Conseil d’Etat, 30 janvier 2008, n° 279412, Yves V.

Ces dispositions législatives établissent à la charge de l’Etat une obligation de protection au profit des militaires qui ont fait l’objet de poursuites pénales à l’occasion de faits survenus dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions. Toutefois, le ministre de la défense peut, sous le contrôle du juge, rejeter la demande du militaire qui sollicite le bénéfice de cette protection en excipant du caractère personnel de la ou des fautes ayant conduit à l’engagement de la procédure pénale.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N°s 279412, 285157, 285158

M. V.

M. Alban de Nervaux
Rapporteur

M. Nicolas Boulouis
Commissaire du gouvernement

Séance du 9 janvier 2008
Lecture du 30 janvier 2008

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 7ème et 2ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 7ème sous-section de la Section du contentieux

Vu 1°), sous le n° 279412, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 7 avril et 21 juillet 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Yves V. ; M. V. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler la décision du 11 février 2005 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande tendant au bénéfice de la protection juridique prévue par la loi du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires, et notamment son article 24 ;

2°) d’enjoindre au ministre de la défense de lui accorder le bénéfice de la protection juridique prévue par la loi précitée ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu, 2°), sous le n° 285157 la requête, enregistrée le 15 septembre 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour M. Yves V., demeurant Résidence Rodin, 66 rue de l’Egalité à Issy-les-Moulineaux (92130) ; M. V. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler la décision implicite née du silence gardé par le ministre de la défense, après avis de la commission des recours des militaires, sur le recours dirigé contre la décision du 11 février 2005 par laquelle le ministre avait rejeté sa demande tendant au bénéfice de la protection juridique prévue par la loi du 13 juillet 1972, portant statut général des militaires, et notamment son article 24 ;

2°) d’enjoindre au ministre de la défense de lui accorder le bénéfice de la protection juridique prévue par la loi ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 4 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu 3°), sous le n° 285158, la requête, enregistrée le 15 septembre 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour M. Yves V., demeurant Résidence Rodin, 66 rue de l’Egalité à Issy-les-Moulineaux (92130) ; M. V. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler la décision du 11 août 2005 par laquelle le ministre de la défense, après avis de la commission des recours des militaires, a rejeté sa demande tendant au bénéfice de la protection juridique prévue par la loi du 13 juillet 1972, portant statut général des militaires, et notamment son article 24 ;

2°) d’enjoindre au ministre de la défense de lui accorder le bénéfice de la protection juridique prévue par la loi précitée ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 4 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la défense ;

Vu le décret n° 2001-407 du 7 mai 2001 modifié ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alban de Nervaux, Auditeur,

- les observations de la SCP Laugier, Caston, avocat de M. V.,

- les conclusions de M. Nicolas Boulouis, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que les requêtes susvisées présentées par M. V. sont relatives à un même litige ; qu’il y a lieu de les joindre pour y statuer par une même décision ;

Considérant qu’aux termes de l’article 15 de la loi du 24 mars 2005 portant statut général des militaires, désormais codifié à l’article L. 4223-10 du code de la défense : " Les militaires sont protégés par le code pénal et les lois spéciales contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils peuvent être l’objet. /L’Etat est tenu de les protéger contre les menaces et attaques dont ils peuvent être l’objet à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté / (.) L’Etat est également tenu d’accorder sa protection au militaire dans le cas où il fait l’objet de poursuites pénales à l’occasion de faits qui n’ont pas le caractère d’une faute personnelle. " ; que ces dispositions législatives établissent à la charge de l’Etat une obligation de protection au profit des militaires qui ont fait l’objet de poursuites pénales à l’occasion de faits survenus dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions ; que toutefois, le ministre de la défense peut, sous le contrôle du juge, rejeter la demande du militaire qui sollicite le bénéfice de cette protection en excipant du caractère personnel de la ou des fautes ayant conduit à l’engagement de la procédure pénale ;

Considérant qu’à la suite de rapports d’enquête administrative portant sur des marchés informatiques passés par la direction des constructions navales, le délégué général pour l’armement a saisi, le 17 mai 2001, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris en application de l’article 40 du code de procédure pénale ; que des documents complémentaires ont été, en application du même article, transmis au parquet le 30 août 2002 ; que M. V., ingénieur en chef des études et techniques d’armement, qui avait occupé les fonctions d’adjoint au chef de bureau informatique de la direction des constructions navales d’août 1983 à octobre 1992 puis de chef de ce bureau de novembre 1992 à septembre 1996, a été, à la suite de ces transmissions, mis en examen le 26 septembre 2002 pour infraction au code des marchés publics, corruption et trafic d’influence ; qu’à deux reprises, le ministre de la défense a rejeté la demande de protection juridique présentée par M. V. sur le fondement des dispositions de l’article 24 de la loi du 13 juillet 1972 alors en vigueur, reprises par l’article 15 précité de la loi du 24 mars 2005 ; qu’à la suite de l’ordonnance de non lieu rendue le 29 novembre 2004 par le premier juge d’instruction au tribunal d’instance de Paris, M. V. a renouvelé sa demande tendant au bénéfice de la protection juridique ; que cette protection lui a été refusée par une décision du 11 février 2005 ; que le silence gardé par l’administration sur le recours préalable introduit par l’intéressé contre cette décision devant la commission de recours des militaires a fait naître, à l’expiration du délai de quatre mois à compter de la saisine de la commission le 24 mars 2005, une décision implicite de rejet, qui a fait l’objet d’une décision expresse de confirmation, le 11 août 2005 ;

