Cour administrative d’appel de Marseille, 13 janvier 2004, n° 99MA02005, Danièle P.

La sous-concession par une commune d’un lot de plages en vue d’y assurer l’équipement, l’entretien et l’exploitation des plages constitue une délégation de service public.

COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE MARSEILLE

N° 99MA02005

Mme P.

M. BERNAULT
Président

M. DUCHON-DORIS
Rapporteur

M. BEDIER
Commissaire du gouvernement

Arrêt du 13 janvier 2004

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE MARSEILLE

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d’appel de Marseille le 5 octobre 1999 sous le n° 99MA02005, présentée pour Mme P. Danièle, par Me WAGNER, avocat au barreau de Nice ;

Mme P. demande à la Cour :

1°/ d’annuler le jugement n° 96-2006/97-528/97-530 en date du 15 juin 1999 du Tribunal administratif de Nice en tant qu’il a rejeté les conclusions de sa requête tendant à l’annulation de la décision en date du 6 mai 1996 de la commission d’adjudication, confirmée par délibération du conseil municipal de Beaulieu sur mer du 24 mai 1996, de ne pas retenir la candidature de l’intéressée pour le lot de plage n° 3 comportant kiosque de glacier ;

2°/ d’annuler lesdites décisions ;

3°/ de condamner la commune de Beaulieu sur mer à lui payer la somme de 10.000 F en application de l’article L.761-1 du code de justice administrative ;

Mme P. soutient que :

- le tribunal n’a pas satisfait aux dispositions de l’article R.153-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel en ne demandant pas aux parties de présenter leurs observations sur la nullité invoquée d’office de la circulaire ministérielle du 25 février 1991 et du droit de préférence institué par l’article 5 du règlement d’adjudication ;

- il y a lieu de faire application des articles 96 bis dernier alinéa du code des marchés publics et d’ordonner la production aux débats du procès-verbal d’enregistrement des candidatures ;

- le tribunal n’a pas indiqué en quoi ladite circulaire et l’article 5 du règlement d’appel d’offres sont contraires aux dispositions du code des marchés publics et en quoi ils sont illégaux ;

- il y a eu violation de l’article 97 du code des marchés publics ;

- le tribunal ne définit pas en quoi la liberté de choix aux termes de l’article 299 ter du code des marchés publics est ou n’est pas restreinte en application des dispositions de la circulaire et du règlement d’appel d’offres ;

- elle était recevable et fondée à solliciter l’application d’un droit de préférence pour le plagiste sortant en application desdites dispositions ;

- les nullités s’imposent erga omnes ;

- la nullité de la décision de la commission et celle de la délibération découle nécessairement de la nullité alléguée par le tribunal ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré au greffe le 22 janvier 2001, par lequel la commune de Beaulieu-sur-mer, représentée par Me BOITEL, avocat, conclut au rejet de la requête ainsi qu’à la condamnation de la requérante à lui verser la somme de 15.000 F au titre des frais irrépétibles, par les motifs que :

- la requête est irrecevable à défaut d’être accompagnée de la décision attaquée et sous réserve de l’envoi du mémoire complémentaire annoncé ;

- le moyen tiré du défaut de caractère contradictoire de l’instruction est inopérant ;

- le moyen tiré du non respect de l’article 300 bis du code des marchés publics manque en droit et en fait ;

- le bénéfice d’un droit de reprise et d’un droit de surenchère ne peut être invoqué, la circulaire n’ayant aucune portée juridique et étant contraire au principe d’égalité de traitement des concurrents ;

- la nullité invoquée par le tribunal est sans conséquence sur l’attribution du lot à M. STEVENS dont l’offre était la meilleure ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré au greffe le 11 septembre 2001, par lequel Mme P. maintient ses précédentes conclusions par les mêmes moyens et en outre par le moyen qu’il convient de faire application de l’article 298 dernier alinéa du code des marchés publics ;

Vu le mémoire, enregistré au greffe le 10 décembre 2002, par lequel la commune de Beaulieu-sur-mer maintient ses précédentes écritures ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 et le décret n° 93-471 du 24 mars 1993 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 18 décembre 2003 :
- le rapport de M. DUCHON-DORIS, président assesseur ;
- les observations de Me POULPIQUET de la SCP WAGNER pour Mme P. ;
- et les conclusions de M. BEDIER, premier conseiller ;

