Conseil d’Etat, 3 mai 2004, n° 236669, Ministre de l’économie, des finances et de l’industrie c/ M. B.

En estimant que la taxe issue de la loi du 19 juillet 1976 portant imposition des plus-values et création d’une taxe forfaitaire sur les métaux précieux, les bijoux, les objets d’art, de collection et d’antiquité, acquittée par le requérant lors de la vente du tableau après qu’il eut exercé le droit d’option prévu à l’article 302 bis E, devait être regardée comme une modalité particulière d’imposition des plus-values, la cour administrative d’appel de Bordeaux n’a pas commis d’erreur de droit.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 236669

MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE
c/ M. B.

Mlle Herry
Rapporteur

Mme Mitjavile
Commissaire du gouvernement

Séance du 5 avril 2004
Lecture du 3 mai 2004

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 10ème et 9ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 10ème sous-section de la Section du contentieux

Vu le recours, enregistré le 27 juillet 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présenté par le MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE ; le ministre demande au Conseil d’Etat d’annuler l’arrêt du 29 mai 2001 de la cour administrative d’appel de Bordeaux, en tant qu’il n’a rétabli M. Henri B. au rôle de l’impôt sur le revenu qu’à raison des seuls droits supplémentaires qui lui avaient été assignés au titre de l’année 1989 sous déduction d’une somme de 30 000 F (4 573, 47 euros) et a rejeté le surplus du recours du MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts ;

Vu le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mlle Herry, Auditeur,
- les observations de Me Odent, avocat de M. B.,
- les conclusions de Mme Mitjavile, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. B. exerce à Toulouse la profession d’antiquaire spécialisé dans l’art chinois et l’art japonais ; que le 19 décembre 1989, il a vendu à l’Hôtel Drouot à Paris une oeuvre du peintre japonais Hokusaï ; que M. B. a fait l’objet d’une vérification de comptabilité ayant porté sur l’ensemble de ses déclarations fiscales souscrites au titre de la période du 1er janvier 1988 au 31 décembre 1990 ; qu’à l’issue de ce contrôle, l’administration fiscale lui a notifié un redressement procédant à la réintégration du produit net de cette vente au bénéfice déclaré par le contribuable pour l’exercice clos le 31 décembre 1999 ; que le tribunal administratif de Toulouse a accordé à M. B. la décharge des impositions litigieuses ; que la cour administrative d’appel de Bordeaux a annulé ce jugement ; qu’elle a confirmé la régularité de la procédure et le bien-fondé du redressement mais a accordé à M. B. la décharge des pénalités de mauvaise foi ainsi que le bénéfice de la compensation entre la taxe sur les métaux précieux, les bijoux, les œuvres d’art, de collection et d’antiquité acquittée lors de la vente du tableau et le supplément d’impôt lui incombant ; que le MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu’il n’a rétabli M. B. au rôle de l’impôt sur le revenu qu’à raison des seuls droits supplémentaires qui lui avaient été assignés au titre de l’année 1989 sous déduction d’une somme de 30 000 F (4 573, 47 euros) et a rejeté le surplus de son recours ; que, par la voie du pourvoi incident, M. B. demande l’annulation du même arrêt en tant qu’il a refusé de le décharger totalement de ce supplément d’impôt ;

Sur le recours du ministre :

Considérant qu’aux termes de l’article L. 203 du livre des procédures fiscales : "Lorsqu’un contribuable demande la décharge ou la réduction d’une imposition quelconque, l’administration peut, à tout moment de la procédure et malgré l’expiration des délais de prescription, effectuer ou demander la compensation dans la limite de l’imposition contestée, entre les dégrèvements reconnus justifiés et les insuffisances ou omissions de toute nature constatés dans l’assiette ou le calcul de l’imposition au cours de l’instruction de la demande" ; que l’article L. 205 de ce code dispose : "Les compensations de droits prévues aux articles L. 203 et L. 204 sont opérées dans les mêmes conditions au profit du contribuable à l’encontre duquel l’administration effectue un redressement lorsque ce contribuable invoque une surtaxe commise à son préjudice ou lorsque ce redressement fait apparaître une double imposition" ;

Considérant qu’aux termes des dispositions alors codifiées à l’article 302 bis A du code général des impôts : "Sous réserve des dispositions particulières qui sont propres aux bénéfices professionnels (.) les ventes de bijoux, d’objets d’art, de collection et d’antiquité sont soumises à une taxe de 7 pour cent lorsque leur montant excède 20 000F (.) / le taux d’imposition est ramené à 4, 5 pour cent en cas de vente aux enchères publiques" ; que l’article 302 bis E du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable, disposait que : "Le vendeur des bijoux et objets mentionnés à l’article 302 bis A-I, deuxième alinéa, peut opter par une déclaration fait au moment de la vente, pour le régime définit aux articles 150 A à 150 T, sous réserve qu’il puisse justifier de la date et du prix d’acquisition" ;