Sur les conclusions tendant à l’annulation de la décision du 11 février 2005 :

Considérant qu’aux termes de l’article 1er du décret du 7 mai 2001 modifié : "Il est institué auprès du ministre de la défense une commission des recours des militaires chargée d’examiner les recours formés par les militaires à l’encontre d’actes relatifs à leur situation personnelle relevant de la compétence du ministre de la défense, à l’exception de ceux concernant leur recrutement ou l’exercice du pouvoir disciplinaire./ La saisine de la commission est un préalable obligatoire à l’exercice d’un recours contentieux, à peine d’irrecevabilité de ce dernier." ;

Considérant que l’institution par ces dispositions d’un recours administratif, préalable obligatoire à la saisine du juge, a pour effet de laisser à l’autorité compétente pour en connaître le soin d’arrêter définitivement la position de l’administration ; qu’il s’ensuit que la décision prise à la suite du recours se substitue nécessairement à la décision initiale ; qu’elle est seule susceptible d’être déférée au juge de la légalité ;

Considérant que la décision du ministre de la défense du 11 août 2005, prise après avis de la commission des recours des militaires, s’est nécessairement substituée à la décision du 11 février 2005 ; que, dès lors, les conclusions de la requête de M. V. tendant à l’annulation de cette dernière décision sont irrecevables ;

Sur les conclusions tendant à l’annulation de la décision implicite née du silence gardé par le ministre de la défense, après avis de la commission des recours des militaires, sur le recours dirigé par M. V. contre la décision du 11 février 2005 :

Considérant que ces conclusions doivent être regardées comme dirigées contre la décision expresse du 11 août 2005, qui l’a confirmée ;

Sur les conclusions tendant à l’annulation de la décision du 11 août 2005, rejetant, après avis de la commission des recours des militaires, la demande de M. V. tendant au bénéfice de la protection juridique :

Considérant que l’autorité de la chose jugée en matière pénale ne s’attache qu’aux décisions des juridictions de jugement qui statuent sur le fond de l’action publique ; que tel n’est pas le cas des ordonnances de non-lieu que rendent les juges d’instruction, quelles que soient les constatations sur lesquelles elles sont fondées ; qu’ainsi le moyen tiré de ce que le ministre de la défense aurait méconnu l’autorité de la chose jugée par l’ordonnance de non lieu rendue le 29 novembre 2004 ne peut qu’être écarté ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier et notamment de rapports administratifs établis les 29 mai 1998, 25 mai 1999, 21 mars 2000 et 11 février 2001 que, pendant la période allant de 1991 à 1997, de graves et nombreuses irrégularités ont affecté la passation des marchés de la direction des constructions navales ; que ces irrégularités, ayant donné lieu à l’information judiciaire et aux poursuites pénales pour lesquelles M. V. a demandé le bénéfice de la protection juridique, mettent notamment en cause son rôle personnel en qualité d’ adjoint au chef du bureau informatique puis de chef de ce bureau de novembre 1992 à septembre 1996 ; que peut être imputé à M. V. la conclusion de marchés avec une société gérée par son fils, à une période où il était adjoint au chef de ce bureau ; qu’à supposer même que ne soient pas établis les autres faits sur lesquels s’est fondé le ministre de la défense dans la décision contestée, il résulte de l’instruction qu’eu égard à la nature et à la gravité du manquement ainsi relevé, il aurait pris la même décision en se fondant exclusivement sur le motif tiré de la conclusion par l’intéressé de marchés avec une société gérée par son fils ; que, dès lors, le ministre de la défense a fait une exacte application des dispositions précitées en estimant, pour refuser la protection juridique demandée par M. V., que ce dernier avait commis à ce titre une faute personnelle ; qu’il ne s’est pas fondé, ce faisant, sur des circonstances matériellement inexactes ;

Considérant enfin que le moyen tiré de ce que le ministre de la défense aurait commis une inexactitude matérielle en relevant qu’une procédure disciplinaire avait été envisagée à l’encontre de M. V. manque en fait dès lors que la décision attaquée ne mentionne pas ce point ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. V. n’est pas fondé à demander l’annulation de la décision implicite et de la décision explicite qui l’a confirmée du 11 août 2005, laquelle est suffisamment motivée, rejetant, après avis de la commission des recours des militaires, la demande de M. V. tendant au bénéfice de la protection juridique ; que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d’injonction et ses conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, doivent être rejetées ;

D E C I D E :

Article 1er : Les requêtes de M. V. sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Yves V. et au ministre de la défense.

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