Considérant que la commune de Beaulieu sur mer, en sa qualité de concessionnaire depuis le 1er janvier 1986 des plages naturelles situées sur son territoire, après avoir consenti à Mme P., par convention du 23 décembre 1987, un sous traité de concession concernant le lot n° 3 de la plage de la Petite Afrique d’une superficie de 112 m² en vue d’y exploiter un kiosque de glacier, a, à l’expiration de cette convention le 31 décembre 1995, procédé à une nouvelle attribution du lot, à l’issue d’une procédure d’appel d’offres restreint ; que Mme P. demande l’annulation du jugement du Tribunal administratif de Nice en date du 15 juin 1999 en tant qu’il a rejeté ses conclusions tendant à l’annulation de la délibération du conseil municipal de Beaulieu sur mer du 24 mai 1996 de ne pas retenir sa candidature pour l’attribution du lot de plage n° 3 ;

Sur la régularité du jugement de première instance :

Considérant qu’aux termes de l’article R.153-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel alors applicable : " Sauf dans les cas mentionnés au premier alinéa de l’article L.9 et à l’article R.149, lorsque la décision lui paraît susceptible d’être fondée sur un moyen soulevé d’office, le président de la formation de jugement en informe les parties avant la séance du jugement et fixe le délai dans lequel elles peuvent présenter leurs observations " ;

Considérant que si Mme P. soutient que les premiers juges auraient méconnu les dispositions de l’article R.153-1 précité en ce qu’ils n’ont pas informé les parties de l’intention du tribunal de soulever d’office l’illégalité de la circulaire ministérielle du 25 février 1991, il résulte de l’instruction que les premiers juges n’ont sur ce point soulevé aucun moyen d’ordre public mais se sont contentés d’écarter un moyen, au surplus inopérant, invoqué par l’une des parties ; que par suite, Mme P. n’est pas fondée à demander l’annulation du jugement du Tribunal administratif de Nice en date du 15 juin 1999 en tant qu’il a rejeté ses conclusions à fin d’annulation de la décision ne pas lui attribuer le lot de plage n° 3 ;

Sur la légalité de la décision attaquée :

Considérant que la sous-concession par une commune d’un lot de plages en vue d’y assurer l’équipement, l’entretien et l’exploitation des plages constitue une délégation de service public ;

Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article 1411-1 du code général des collectivités territoriales dans leur rédaction applicable en l’espèce : " les délégations de service public des personnes morales de droit public sont soumises par l’autorité délégante à une procédure de publicité permettant la présentation de plusieurs offres concurrentes, dans des conditions prévues par un décret en Conseil d’Etat ... " ; qu’en application des dispositions de l’article L.1411-12 c du même code dans leur rédaction applicable à l’espèce, lorsque le montant des sommes dues au délégataire pour toute la durée de la convention n’excède pas 700.000 F ou que la convention couvre une durée non supérieure à 3 ans et porte sur un montant n’excédant pas 450.000 F par an, le projet de délégation est soumis à une publicité préalable ainsi qu’aux dispositions de l’article 1411-2. Les modalités de cette publicité sont fixées par décret en Conseil d’Etat " ; que lorsque, dans le cadre des dispositions des articles L.1411-1 à L.1411-18 du code général des collectivités territoriales, la collectivité concédante définit préalablement la procédure et les critères suivant lesquels elle choisira le délégataire, elle est tenue de respecter les règles qu’elle s’est ainsi elle-même fixées, à la condition qu’elles soient légales et que les différentes législations puissent être conciliées ; qu’il est constant qu’en l’espèce, la commune a choisi une procédure d’appel d’offres restreint dont les règles sont définies par le code des marchés publics ;

Considérant que pour demander l’annulation des décisions de ne pas la retenir comme attributaire du lot de plage n° 3, Mme P. fait valoir en premier lieu que la commune de Beaulieu-sur-mer, en ne l’informant pas des motifs de rejet de son offre, a violé les dispositions de l’article 97 quater du code des marchés publics aux termes desquelles " la personne responsable du marché, dès qu’elle a fait son choix, avise tous les autres candidats du rejet de leur offre. Elle communique à tout candidat qui en fait la demande par écrit les motifs du rejet de son offre ", ainsi que les dispositions de l’article 298 du même code en tant qu’il prévoit que, dès que la commission a fait son choix, l’autorité habilitée à passer le marché avise tous les autres candidats du rejet de leurs offres et en tant qu’il impose la transmission du rapport de la commission au représentant de l’Etat ; que toutefois, d’une part, l’article 97 quater du code des marchés publics n’est applicable qu’aux marchés de l’Etat et l’article 298 du même code ne concerne que la procédure d’appel d’offres ouvert si bien que le moyen manque en droit ; que d’autre part il résulte de l’instruction que par courrier en date du 13 mai 1996 l’autorité publique a informé Mme P., en réponse à la demande écrite de cette dernière en date du 11 mai 1996, des motifs de rejet de son offre et qu’ainsi le moyen doit encore être rejeté comme manquant en fait ;

