En prévoyant l’applicabilité immédiate des dispositions de l’article L. 1142-28 du code de la santé publique, l’article 101 de la loi du 4 mars 2002 a porté à dix ans le délai de prescription des créances qui n’étaient pas prescrites à la date de publication de la loi mais n’a pas relevé de la prescription les créances qui, à cette date, étaient déjà prescrites par application de la loi du 31 décembre 1968. Une créance pour laquelle le délai de quatre ans prévu par cette loi était expiré à la date de publication de la loi du 4 mars 2002 doit être regardée comme ayant été prescrite alors même que la prescription n’avait pas été opposée antérieurement par la personne publique débitrice.
CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N°s 287136, 287498
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DES COTES D’ARMOR
CENTRE HOSPITALIER DE DINAN
M. Jean-Yves Rossi
Rapporteur
M. Jean-Philippe Thiellay
Commissaire du gouvernement
Séance du 11 février 2008
Lecture du 5 mars 2008
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 5ème et 4ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 5ème sous-section de la section du contentieux
Vu, 1°) sous le numéro 287136, la requête, enregistrée le 16 novembre 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour la CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DES COTES D’ARMOR, dont le siège est 106, boulevard Hoche à Saint-Brieuc Cedex (22024) ; la CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DES COTES D’ARMOR demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 28 juillet 2005 par lequel la cour administrative d’appel de Nantes a réformé l’article 6 du jugement du 2 juillet 2003 du tribunal administratif de Rennes en déduisant la somme de 18 977, 80 euros de la somme au paiement de laquelle le centre hospitalier de Dinan a été condamné à verser à la CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DES COTES D’ARMOR ;
2°) réglant l’affaire au fond, de condamner le centre hospitalier de Dinan au paiement à la CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DES COTES D’ARMOR des sommes réclamées par elle en première instance ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu 2°) sous le numéro 287498, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 25 novembre 2005 et 27 mars 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour le CENTRE HOSPITALIER DE DINAN, dont le siège est rue de Chateaubriand B.P. 56 à Dinan Cedex (22101) ; le CENTRE HOSPITALIER DE DINAN demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 28 juillet 2005 par lequel la cour administrative d’appel de Nantes a, d’une part, rejeté sa requête tendant à l’annulation du jugement du 2 avril 2003 du tribunal administratif de Rennes le condamnant à verser à Mme Brigitte H. une somme de 15 000 euros et à M. Johann T. une somme de 5000 euros en réparation du préjudice causé par les fautes commises lors de la naissance d’Hélène H. et ordonnant un supplément d’instruction et, d’autre part, n’a que partiellement fait droit à sa seconde requête tendant à l’annulation du jugement du 2 juillet 2003 du tribunal administratif de Rennes le condamnant à verser à Mme Brigitte H., en qualité d’administratrice légale de sa fille Hélène, une rente annuelle de 28 000 euros, à Mme Brigitte H. des intérêts légaux sur la somme de 15 000 euros, à M. T. des intérêts légaux sur la somme de 5 000 euros et a décidé que les débours exposés par la caisse primaire d’assurance maladie des Côtes-d’Armor s’imputeront sur la rente versée à Mme H. dans la limite des trois quarts de celle-ci ;
2°) réglant l’affaire au fond, d’annuler les jugements du 2 avril 2003 et du 2 juillet 2003 du tribunal administratif de Rennes le condamnant et de rejeter les demandes présentées par Mme H., M. T. et la caisse primaire d’assurance-maladie des Côtes d’Armor devant ce tribunal ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Jean-Yves Rossi, Conseiller d’Etat,
les observations de Me de Nervo, avocat de la CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DES COTES D’ARMOR, de Me Le Prado, avocat du CENTRE HOSPITALIER DE DINAN et de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de Mme Brigitte H. et M. Johann T.,
les conclusions de M. Jean-Philippe Thiellay, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes du CENTRE HOSPITALIER DE DINAN et de la CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DES COTES-D’ARMOR sont dirigées contre le même arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes ; qu’il y a lieu de les joindre pour y statuer par une seule décision ;
Sur le pourvoi du CENTRE HOSPITALIER DE DINAN :
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme H. a été admise le 10 février 1992 au CENTRE HOSPITALIER DE DINAN pour un accouchement déclenché par anticipation ; que les difficultés apparues au cours du travail et des signes de souffrance fœtale ont conduit à une extraction par l’utilisation de forceps ; qu’à sa naissance, l’enfant, Hélène, a été placée sous respiration artificielle puis transférée en service de réanimation ; qu’elle a par la suite présenté une infirmité motrice cérébrale entraînant une invalidité permanente évaluée à 90 % ;
Considérant qu’en énonçant qu’il résultait de l’instruction et notamment du rapport d’expertise que le médecin avait appliqué les forceps sans avoir une connaissance exacte du mode de présentation de l’enfant, la cour a caractérisé la faute médicale qui engageait à ses yeux la responsabilité du centre hospitalier ; que son arrêt est suffisamment motivé sur ce point ;
