Conseil d’Etat, Section, 27 février 2004, n° 252988, Préfet des Pyrénées-Orientales c/ M. A.

Il résulte de la combinaison de ces dispositions, applicables en première instance en matière de reconduite à la frontière, que si dans le cadre de la procédure orale qui succède à l’instruction contradictoire écrite les parties peuvent produire des documents nouveaux à l’appui de leurs observations orales, l’instruction écrite est normalement close, en application de l’article R. 776-12, au moment où l’affaire est appelée. Toutefois, lorsque, postérieurement à cette clôture, le juge est saisi d’un mémoire émanant d’une partie qui n’en a pas exposé les éléments dans le cadre de la procédure orale, il lui appartient de faire application dans ce cas particulier des règles générales relatives à toutes les productions postérieures à la clôture de l’instruction. A ce titre, et conformément au principe selon lequel, devant les juridictions administratives, le juge dirige l’instruction, il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de ce mémoire avant de rendre sa décision, ainsi, au demeurant, que de le viser sans l’analyser. S’il a toujours la faculté, dans l’intérêt d’une bonne justice, d’en tenir compte - après l’avoir visé et, cette fois, analysé - il n’est tenu de le faire, à peine d’irrégularité de sa décision, que si ce mémoire contient soit l’exposé d’une circonstance de fait dont la partie qui l’invoque n’était pas en mesure de faire état avant la clôture de l’instruction écrite et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit d’une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d’office. Dans tous les cas où il est amené à tenir compte de ce mémoire, il doit - à l’exception de l’hypothèse particulière dans laquelle il s’agit pour le juge de la reconduite de se fonder sur un moyen qu’il devait relever d’office, - le soumettre au débat contradictoire, soit en suspendant l’audience pour permettre à l’autre partie d’en prendre connaissance et de préparer ses observations, soit en renvoyant l’affaire à une audience ultérieure.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 252988

PREFET DES PYRENEES-ORIENTALES
c/ M. A.

Mlle Courrèges
Rapporteur

M. Devys
Commissaire du gouvernement

Séance du 13 février 2004
Lecture du 27 février 2004

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux)

Sur le rapport de la 1ère sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête, enregistrée le 31 décembre 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par le PREFET DES PYRENEES-ORIENTALES ; le PREFET DES PYRENEES-ORIENTALES demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler le jugement du 29 novembre 2002 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Montpellier a annulé son arrêté du 26 novembre 2002 ordonnant la reconduite à la frontière de M. Lahcen A. et sa décision du même jour plaçant l’intéressé en rétention administrative ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A. devant le tribunal administratif de Montpellier ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mlle Courrèges, Auditeur,
- les conclusions de M. Devys, Commissaire du gouvernement ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

Considérant qu’aux termes de l’article R. 776-12 du code de justice administrative : " Jusqu’au moment où l’affaire est appelée, les parties peuvent présenter des conclusions ou observations écrites " ; qu’aux termes de l’article R. 776-13 du même code : " Après le rapport fait par le président du tribunal administratif ou son délégué, les parties peuvent présenter en personne ou par un avocat des observations orales. Elles peuvent également produire des documents à l’appui de leurs conclusions. Si ces documents apportent des éléments nouveaux, le magistrat demande à l’autre partie de les examiner et de lui faire part à l’audience de ses observations " ;

Considérant qu’il résulte de la combinaison de ces dispositions, applicables en première instance en matière de reconduite à la frontière, que si dans le cadre de la procédure orale qui succède à l’instruction contradictoire écrite les parties peuvent produire des documents nouveaux à l’appui de leurs observations orales, l’instruction écrite est normalement close, en application de l’article R. 776-12, au moment où l’affaire est appelée ; que toutefois, lorsque, postérieurement à cette clôture, le juge est saisi d’un mémoire émanant d’une partie qui n’en a pas exposé les éléments dans le cadre de la procédure orale, il lui appartient de faire application dans ce cas particulier des règles générales relatives à toutes les productions postérieures à la clôture de l’instruction ; qu’à ce titre, et conformément au principe selon lequel, devant les juridictions administratives, le juge dirige l’instruction, il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de ce mémoire avant de rendre sa décision, ainsi, au demeurant, que de le viser sans l’analyser ; que s’il a toujours la faculté, dans l’intérêt d’une bonne justice, d’en tenir compte - après l’avoir visé et, cette fois, analysé - il n’est tenu de le faire, à peine d’irrégularité de sa décision, que si ce mémoire contient soit l’exposé d’une circonstance de fait dont la partie qui l’invoque n’était pas en mesure de faire état avant la clôture de l’instruction écrite et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit d’une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d’office ; que dans tous les cas où il est amené à tenir compte de ce mémoire, il doit - à l’exception de l’hypothèse particulière dans laquelle il s’agit pour le juge de la reconduite de se fonder sur un moyen qu’il devait relever d’office, - le soumettre au débat contradictoire, soit en suspendant l’audience pour permettre à l’autre partie d’en prendre connaissance et de préparer ses observations, soit en renvoyant l’affaire à une audience ultérieure ;

