Le contribuable peut tenir compte, pour le calcul de la plus-value imposable en application de l’article 150 A du code général des impôts, des travaux effectués par lui-même ou les membres de sa famille sur un immeuble dont il était propriétaire, dans les mêmes conditions que celles dans lesquelles il peut tenir compte des dépenses de construction, de reconstruction, d’agrandissement, de rénovation ou d’amélioration ; que s’il ne peut, dès lors, ajouter au prix d’acquisition retenu pour le calcul de cette plus-value le coût des matériaux employés à l’occasion de travaux réalisés par lui-même ou les membres de sa famille s’il a déjà déduit ce coût de son revenu imposable, rien ne s’oppose en revanche à ce que la valeur des travaux ainsi réalisés soit dissociée du coût de ces matériaux et ajoutée au prix d’acquisition retenu.
CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 253340
M. D.
M. Verclytte
Rapporteur
M. Séners
Commissaire du gouvernement
Séance du 24 mars 2004
Lecture du 9 avril 2004
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 3ème et 8ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 3ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 16 janvier 2003 et 24 avril 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Jean-Marie D. ; M. D. demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 28 novembre 2002 par lequel la cour administrative d’appel de Nancy, faisant droit à l’appel formé par le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, a d’une part, annulé le jugement du 9 juillet 1998 du tribunal administratif de Strasbourg accordant au requérant la décharge des cotisations supplémentaires à l’impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre de l’année 1989, et d’autre part, remis à la charge ladite imposition ;
2°) de condamner l’Etat à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Verclytte, Maître des Requêtes,
les observations de la SCP Parmentier, Didier, avocat de M. Jean-Marie D.,
les conclusions de M. Séners, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’aux termes de l’article 150 H du code général des impôts : " La plus-value imposable en application de l’article 150 A est constituée par la différence entre le prix de cession et le prix d’acquisition par le cédant. Le prix d’acquisition est majoré. le cas échéant, des dépenses de construction, de reconstruction, d’agrandissement, de rénovation ou d’amélioration, réalisées depuis l’acquisition, lorsqu’elles n’ont pas été déjà déduites du revenu imposable et qu’elles ne présentent pas le caractère de dépenses locatives ; il est tenu compte également, dans les mêmes conditions, des travaux effectués par le cédant ou les membres de sa famille ; ces travaux peuvent faire l’objet d’une évaluation ou être estimés en appliquant le coefficient 3 au montant des matériaux utilisés " ;
Considérant qu’il résulte de ces dispositions que le contribuable peut tenir compte, pour le calcul de la plus-value imposable en application de l’article 150 A du code général des impôts, des travaux effectués par lui-même ou les membres de sa famille sur un immeuble dont il était propriétaire, dans les mêmes conditions que celles dans lesquelles il peut tenir compte des dépenses de construction, de reconstruction, d’agrandissement, de rénovation ou d’amélioration ; que s’il ne peut, dès lors, ajouter au prix d’acquisition retenu pour le calcul de cette plus-value le coût des matériaux employés à l’occasion de travaux réalisés par lui-même ou les membres de sa famille s’il a déjà déduit ce coût de son revenu imposable, rien ne s’oppose en revanche à ce que la valeur des travaux ainsi réalisés soit dissociée du coût de ces matériaux et ajoutée au prix d’acquisition retenu ; que la cour administrative d’appel de Nancy a donc méconnu la portée de ces dispositions en jugeant que, dès lors que M. D. avait déjà déduit de ses revenus fonciers le coût des matériaux utilisés lors des travaux personnels effectués sur l’immeuble qu’il avait acquis en 1979, il ne pouvait soutenir que la valeur de sa main d’œuvre personnelle devait être prise en compte pour le calcul de la plus-value imposable dégagée lors de la cession de cet immeuble ; que M. D. est fondé à demander pour ce motif, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de sa requête, l’annulation de l’arrêt attaqué ;
Considérant qu’il y a lieu, en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au fond ;
