Conseil d’Etat, 2 avril 2004, n° 256504, Société Alstom Power Turbomachines

En jugeant que, même si une créance dont se prévaut une entreprise qui a effectué certains travaux ou fourni certaines prestations n’est contestée ni dans son principe ni dans son montant, elle ne peut être regardée comme non sérieusement contestable lorsque le mandatement ou l’ordonnancement des sommes correspondantes a fait l’objet, de la part de la personne publique bénéficiaire de ces travaux ou prestations, d’un refus fondé sur l’application des règles de la comptabilité publique et sur des risques de difficultés dans les rapports entre ordonnateur et comptable, la cour administrative d’appel de Nantes a ajouté une condition non prévue par les dispositions de l’article R. 541-1 du code de justice administrative.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 256504

SOCIETE ALSTOM POWER TURBOMACHINES

M. Aguila
Rapporteur

M. Piveteau
Commissaire du gouvernement

Séance du 17 mars 2004
Lecture du 2 avril 2004

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 7ème et 2ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 7ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 2 mai et 15 mai 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SOCIETE ALSTOM POWER TURBOMACHINES, dont le siège est 2 quai Michelet - 3, avenue André Malraux à Levallois Perret (92309) ; la SOCIETE ALSTOM POWER TURBOMACHINES demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt du 11 avril 2003 par lequel la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté sa demande tendant à l’annulation de l’ordonnance du 29 octobre 2001 du juge des référés du tribunal administratif de Rennes rejetant sa demande tendant à la condamnation de l’Etat à lui payer la somme de 998 832, 22 F, majorée des intérêts moratoires, à titre de provision pour des travaux de réparation de compresseurs frigorifiques qu’elle a effectués pour le ministère de la défense ;

2°) de condamner l’Etat à lui verser une provision de 152 270, 99 euros, majorée des intérêts moratoires à compter du 2 août 2000 et, au plus tard, à compter du 1er juin 2001 ;

3°) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 8 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Aguila, Maître des Requêtes,
- les observations de Me Hemery, avocat de la SOCIETE ALSTOM POWER TURBOMACHINES,
- les conclusions de M. Piveteau, Commissaire du gouvernement ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête de la SOCIETE ALSTOM POWER TURBOMACHINES :

Considérant qu’aux termes de l’article R. 541-1 du code de justice administrative : "Le juge des référés peut, même en l’absence d’une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l’a saisi lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable" ; qu’en jugeant que, même si une créance dont se prévaut une entreprise qui a effectué certains travaux ou fourni certaines prestations n’est contestée ni dans son principe ni dans son montant, elle ne peut être regardée comme non sérieusement contestable lorsque le mandatement ou l’ordonnancement des sommes correspondantes a fait l’objet, de la part de la personne publique bénéficiaire de ces travaux ou prestations, d’un refus fondé sur l’application des règles de la comptabilité publique et sur des risques de difficultés dans les rapports entre ordonnateur et comptable, la cour administrative d’appel de Nantes a ajouté une condition non prévue par les dispositions de l’article R. 541-1 du code de justice administrative ; qu’ainsi, la SOCIETE ALSTOM POWER TURBOMACHINES est fondée à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;

Considérant qu’en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de statuer sur la demande de provision ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction que le ministère de la défense - service des programmes navals - a sollicité, par lettre du 25 août 1999, la SOCIETE ALSTOM POWER TURBOMACHINES, alors dénommée ALSTOM ENERGIE, afin qu’elle intervienne en urgence sur des compresseurs frigorifiques équipant un sous-marin nucléaire ; que, par lettre du 6 août 2001, cette société a fait parvenir à l’administration les factures correspondant aux travaux effectués ; que la société requérante est par suite fondée à soutenir que c’est à tort que, pour rejeter sa demande tendant à la condamnation de l’Etat à lui verser une provision, le juge des référés du tribunal administratif de Rennes a relevé qu’elle n’avait pas adressé de factures à l’administration ;

Considérant qu’il est constant que les travaux de réparation susmentionnés ont été réalisés à la demande de l’Etat et lui ont été utiles ; qu’ainsi, il n’est pas sérieusement contestable que la SOCIETE ALSTOM POWER TURBOMACHINES a droit à être indemnisée de ses dépenses ; que la société évalue sa créance à un montant de 998 832, 22 F, soit 152 270, 99 euros ; que l’Etat ne conteste ni le principe ni le montant de cette obligation ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, dans les circonstances de l’affaire, il y a lieu de condamner l’Etat à verser à la SOCIETE ALSTOM POWER TURBOMACHINES une indemnité provisionnelle d’un montant de 152 270, 99 euros, majoré des intérêts moratoires à compter du 1er juin 2001, date d’enregistrement de sa requête devant le tribunal administratif de Rennes ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat une somme de 4 000 euros au titre des frais exposés par la SOCIETE ALSTOM POWER TURBOMACHINES et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes en date du 11 avril 2003 et l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Rennes en date du 29 octobre 2001 sont annulés.

Article 2 : L’Etat est condamné à verser à la SOCIETE ALSTOM POWER TURBOMACHINES une provision de 152 270, 99 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 1er juin 2001.

Article 3 : L’Etat versera à la SOCIETE ALSTOM POWER TURBOMACHINES une somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la SOCIETE ALSTOM POWER TURBOMACHINES est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE ALSTOM POWER TURBOMACHINES et au ministre de la défense.

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