Conseil d’Etat, 30 juin 2004, n° 242893, Société Akzo Nobel

Les dispositions de l’article L. 208 du livre des procédures fiscales ne visent que les remboursements effectués au profit d’un contribuable en conséquence d’un dégrèvement prononcé par le juge de l’impôt ou par l’administration chargée d’établir l’impôt et consécutif à la présentation, par ce contribuable, d’une réclamation contentieuse entrant dans les prévisions de l’article L. 190. En particulier, n’entrent pas dans le champ d’application de l’article L. 208 les restitutions de versements exédentaires d’impôt sur les sociétés opérées sur le fondement de l’article 1688-2 par les agents comptables, fussent-elles intervenues à la demande du contribuable.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 242893

SOCIETE AKZO NOBEL

M. Bereyziat
Rapporteur

M. Collin
Commissaire du gouvernement

Séance du 9 juin 2004
Lecture du 30 juin 2004

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 8ème et 3ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 8ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 11 février et 13 mars 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SOCIETE AKZO NOBEL, dont le siège est 34, avenue Léon-Jouhaux, B.P. 109 à Antony (92164 cedex) ; la SOCIETE AKZO NOBEL demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler les articles 1er et 2 de l’arrêt du 5 décembre 2001 par lesquels la cour administrative d’appel de Douai a, en premier lieu, sur recours du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, annulé le jugement du 15 mai 1997 par lequel le tribunal administratif de Lille avait condamné l’Etat à verser à la société Courtaulds France, aux droits de laquelle est venue la société requérante, des intérêts moratoires portant respectivement sur les sommes de 12 401 280 F, 431 744 F, 3 265 581 F et 9 320 F représentatives d’acomptes provisionnels d’impôt sur les sociétés versés en excès au Trésor public, en second lieu, rejeté la demande de la société Courtaulds France présentée devant ce tribunal, ainsi que les conclusions de son appel incident tendant à ce que les intérêts moratoires susmentionnés portent eux-mêmes intérêt au taux légal ;

2°) statuant au fond, de condamner l’Etat à lui verser l’ensemble de ces intérêts ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 100 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ensemble l’article 1er de son premier protocole additionnel ;

Vu le code civil, notamment son article 1153 ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bereyziat, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Lesourd, avocat de la SOCIETE AKZO NOBEL,
- les conclusions de M. Collin, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société holding Courtaulds France, contrôlant plusieurs sociétés établies en France, a opté, au cours du premier exercice suivant sa constitution, pour le régime d’intégration fiscale ouvert aux groupes de sociétés par les dispositions des articles 223 A à 223 Q du code général des impôts ; que le premier exercice de la société holding, clos le 31 mars 1989, s’étant révélé déficitaire, l’intéressée a demandé aux services du Trésor, le 13 juillet 1989, que lui soient reversés, en application des dispositions du 2 de l’article 1668 du code général des impôts, les acomptes provisionnels d’impôt sur les sociétés acquittés par ses filiales au titre dudit exercice, à concurrence d’une somme totale de 17 003 776 F ; que cette demande préalable n’ayant connu aucune suite, la société holding a introduit, aux mêmes fins, une réclamation contentieuse datée du 12 septembre 1989 et reçue le lendemain par les services fiscaux ; que ces derniers ont alors procédé aux remboursements sollicités, sous la forme de quatre versements intervenus entre le 19 avril 1990 et le 12 décembre 1990 ; que, le 8 janvier 1991, la société Courtaulds France a introduit une seconde réclamation contentieuse, tendant cette fois au paiement d’intérêts moratoires au taux légal sur ces excédents d’imposition, décomptés du 13 septembre 1989 jusqu’aux dates de leurs remboursements respectifs ; que cette seconde réclamation ayant été expressément rejetée le 30 avril 1991, la société holding a saisi aux mêmes fins le tribunal administratif de Lille qui, par un jugement du 15 mai 1997, a condamné l’Etat au paiement des intérêts moratoires mentionnés ci-dessus ; que l’administration fiscale a interjeté appel de ce jugement devant la cour administrative d’appel de Douai ; qu’au cours de cette instance, la société holding AKZO NOBEL, venant aux droits de la société Courtaulds France, a présenté des conclusions incidentes tendant à ce que lui soient alloués des intérêts sur les intérêts moratoires prévus par le jugement ; que la SOCIETE AKZO NOBEL se pourvoit en cassation contre les articles 1er et 2 de l’arrêt du 5 décembre 2001 par lesquels la cour a fait droit au recours du ministre et annulé le jugement mentionné ci-dessus, puis rejeté la demande qu’elle avait formée devant les premiers juges ainsi que les conclusions de son appel incident ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner les moyens de la requête ;

Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article L. 190 du livre des procédures fiscales : "Les réclamations relatives aux impôts (.) établis ou recouvrés par les agents de l’administration, relèvent de la juridiction contentieuse lorsqu’elles tendent à obtenir soit la réparation d’erreurs commises dans l’assiette ou le calcul des impositions, soit le bénéfice d’un droit résultant d’une disposition législative ou réglementaire" ; qu’aux termes de l’article L. 208 du même livre : "Quand l’Etat est condamné à un dégrèvement d’impôt par un tribunal ou quand un dégrèvement est prononcé par l’administration à la suite d’une réclamation tendant à la réparation d’une erreur commise dans l’assiette ou le calcul des impositions, les sommes déjà perçues sont remboursées au contribuable et donnent lieu au paiement d’intérêts moratoires dont le taux est celui de l’intérêt légal (.)" ; qu’enfin, aux termes du 2 de l’article 1668 du code général des impôts : "Dès la remise de la déclaration prévue au 1 de l’article 223, il est procédé à une liquidation de l’impôt dû à raison des résultats de la période visée par cette déclaration. S’il résulte de cette liquidation un complément d’impôt au profit du Trésor, il est immédiatement acquitté. Si la liquidation fait apparaître que les acomptes versés sont supérieurs à l’impôt dû, l’excédent est restitué dans les trente jours de la date de dépôt des bordereaux-avis de versement" ;

Considérant que les dispositions précitées de l’article L. 208 du livre des procédures fiscales ne visent que les remboursements effectués au profit d’un contribuable en conséquence d’un dégrèvement prononcé par le juge de l’impôt ou par l’administration chargée d’établir l’impôt et consécutif à la présentation, par ce contribuable, d’une réclamation contentieuse entrant dans les prévisions de l’article L. 190 précité ; qu’en particulier, n’entrent pas dans le champ d’application de l’article L. 208 les restitutions de versements exédentaires d’impôt sur les sociétés opérées sur le fondement de l’article 1688-2 par les agents comptables, fussent-elles intervenues à la demande du contribuable ; que, dès lors, en se fondant sur les dispositions de l’article L. 208 pour statuer sur les conclusions dont ils étaient saisis, les juges d’appel ont méconnu le champ d’application de la loi fiscale ; que ce motif, qui est d’ordre public, justifie à lui seul la cassation des articles 1er et 2 de l’arrêt attaqué ;

Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu pour le Conseil d’Etat de faire application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler, dans cette mesure, l’affaire au fond ;

Sur la demande d’intérêts moratoires présentée par la société Courtaulds France :

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que c’est à tort que, pour faire droit à la demande d’intérêts moratoires présentée par la société Courtaulds France, le tribunal administratif de Lille s’est fondé sur les dispositions de l’article L. 208 du livre des procédures fiscales ;

Considérant qu’il appartient au Conseil d’Etat, saisi de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par la société contribuable devant le tribunal administratif de Lille et devant le juge d’appel ;

Considérant que, dans le dernier état de ses écritures, la SOCIETE AKZO NOBEL soutient que la demande d’intérêts moratoires formée par la société aux droits de laquelle elle est venue doit être accueillie, à titre principal, sur le fondement des dispositions de l’article 1153 du code civil, à titre subsidiaire, par application du principe général du droit prohibant tout enrichissement sans cause et enfin, à titre très subsidiaire, en vertu des stipulations des articles 6 § 1, 13 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de celles de l’article 1er du premier protocole ajouté à cette convention ;

Considérant, en premier lieu, que les dispositions de l’article 1153 du code civil, selon lesquelles celui qui est tenu de restituer une somme indûment reçue doit les intérêts de cette somme à compter du jour de la sommation de payer, s’appliquent, sauf disposition législative spéciale, en cas de retard pris par une personne publique à exécuter une obligation consistant dans le paiement d’une somme d’argent ; qu’elles peuvent ainsi être utilement invoquées par un contribuable dans l’hypothèse, non couverte par l’article L. 208 du livre des procédures fiscales, de la restitution par les services chargés du recouvrement d’un excédent de versement d’imposition ;

