valeur. II. La réalisation de cette politique d’intérêt général implique une coordination des actions de l’Etat et des collectivités locales, ou de leurs groupements, ayant pour objet : 1° La mise en œuvre d’un effort de recherche et d’innovation portant sur les particularités et les ressources du littoral ; 2° La protection des équilibres biologiques et écologiques, la lutte contre l’érosion, la préservation des sites et paysages et du patrimoine ; 3° La préservation et le développement des activités économiques liées à la proximité de l’eau, telles que la pêche, les cultures marines, les activités portuaires, la construction et la réparation navales et les transports maritimes ; 4° Le maintien ou le développement, dans la zone littorale, des activités agricoles ou sylvicoles, de l’industrie, de l’artisanat et du tourisme" ; qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article L. 321-9 de ce code : "L’usage libre et gratuit par le public constitue la destination fondamentale des plages au même titre que leur affectation aux activités de pêche et de cultures marines" ; qu’aux termes du dernier alinéa de cet article : "Les concessions de plage sont accordées dans des conditions fixées à l’article L. 2124-4 du code général de la propriété des personnes publiques. Elles préservent la libre circulation sur la plage et le libre usage par le public d’un espace d’une largeur significative tout le long de la mer" ; qu’aux termes de l’article L. 2124-4 du code général de la propriété des personnes publiques : " (.) Tout contrat de concession doit déterminer la largeur de l’espace (.) en tenant compte des caractéristiques des lieux" ;

Sur l’absence de contreseing du ministre chargé des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales :

Considérant que les ministres contresignataires d’un décret sont ceux qui ont compétence pour signer ou contresigner les mesures réglementaires ou individuelles que comporte nécessairement l’exécution de cet acte ; que l’exécution du décret attaqué ne rendait pas nécessaire l’intervention de mesures que le ministre chargé des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales avait compétence pour prendre ; que, par suite, l’absence de contreseing de ce ministre n’entache ce décret d’aucun vice de forme et ne méconnaît pas l’article 22 de la Constitution ;

Sur les conclusions dirigées contre l’article 2 :

Considérant qu’aux termes de l’article 2 du décret attaqué : "Les concessions accordées sur les plages doivent respecter, outre les principes énoncés à l’article L. 321-9 du code de l’environnement, les règles de fond suivantes : 1° un minimum de 80 % de la longueur du rivage, par plage, et de 80 % de la surface de la plage, dans les limites communales, doit rester libre de tout équipement et installation. Dans le cas d’une plage artificielle, ces limites ne peuvent être inférieures à 50 % (.)" ; qu’en fixant à un minimum de 80 %, réduit à 50 % pour les plages artificielles, la surface de la plage devant rester libre de tout équipement, le pouvoir réglementaire n’a ni excédé l’habilitation qu’il tenait de la loi, dès lors que l’usage libre et gratuit par le public constitue la destination fondamentale des plages aux termes du second alinéa de l’article L. 321-9 du code de l’environnement, ni commis d’erreur manifeste dans son appréciation des intérêts économiques des exploitants d’activités installées sur les plages ;

Considérant qu’aux termes du 4° de l’article 2 du décret attaqué : "La surface de la plage concédée doit être libre de tout équipement et installation démontable ou transportable en dehors d’une période, définie dans la concession, qui ne peut excéder six mois, sous réserve des dispositions de l’article 3 du présent décret" ; que l’autorité réglementaire a ainsi concilié sans erreur de droit les objectifs fixés par les dispositions précitées de l’article L. 321-1 du code de l’environnement et relatifs d’une part à la protection du littoral, d’autre part à la préservation et au développement des activités économiques, enfin au maintien ou au développement du tourisme ;

Sur les conclusions dirigées contre l’article 3 :

