Conseil d’Etat, Section 12 mai 2004, n° 265184, Commune de Rogerville

Eu égard à la nature de l’office ainsi attribué au juge des référés - et sous réserve du cas où il apparaîtrait, compte tenu notamment des termes mêmes de l’ordonnance, qu’allant au-delà de ce qu’implique nécessairement cet office, il aurait préjugé l’issue du litige -la seule circonstance qu’un magistrat a statué sur une demande tendant à la suspension de l’exécution d’une décision administrative n’est pas, par elle-même, de nature à faire obstacle à ce qu’il se prononce ultérieurement sur la requête en qualité de juge du principal.

CONSEIL D’ETAT

N° 265184

COMMUNE DE ROGERVILLE

M. Crépey
Rapporteur

M. Glaser
Commissaire du Gouvernement

Séance du 30 avril 2004
Lecture du 12 mai 2004

REPUBLIQUE FRANÇAISE

Le Conseil d’Etat

(Section du contentieux)

Sur le rapport de la 3ème sous-section de la Section du contentieux

Vu, enregistré le 3 mars 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’arrêt du 18 décembre 2003 par lequel la cour administrative de Douai, avant de statuer sur la requête de la COMMUNE DE ROGERVILLE tendant à l’annulation du jugement du 20 septembre 2001 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté du 23 novembre 2000 du préfet de la région Haute-Normandie, préfet de la Seine-Maritime créant la Communauté de l’agglomération havraise, a décidé, par application des dispositions de l’article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette requête au Conseil d’Etat, en soumettant à son examen la question suivante : "le juge des référés ayant, en application de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, statué par ordonnance sur une demande tendant à la suspension de l’exécution d’une décision administrative, peut-il participer à la formation de jugement statuant sur le fond ? " ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative, et notamment ses articles L. 113-1 et R. 113-1 à R. 113-4 ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Crépey, Auditeur,
- les conclusions de M. Glaser, Commissaire du gouvernement ;

REND L’AVIS SUIVANT :

I - Aux termes de l’article L. 511-1 du code de justice administrative : "Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n’est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais". Aux termes de l’article L. 521-1 du même code : "Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision./ Lorsque la suspension est prononcée, il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision dans les meilleurs délais". Aux termes de l’article L. 521-4 du même code : "Saisi par toute personne intéressée, le juge des référés peut, à tout moment, au vu d’un élément nouveau, modifier les mesures qu’il avait ordonnées ou y mettre fin". Aux termes de l’article L. 522-1 du même code : "Le juge des référés statue au terme d’une procédure contradictoire écrite ou orale./ Lorsqu’il lui est demandé de prononcer les mesures visées aux articles L. 521-1 et L. 521-2, de les modifier ou d’y mettre fin, il informe sans délai les parties de la date et de l’heure de l’audience publique./ Sauf renvoi à une formation collégiale, l’audience se déroule sans conclusions du commissaire du gouvernement". Aux termes enfin de l’article L. 522-3 du même code : "Lorsque la demande ne présente pas un caractère d’urgence ou lorsqu’il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu’elle est irrecevable ou qu’elle est mal fondée, le juge des référés peut la rejeter par une ordonnance motivée sans qu’il y ait lieu d’appliquer les deux premiers alinéas de l’article L. 522-1".

II- Saisi sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative d’une demande tendant à ce qu’il prononce, à titre provisoire et conservatoire, la suspension d’une décision administrative, le juge des référés procède dans les plus brefs délais à une instruction succincte - distincte de celle au vu de laquelle le juge saisi du principal statuera - pour apprécier si les préjudices que l’exécution de cette décision pourrait entraîner sont suffisamment graves et immédiats pour caractériser une situation d’urgence, et si les moyens invoqués apparaissent, en cet état de l’instruction, de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision. Il se prononce par une ordonnance qui n’est pas revêtue de l’autorité de la chose jugée et dont il peut lui-même modifier la portée au vu d’un élément nouveau invoqué devant lui par toute personne intéressée.

Eu égard à la nature de l’office ainsi attribué au juge des référés - et sous réserve du cas où il apparaîtrait, compte tenu notamment des termes mêmes de l’ordonnance, qu’allant au-delà de ce qu’implique nécessairement cet office, il aurait préjugé l’issue du litige -la seule circonstance qu’un magistrat a statué sur une demande tendant à la suspension de l’exécution d’une décision administrative n’est pas, par elle-même, de nature à faire obstacle à ce qu’il se prononce ultérieurement sur la requête en qualité de juge du principal.

Il est toujours loisible à ce magistrat de s’abstenir de participer au jugement de la requête en annulation ou en réformation s’il estime en conscience devoir se déporter.

Le présent avis sera notifié à la cour administrative d’appel de Douai, à la COMMUNE DE ROGERVILLE, à la Communauté de l’agglomération havraise et au ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

Il sera publié au Journal officiel de la République française.

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