Considérant en deuxième lieu que si Mme P. soutient que la décision attaquée est irrégulière en ce qu’elle a méconnu d’une part les termes contenus dans l’article 5 du règlement d’adjudication selon lesquels " le plagiste sortant bénéficiera d’un droit de préférence susceptible de s’exercer sur l’offre la plus intéressante ", d’autre part les dispositions d’une circulaire ministérielle du 25 février 1991 relatives au même droit de préférence et à la possibilité pour le sortant d’exercer une offre de surenchère dans les huit jours suivant la réunion de la commission d’attribution, de telles dispositions, contenues au surplus dans une instruction ministérielle non publiée, sont contraires au principe de la remise en concurrence effective de la délégation de service public et au principe d’égalité de traitement des concurrents qui régit tant la procédure de passation des délégations de service public prévue par la loi du 29 janvier 1993, y compris dans le cadre du c de l’article L.1411-2 précité du code général des collectivités territoriales, que la procédure d’appel d’offres restreint prévue par le code des marchés publics et auquel se réfère ledit règlement d’adjudication, et ne sauraient en conséquence utilement être invoqués pour contester la régularité de la procédure suivie en l’espèce par la commune ; que, par suite, le moyen ne peut être que rejeté ;

Considérant en troisième lieu que Mme P. soutient que si le droit de préférence contenu à l’article 5 du règlement d’appel d’offres doit être regardé comme illégal, la nullité qui l’affecte conditionne celle de l’ensemble du règlement d’appel d’offre ; qu’il ressort toutefois de la lecture de la convention que la disposition précitée, mentionnée à la dernière ligne de l’article 5 du règlement relatif à la fixation et au mode d’adjudication, et qui n’avait vocation à jouer, le cas échéant, qu’au dernier stade de la procédure et après que l’ensemble des candidats, y compris le plagiste sortant, avaient été appelés à présenter une offre, n’a pas eu d’effet quant à la régularité de la procédure et n’a pas été de nature par elle-même à exercer une influence sur les offres présentées ; que par suite, le moyen tiré de ce que la nullité de cette disposition devrait entraîner la nullité de l’ensemble du règlement et par voie de conséquence l’annulation de la procédure d’appel d’offres ne peut être que rejeté ;

Considérant en quatrième lieu que la circonstance que les exploitants retenus aient connu postérieurement à la conclusion des contrats des difficultés d’exploitation n’est pas de nature à démontrer, comme le soutient Mme P. sans l’établir, que la commune de Beaulieu sur mer aurait commis, lors de l’attribution des lots, une erreur manifeste d’appréciation par méconnaissance grave des garanties professionnelles et financières susceptibles d’être exigées des candidats ; que par suite son argumentation sur ce point ne peut être que rejetée ;

Considérant en cinquième lieu qu’il ne résulte pas de l’instruction que la commune de Beaulieu sur mer n’aurait pas respecté l’obligation de transmission de la convention de délégation et des pièces y afférentes au représentant de l’Etat dans le délai prévu par l’article L.1411-9 du code général des collectivités locales ; que par suite, le moyen de Mme P. sur ce point ne peut être que rejeté ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que Mme P. n’est pas fondée à demander l’annulation des décisions attaquées de la commune de Beaulieu sur mer ; qu’il y a lieu par suite de rejeter sa requête ;

Sur l’application de l’article L.761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative s’opposent à ce que la commune de Beaulieu sur mer, qui n’est pas la partie perdante, soient condamnée à payer à Mme P., les frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; que par suite, ses conclusions à ce titre ne peuvent qu’être rejetées ;

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, en application des dispositions de ce même article, de condamner Mme P. à payer à la commune de Beaulieu sur mer une somme de 1.000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

Par ces motifs,

D E C I D E :

Article 1er : L’article 1er du jugement du Tribunal administratif de Nice en date du 15 juin 1999 rejetant la requête n° 96-2006 de Mme P. est annulé.

Article 2 : La requête de Mme P. est rejetée.

Article 3 : Mme P. est condamnée à verser à la commune de Beaulieu la somme de 1.000 euros au titre des frais irrépétibles.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme P. et à la commune de Beaulieu sur mer.

Délibéré à l’issue de l’audience du 18 décembre 2003, où siégeaient :

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