Considérant que pour juger que le dommage subi par l’enfant était la conséquence directe de la faute ainsi commise, la cour a relevé, en se fondant sur les indications contenues dans le rapport d’expertise, que l’infirmité ne pouvait être due qu’aux conditions de l’accouchement et que l’état de l’enfant à sa naissance et les convulsions qu’il avait alors présentées établissaient suffisamment le lien entre le dommage et les conditions d’utilisation des forceps ; que, répondant aux objections soulevées par le centre hospitalier, la cour a ajouté que " l’expert ne s’est pas borné à émettre de simples hypothèses mais a fait part de son avis étayé par un raisonnement scientifique dont la rigueur ne peut être remise en cause par le fait de relativiser la portée de certains éléments et de ne pas retenir systématiquement une certitude absolue " ; qu’en portant ces appréciations dans le cadre de son pouvoir souverain, la cour n’a pas dénaturé les faits de l’espèce, ni les conclusions de l’expert ; qu’elle n’était pas tenue de répondre à tous les arguments invoqués par le centre hospitalier à l’appui de son affirmation selon laquelle le dommage était lié à l’état de santé de la mère ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le CENTRE HOSPITALIER DE DINAN n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêt attaqué, en tant qu’il le juge responsable des dommages subis par Hélène H. et ses proches ;
Sur le pourvoi de la CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DES COTES D’ARMOR :
En ce qui concerne la prescription des créances relatives aux prestations versées par la caisse en 1992 et 1993 :
Considérant que la CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DES COTES D’ARMOR conteste l’arrêt en tant qu’il juge que ses créances relatives aux prestations qu’elle avait versées au cours des années 1992 et 1993 étaient atteintes par la prescription quadriennale instituée par la loi du 31 décembre 1968 ; qu’elle soutient que la cour a commis une erreur de droit en faisant application des dispositions de cette loi alors que la prescription quadriennale n’avait été opposée par le CENTRE HOSPITALIER DE DINAN qu’à une date postérieure à la publication de la loi du 4 mars 2002 qui a institué un délai de prescription de dix ans pour les actions tendant à mettre en cause la responsabilité des professionnels de santé ou des établissements de santé publics ou privés à l’occasion d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins ;
Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l’Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n’ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. Sont prescrites dans le même délai et sous la même réserve, les créances sur les établissements publics dotés d’un comptable public " ; qu’aux termes de l’article L. 1142-28 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé : " Les actions tendant à mettre en cause la responsabilité des professionnels de santé ou des établissements de santé publics ou privés à l’occasion d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins se prescrivent par dix ans à compter de la consolidation du dommage " ; qu’en vertu du deuxième alinéa de l’article 101 de la même loi, ces dispositions sont " immédiatement applicables, en tant qu’elles sont favorables à la victime ou à ses ayants droit, aux actions en responsabilité, y compris aux instances en cours n’ayant pas donné lieu à une décision irrévocable " ;
Considérant qu’en prévoyant l’applicabilité immédiate des dispositions de l’article L. 1142-28 du code de la santé publique, l’article 101 de la loi du 4 mars 2002 a porté à dix ans le délai de prescription des créances qui n’étaient pas prescrites à la date de publication de la loi mais n’a pas relevé de la prescription les créances qui, à cette date, étaient déjà prescrites par application de la loi du 31 décembre 1968 ; qu’une créance pour laquelle le délai de quatre ans prévu par cette loi était expiré à la date de publication de la loi du 4 mars 2002 doit être regardée comme ayant été prescrite alors même que la prescription n’avait pas été opposée antérieurement par la personne publique débitrice ; que, par suite, la CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DES COTES D’ARMOR, qui ne conteste pas les motifs de l’arrêt selon lesquels le délai de la prescription quadriennale était expiré, en ce qui concerne les créances relatives aux prestations versées en 1992 et 1993, lorsque Mme H. a présenté une demande en référé-expertise en décembre 1998, n’est pas fondée à soutenir que la cour a commis une erreur de droit en n’appliquant pas à ces créances les dispositions issues de la loi du 4 mars 2002 ;
En ce qui concerne l’application par la cour des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le CENTRE HOSPITALIER DE DINAN n’avait formé, devant les juges d’appel, aucune demande fondée sur les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu’ainsi en mettant à la charge de la CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DES COTES-D’ARMOR une somme de 1 500 euros correspondant aux frais exposés par le CENTRE HOSPITALIER DE DINAN et non compris dans les dépens, la cour a statué au-delà des conclusions dont elle était saisie ; que la caisse est dès lors fondée à demander l’annulation de l’article 6 de l’arrêt attaqué ;
Sur les conclusions présentées devant le Conseil d’Etat tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge du CENTRE HOSPITALIER DE DINAN les frais exposés par les défendeurs au pourvoi n°287498 ; que le centre hospitalier versera à ce titre une somme 3 500 euros à Mme H. et à M. T. et une somme de 3 000 euros à la CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DES COTES D’ARMOR ; qu’en revanche, les conclusions présentées par la caisse primaire sous le n°287136, tendant à ce que les frais exposés par elle soient mis à la charge de l’Etat, ne sauraient être accueillies dès lors que l’Etat n’est pas partie à l’instance ;
D E C I D E :
Article 1er : L’article 6 de l’arrêt du 28 juillet 2005 de la cour administrative d’appel de Nantes est annulé.
Article 2 : La requête présentée par le CENTRE HOSPITALIER DE DINAN et le surplus des conclusions de la requête présentée par la CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DES COTES-D’ARMOR sont rejetés.
Article 3 : Le CENTRE HOSPITALIER DE DINAN versera, au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme 3 500 euros à Mme H. et à M. T. et une somme de 3 000 euros à la CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DES COTES D’ARMOR.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DES COTES D’ARMOR, à Mme Brigitte H., à M. Johann T. et au CENTRE HOSPITALIER DE DINAN.
Copie en sera adressée au ministre de la santé, de la jeunesse et des sports.
_________________
Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article2771