Conseil d’État, 15 Octobre 1993, ROYAUME-UNI DE GRANDE BRETAGNE ET D’IRLANDE DU NORD et GOUVERNEUR DE LA COLONIE ROYALE DE HONG-KONG

La décision rejetant une demande d’extradition est détachable de la conduite des relations diplomatiques de la France avec l’État dont émane cette demande ; que, par suite, la juridiction administrative est compétente pour connaître de la requête.

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 12 novembre 1992 et 11 mars 1993 au secrétariat du Contentieux du Conseil d’État, présentés pour le ROYAUME UNI DE GRANDE BRETAGNE ET D’IRLANDE DU NORD et par le GOUVERNEUR DE LA COLONIE ROYALE DE HONG-KONG ; les requérants demandent que le Conseil d’État annule la décision implicite de rejet résultant du silence gardé pendant plus de quatre mois par le garde des sceaux, ministre de la Justice et le président de la République sur leur recours gracieux du 19 mai 1992 dirigé contre la décision rejetant la demande d’extradition de M. Bin SANIMAN, contenue dans la lettre adressée le 20 mars 1992 par le ministre des affaires étrangères à l’ambassade de Grande-Bretagne en France ;

Vu la Convention d’extradition franco-britannique du 14 août 1876 modifiée par la Convention du 13 février 1896, la Convention du 17 octobre 1908 et l’échange de lettres du 16 février 1978 ;

Vu la loi du 10 mars 1927 ;

Vu l’ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Sur la compétence de la juridiction administrative :

Considérant que la décision rejetant une demande d’extradition est détachable de la conduite des relations diplomatiques de la France avec l’État dont émane cette demande ; que, par suite, la juridiction administrative est compétente pour connaître de la requête ;

Sur la compétence du Conseil d’État statuant en premier et dernier ressort :

Considérant que le refus opposé à une demande d’extradition a un champ d’application qui s’étend au-delà du ressort d’un seul tribunal administratif ; que, dès lors, par application de l’article 2-3° du décret du 30 septembre 1953, le Conseil d’État est compétent en premier et dernier ressort pour statuer sur la requête ;

Sur la recevabilité de la requête :

Considérant que la décision du garde des sceaux a été prise sur le recours gracieux conjointement formé au nom du gouvernement du ROYAUME-UNI DE GRANDE BRETAGNE ET D’IRLANDE DU NORD et du GOUVERNEUR DE LA COLONIE ROYALE DE HONG-KONG ; que les requérants justifient d’un intérêt leur donnant qualité pour contester le refus opposé à leur demande par le garde des sceaux ; que leur requête n’avait à être précédée d’aucune démarche auprès du Premier ministre ; qu’elle pouvait être présentée par un avocat aux Conseils ; qu’il suit de là que le garde des sceaux et M. SANIMAN ne sont pas fondés à soutenir qu’elle était irrecevable ;

Sur la légalité :

Considérant qu’en vertu de ses articles 27 et 28 la Convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957 ne s’applique pas au territoire de la colonie royale de Hong-Kong où demeure en vigueur la Convention franco-britannique d’extradition modifiée du 14 août 1876 applicable, aux termes de son article 16 "dans les colonies et autres possessions étrangères des deux hautes parties contractantes" au nombre desquelles figure la colonie royale de Hong-Kong possédée par la Grande-Bretagne en vertu du traité modifié du 29 août 1842 signé avec la Chine ;

Considérant que la demande d’extradition a été adressée, comme l’exige la convention du 14 août 1876 par le gouvernement britannique ; qu’il ressort des pièces du dossier qu’elle a, conformément à l’article 6 de ladite convention, été présentée par un agent diplomatique ;

Considérant que, par un arrêt en date du 30 octobre 1990, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Versailles, statuant sur la demande d’extradition de M. SANIMAN, a émis un avis défavorable en ce qui concerne vingt-huit des trente-trois chefs d’inculpation le concernant et un avis favorable en ce qui concerne les cinq autres chefs ;

En ce qui concerne les chefs d’inculpation 5 et 9 :

Considérant que sous ces chefs d’inculpation il est reproché à M. SANIMAN d’avoir joué un rôle décisif dans la création de sociétés fictives au bénéfice desquelles des emprunts auraient été consentis en dissimulant l’identité des véritables bénéficiaires desdits emprunts, et dans le versement desdites sommes à ces sociétés ; que la circonstance, à la supposer établie, que certaines des manœuvres frauduleuses imputées à M. SANIMAN auraient été postérieures aux versements précités est sans influence sur la qualification juridique des faits, qui seraient constitutifs d’une entente en vue de commettre une escroquerie, punissable tant en droit français qu’en droit britannique et figurant à l’article 3 de la convention d’extradition franco-britannique du 14 août 1876 ; qu’en refusant, en ce qui concerne lesdits chefs, l’extradition de M. SANIMAN, le ministre de la justice a entaché sa décision d’une erreur de droit ;

En ce qui concerne les chefs d’inculpation 21, 22 et 23 :

Considérant que si les faits reprochés à M. SANIMAN qualifiés, dans une première demande d’extradition de "vol d’un droit incorporel de créance", ont donné lieu à un avis défavorable de la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris en date du 4 novembre 1987 la nouvelle demande d’extradition fondée sur l’inculpation d’appropriation de biens par tromperie contenait des faits nouveaux concernant notamment la qualité de mandataire de M. Bin SANIMAN, et sa qualité de supérieur hiérarchique de la personne qui a concouru aux faits reprochés ; qu’eu égard à l’importance de ces faits nouveaux c’est à bon droit que, par son avis précité, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Versailles a regardé les faits reprochés à M. SANIMAN comme constitutifs d’un abus de confiance, et émis, en ce qui les concernait un avis favorable à la demande d’extradition des autorités britanniques ; qu’en s’estimant sur ces points lié par l’avis défavorable antérieur de la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris, le ministre de la justice a entaché sa décision d’une erreur de droit ;

D E C I D E :

Article premier : La décision portant refus de la demande d’extradition de M. SANIMAN, notifiée par note du 20 mars 1992, ensemble la décision implicite de rejet résultant du silence gardé pendant plus de quatre mois par le garde des sceaux, ministre de la justice, sur le recours gracieux formé contre cette décision sont annulées.

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