Considérant, toutefois, qu’ainsi qu’il a été dit ci-dessus, le 2 de l’article 1668 du code général des impôts ne prévoit la restitution des acomptes d’impôt sur les sociétés versés en excès de l’impôt dû que dans les trente jours de la date du dépôt, par le contribuable, des bordereaux-avis de versement de ces acomptes ; qu’il n’est pas contesté qu’aucune des demandes de remboursement d’acomptes provisionnels formées les 13 juillet 1989 et 12 septembre 1989 par la société Courtaulds France ne comportait les bordereaux-avis de versement, par ses filiales, des acomptes dont s’agit ; qu’il résulte en outre de l’instruction que la société s’est abstenue de compléter ses demandes par la production des bordereaux-avis, avant qu’interviennent, entre le 19 avril 1990 et le 12 décembre 1990, les remboursements successifs des acomptes litigieux ; qu’ainsi, aux dates de ces remboursements, aucune obligation n’était née, dans le chef de l’administration fiscale, de payer les créances détenues sur le Trésor par la société contribuable ; que, par suite, le délai de trente jours imparti à l’administration fiscale par l’article 1688-2 précité pour exécuter cette obligation n’avait pas commencé à courir ; qu’il suit de là que la SOCIETE AKZO NOBEL n’est pas fondée à demander, sur le fondement de l’article 1153 du code civil, le versement d’intérêts moratoires du chef de remboursements prétendument tardifs auxquels l’administration en charge du recouvrement de l’impôt n’était, dans les circonstances de l’espèce, pas légalement tenue de procéder ; que les allégations de la SOCIETE AKZO NOBEL, selon lesquelles les services fiscaux seraient tenus, avant de rejeter comme irrecevable une demande de remboursement d’acomptes non assortie des bordereaux-avis de versement, d’inviter le contribuable à régulariser sa demande, ne sont d’aucune incidence sur ce point ;

Considérant, en second lieu, que la SOCIETE AKZO NOBEL n’est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que le principe général du droit prohibant l’enrichissement sans cause, ainsi que les droits qu’elle tire des stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou de l’article 1er du 1er protocole additionnel à cette convention, seraient méconnus du seul fait que les dispositions précitées du 2 de l’article 1688 du code général des impôts subordonnent au respect des formalités mentionnées ci-dessus le remboursement de créances détenues sur le Trésor par des contribuables et s’opposent ainsi, dans les circonstances de l’espèce, à ce qu’il soit fait droit à sa demande d’intérêts moratoires ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que c’est à tort que, par son jugement du 15 mai 1997, le tribunal administratif de Lille a fait droit à la demande dont la société Courtaulds France l’avait saisi ; qu’il y a lieu, par suite, d’annuler ce jugement et de rejeter cette demande ;

Sur les conclusions incidentes de la SOCIETE AKZO NOBEL :

Considérant qu’ainsi qu’il a été dit ci-dessus, la demande d’intérêts moratoires formée par la société Courtaulds France doit être rejetée ; que, par voie de conséquence, les conclusions incidentes de la SOCIETE AKZO NOBEL tendant à ce que l’Etat soit condamné à lui payer, pour la période du 8 janvier 1991 au 4 septembre 1997, les intérêts au taux légal sur les sommes qu’il lui a versées à titre d’intérêts moratoires ne peuvent qu’être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que la somme que la SOCIETE AKZO NOBEL demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens soit mise à la charge de l’Etat, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance ;

D E C I D E :

Article 1er : Les articles 1er et 2 de l’arrêt du 5 décembre 2001 de la cour administrative d’appel de Douai et le jugement du 15 mai 1997 du tribunal administratif de Lille sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par la société Courtaulds France devant le tribunal administratif de Lille, les conclusions incidentes de la SOCIETE AKZO NOBEL devant la cour administrative d’appel de Douai et le surplus des conclusions de la requête présentée par cette dernière société devant le Conseil d’Etat, sont rejetés.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE AKZO NOBEL et au ministre d’Etat, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

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