Considérant que M. D. a revendu en 1989 plusieurs lots de co-propriété représentant 82, 24 % de la valeur totale d’un immeuble situé à Metz qu’il avait acquis en 1979 ; qu’après l’avoir mis en demeure de produire une déclaration de plus-value et en l’absence de réponse à cette mise en demeure, l’administration lui a notifié le 3 septembre 1990 un redressement fixant la plus-value nette imposable à la somme de 1 629 302 F ;
Considérant qu’il résulte des dispositions précitées de l’article 150 H du code général des impôts, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, que le contribuable qui a déjà déduit de ses revenus fonciers le coût des matériaux employés pour des travaux effectués par lui-même ou les membres de sa famille sur un immeuble dont il est propriétaire peut prendre en compte, pour le calcul de la plus-value imposable en application de l’article 150 A, la valeur de ces travaux ; que la seule circonstance que le contribuable a eu recours à une main d’œuvre extérieure ne fait pas obstacle à cette prise en compte, à la condition, toutefois, qu’il fournisse une évaluation précise des travaux effectués par lui-même ou les membres de sa famille, ou, s’il entend estimer ces travaux selon la méthode forfaitaire, qui n’est en principe applicable qu’aux travaux effectués personnellement par le cédant ou sa famille, que cette main d’œuvre extérieure puisse être précisément valorisée et qu’il en ressorte qu’elle présente au regard des travaux personnels un caractère accessoire ; qu’en outre, dans cette dernière hypothèse, seuls les matériaux employés par le contribuable lui-même et les membres de sa famille peuvent être retenus pour servir de base à l’estimation des travaux effectués par ces derniers ; que si le contribuable n’est pas en mesure d’identifier précisément, au sein des matériaux acquis pour l’ensemble des travaux, ceux qui ont été employés par la main d’œuvre extérieure à laquelle il a eu recours à titre accessoire, le montant de ces derniers peut, néanmoins, compte tenu des règles d’estimation fixées par les dispositions précitées de l’article 150 H du code général des impôts, être estimé à la moitié de la valeur de cette main d’œuvre ;
Considérant qu’en l’espèce, il résulte de l’instruction que M. D. a réalisé lui-même les travaux effectués entre 1980 et 1989 sur l’immeuble dont il était propriétaire, en employant des matériaux dont il n’est pas contesté que le coût total s’élève à 1 176 822 F ; qu’il a eu recours, à cette occasion, à une main d’œuvre extérieure, pour un montant total, justifié par l’intéressé et non contesté par l’administration, de 318 108 F, et dont il est établi qu’elle présente un caractère accessoire au regard de l’ensemble des travaux réalisés par le contribuable ; que, compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus, le montant des matériaux employés par cette main d’œuvre d’appoint peut être estimé à 159 054 F ; que, dans ces conditions, le montant des matériaux pouvant être regardés comme employés par M. D. pour les travaux qu’il a personnellement effectués peut être estimé à 1 017 768 F ; qu’ainsi, M. D. est fondé à soutenir que le montant des travaux qu’il a personnellement effectués peut être estimé à 3 053 304 F, dont 2 035 536 F correspondent à sa main d’œuvre personnelle ; que la fraction de ce dernier montant correspondant aux lots vendus en 1989 s’élève à 1 674 025 F ; que M. D. est fondé à demander que le prix d’acquisition de l’immeuble qu’il a cédé en 1989 soit majoré de cette dernière somme ; que, dès lors que cette dernière est en tout état de cause supérieure, sans même qu’il soit tenu compte des coefficients annuels de revalorisation prévus à l’article 150 K, au montant de la plus-value imposable qui lui a été notifiée par l’administration, le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie n’est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a accordé à M. D. décharge de la cotisation supplémentaire à l’impôt sur le revenu à laquelle il a été assujetti au titre de l’année 1989 ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros que M. D. demande en application de ces dispositions ;
D E C I D E :
Article 1er : L’arrêt du 28 novembre 2002 de la cour administrative d’appel de Nancy est annulé.
Article 2 : Les conclusions présentées par le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie devant la cour administrative d’appel de Nancy sont rejetées.
Article 3 : L’Etat versera à M. D. la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Jean-Marie D. et au ministre d’Etat, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.
_________________
Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article2504