Considérant qu’il résulte de ces dispositions qu’en estimant que la taxe issue de la loi du 19 juillet 1976 portant imposition des plus-values et création d’une taxe forfaitaire sur les métaux précieux, les bijoux, les objets d’art, de collection et d’antiquité, acquittée par M. B. lors de la vente du tableau après qu’il eut exercé le droit d’option prévu à l’article 302 bis E précité, devait être regardée comme une modalité particulière d’imposition des plus-values, la cour administrative d’appel de Bordeaux n’a pas commis d’erreur de droit ; que, par suite, elle a pu légalement en déduire que le montant acquitté par M. B. à l’occasion de la vente du tableau d’Hokusaï au titre de ladite taxe pouvait venir en compensation du supplément d’impôt sur le revenu lui incombant ;

Considérant qu’aux termes de l’article 1733 du code général des impôts dans sa rédaction applicable en l’espèce, ni les intérêts de retard ni les majorations de l’article 1729 ne sont applicables "en ce qui concerne les impôts sur les revenus. lorsque l’insuffisance des chiffres déclarés n’excède pas le dixième de la base d’imposition" ; qu’ainsi qu’il a été dit ci-dessus, la taxe sur les métaux précieux, les bijoux, les objets d’art, de collection et d’antiquité doit être regardée comme une modalité d’imposition particulière des plus-values ; que par suite, la cour administrative d’appel de Bordeaux a pu, sans commettre d’erreur de droit, estimer que le montant déclaré au titre de ladite taxe devait être prise en compte, en plus du montant déclaré au titre des bénéfices industriels et commerciaux, dans les chiffres "déclarés" par M. B. au titre de l’année 1989 pour vérifier si la condition posée par l’article 1733 était remplie et lui accorder la décharge des pénalités qu’il demandait ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêt attaqué en tant qu’il accorde à M. B. la compensation entre la taxe sur les métaux précieux, les bijoux, les objets d’art, de collection et d’antiquité et le supplément d’impôt sur le revenu lui incombant, ainsi que la décharge des pénalités auxquelles il était assujetti ;

Sur le pourvoi incident de M. B. :

Considérant, en premier lieu, que, s’il incombe à l’administration, quelle que soit la procédure de redressement mise en œuvre, d’informer le contribuable dont elle envisage soit de rehausser, soit d’arrêter d’office les bases d’imposition, de l’origine et de la teneur des renseignements recueillis dans l’exercice de son droit de communication afin que l’intéressé soit mis à même de demander, avant la mise en recouvrement des impositions, que les documents qui contiennent ces renseignements soient mis à sa disposition, elle n’est tenue à cette obligation qu’en ce qui concerne ceux des renseignements qu’elle a effectivement utilisés pour procéder aux redressements ; que c’est par une appréciation souveraine, non entachée de dénaturation, que la cour a jugé que les redressements effectués par l’administration fiscale procédaient de la seule constatation, révélée par la vérification de la comptabilité de M. B., de ce que le produit net de la vente de l’œuvre en cause avait été porté au crédit du compte bancaire professionnel de ce dernier sans que soit corrélativement enregistrée en comptabilité la recette correspondante et que ni la lettre par laquelle une personne faisait état au service des impôts de ce que M. B. lui avait acheté à bas prix une œuvre du peintre Hokusaï qu’il avait revendu deux mois plus tard à l’Hôtel Drouot avec une plus-value importante, ni les documents l’accompagnant n’avaient été utilisés pour effectuer ce redressement ;

Considérant, en deuxième lieu, qu’en jugeant que, dès lors que M. B. a porté au crédit du compte bancaire qu’il utilisait pour les besoins de son activité de marchand le produit net de la vente du tableau d’Hokusaï et que son compte d’exploitant dans l’entreprise avait été par suite crédité de la même somme, il lui appartenait de justifier que cette écriture correspondait à un apport effectué à son entreprise à partir de ses fonds personnels, la cour n’a pas inversé la charge de la preuve ;

Considérant, en troisième lieu, qu’en estimant, pour confirmer le refus de l’administration d’accorder à M. B. le bénéfice de l’étalement des revenus exceptionnels prévu par l’article 163 du code général des impôts, que les modalités selon lesquelles la vente litigieuse a été réalisée ne caractérisaient pas une activité excédant le cadre habituel de la profession d’antiquaire de l’intéressé, et que l’importance du profit réalisé ne caractérisait pas davantage un revenu exceptionnel, la cour n’a pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ;

Considérant, en quatrième lieu, qu’en estimant que suffisait à établir la mauvaise foi de M. B. la circonstance que l’intéressé a sciemment omis de rattacher aux bénéfices que lui procure son activité de marchand l’opération par laquelle il a acheté puis revendu le tableau d’Hokusaï, alors même que cette opération revêtait un caractère commercial, la cour administrative d’appel de Bordeaux a donné aux faits, qu’elle a souverainement retenus, une qualification juridique exacte ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. B. n’est pas fondé à demander, dans la limite des conclusions rappelées ci-dessus, l’annulation de l’arrêt attaqué ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l’Etat à payer à M. B. la somme de 2 800 euros que demande celui-ci au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Le recours du MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE, ensemble le pourvoi incident de M. B., sont rejetés.

Article 2 : L’Etat versera à M. B. la somme de 2 800 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE D’ETAT, MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE et à M. Henri B..

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