Considérant qu’aux termes du I de l’article 3 du décret attaqué : "Dans les stations classées au sens des articles L. 133-11 et suivants du code du tourisme, la période définie dans la concession peut, si la commune d’implantation de la concession s’y est déclarée favorable par une délibération motivée au regard de la fréquentation touristique, être étendue au maximum à huit mois par an" ; qu’aux termes du II de cet article : "Sur le territoire des stations classées (.) disposant depuis plus de deux ans d’un office de tourisme classé 4 étoiles (.) et justifiant de l’ouverture par jour, en moyenne, sur une période comprise entre le 1er décembre et le 31 mars, de plus de 200 chambres d’hôtel classées (.) le concessionnaire peut demander un agrément (.) pour autoriser le maintien en place au delà de la période d’exploitation (.) des établissements de plage démontables ou transportables (.)" ; que ces possibilités d’étendre la période pendant laquelle les installations sont maintenues sur la plage concédée à huit mois ou toute l’année, dans certains cas, dans les stations classées, compte tenu du régime particulier de ces stations et alors que les différences de traitement qui en résultent ne sont pas sans rapport avec l’objet de la mesure, ne sont pas contraires au principe d’égalité ;

Considérant que la circonstance que ces dispositions ne précisent pas si ces possibilités d’extension s’appliquent à la seule fraction de la plage située sur le territoire de la commune classée ou à l’ensemble de la plage concédée lorsque le concessionnaire est un groupement de communes ne suffisent pas à établir que celles-ci méconnaissent une exigence de sécurité juridique ;

Considérant qu’aux termes de l’article 13 du décret attaqué : "Lorsque le concessionnaire est une collectivité territoriale (.), il soumet les conventions d’exploitation à la procédure décrite aux articles L. 1411-1 à L. 1411-10 et L. 1411-13 à L. 1411-18 du code général des collectivités territoriales" ; qu’il résulte des dispositions des articles L. 1411-1 et R. 1411-1 de ce code, exigeant la publicité des caractéristiques essentielles d’une convention de délégation de service public, notamment son objet et sa nature, que les conventions par lesquelles un concessionnaire confie l’exploitation de lots de plages à des sous-traitants doivent mentionner la durée minimale d’exploitation et faire état de l’obtention de l’agrément préfectoral que définit l’article 3 du décret attaqué, aux fins d’exemption de démontage et d’ouverture annuelle d’au moins quarante-huit semaines pendant la durée de la concession ; que, par suite, les candidats disposent de l’ensemble des informations nécessaires sur les caractéristiques essentielles de la convention d’exploitation et, dès lors, la seule circonstance que les conditions d’exploitation soient subordonnées à une autorisation annuelle n’est pas de nature à rendre irrégulière la procédure d’attribution de ces conventions ;

Sur les conclusions dirigées contre l’article 14 :

Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article 14 du décret attaqué : "Lorsque le concessionnaire est une personne autre qu’une collectivité territoriale (.), il soumet les conventions d’exploitation à une procédure de publicité permettant la présentation de plusieurs offres concurrentes. Cette exigence de publicité est satisfaite par l’insertion d’une mention dans une publication habilitée à recevoir des annonces légales diffusée localement et dans une publication spécialisée correspondant au secteur économique concerné (.)" ; que ces dispositions, qui ne restreignent ni le champ géographique de la publicité, ni la possibilité pour les exploitants étrangers de répondre à ces appels d’offres, ne méconnaissent aucune règle relative à la transparence ou à l’égalité entre candidats ;

Sur les conclusions dirigées contre l’article 17 :

Considérant qu’aux termes de l’article 17 du décret attaqué : "Les concessions de plage peuvent être résiliées sans indemnité à la charge de l’Etat (.). La résiliation de la concession entraîne la résiliation de plein droit des conventions d’exploitation" ; que par ces dispositions, l’autorité réglementaire se borne à définir des mesures de gestion par l’Etat du domaine public maritime qui, n’étant pas prises en considération de la personne du concessionnaire ou de l’exploitant, ne constituent pas un régime de sanctions ; que, par suite, le moyen tiré de ce qu’elles méconnaissent les principes de proportionnalité des sanctions aux fautes et de personnalité des sanctions et les dispositions de l’article 1er du protocole n°1 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantissant le droit de propriété en prévoyant que la résiliation de la concession entraîne celle des conventions d’exploitation est inopérant ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la FEDERATION NATIONALE DES PLAGES RESTAURANTS n’est pas fondée à demander l’annulation du décret attaqué et de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande tendant à son retrait ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Etat, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la FEDERATION NATIONALE DES PLAGES RESTAURANTS au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la FEDERATION NATIONALE DES PLAGES RESTAURANTS est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la FEDERATION NATIONALE DES PLAGES RESTAURANTS, au Premier ministre, au ministre d’Etat, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire et au ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales.

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Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article2867