Considérant qu’en l’espèce, si le PREFET DES PYRENEES-ORIENTALES, qui n’était ni présent ni représenté lors de l’audience au cours de laquelle la demande de M. A. dirigée contre l’arrêté de reconduite à la frontière du 26 novembre 2002 a été examinée, fait valoir qu’il avait transmis en temps utile ses observations en défense par télécopie au greffe du tribunal administratif de Montpellier, il ressort des mentions du jugement attaqué, lesquelles font foi jusqu’à preuve du contraire, que ce mémoire n’est parvenu au tribunal qu’après l’appel de l’affaire ; que si ce mémoire contenait l’exposé de circonstances de fait contestant les allégations de M. A., il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet n’aurait pas été en mesure d’en faire état avant la clôture de l’instruction écrite qui est résultée de l’appel de l’affaire ; que, eu égard à la brièveté du délai imparti au juge pour statuer en matière de reconduite, le délai laissé au préfet, à qui la requête de M. A. avait été communiquée la veille de l’audience dans l’après-midi, doit être regardé comme suffisant pour lui permettre de présenter ses observations ; que, par suite, le moyen tiré de ce qu’en statuant sans tenir compte des observations écrites du PREFET DES PYRENEES-ORIENTALES, le juge de première instance aurait entaché son jugement d’irrégularité doit être écarté ;

Sur la légalité de la mesure de reconduite à la frontière :

Considérant qu’aux termes du I de l’article 22 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 : " Le représentant de l’Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police peuvent, par arrêté motivé, décider qu’un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : (.) 1° Si l’étranger ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, à moins qu’il ne soit titulaire d’un titre de séjour en cours de validité (.) " ; qu’il ressort des pièces du dossier que M. A., de nationalité marocaine, est entré irrégulièrement en France et était démuni d’un titre de séjour en cours de validité lors de son interpellation le 26 novembre 2002 ; qu’il se trouvait ainsi dans un des cas où le préfet peut décider la reconduite d’un étranger à la frontière ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que, si l’épouse de M. A. réside en France depuis six ans, ce dernier vit séparé d’elle et n’a pas d’enfants ; qu’il n’établit ni même n’allègue que certains des membres de sa famille vivant en France seraient à sa charge ; que, par suite, l’arrêté du PREFET DES PYRENEES-ORIENTALES ordonnant sa reconduite à la frontière, qui relève que l’intéressé est marié sans charges de famille en France, n’est entaché d’aucune erreur de fait ; que, dès lors, c’est à tort que le magistrat délégué par le président du tribunal administratif s’est fondé sur ce motif pour annuler, par l’article 1er du jugement attaqué, l’arrêté du PREFET DES PYRENEES-ORIENTALES du 26 novembre 2002 en tant qu’il ordonne la reconduite à la frontière de M. A. ;

Considérant, toutefois, qu’il appartient au Conseil d’Etat, saisi par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par M. A. devant le tribunal administratif à l’encontre de la mesure de reconduite ;

Considérant que l’arrêté, qui comporte l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision de reconduite à la frontière, est suffisamment motivé ;

Considérant que si, à l’appui de sa demande d’annulation de cette décision, M. A., âgé de 33 ans, fait valoir qu’il est entré en 1998 en France où réside toute sa famille, dont ses parents et sa femme, et qu’il est dépourvu d’attaches familiales dans son pays d’origine, il ressort des circonstances mentionnées plus haut, relatives à sa situation familiale, ainsi que de la durée et des conditions du séjour de l’intéressé en France que, eu égard aux effets d’une mesure de reconduite à la frontière, l’arrêté attaqué n’a pas porté au droit de M. A. au respect de sa vie familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris ; que, par suite, le moyen tiré de ce qu’il méconnaîtrait les stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et les dispositions du 7° de l’article 12 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée ne peut être accueilli ; que l’arrêté attaqué n’est pas davantage entaché d’une erreur manifeste d’appréciation ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le PREFET DES PYRENEES-ORIENTALES est fondé à soutenir que c’est à tort que, par l’article 1er du jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Montpellier a annulé son arrêté du 26 novembre 2002, en tant qu’il ordonne la reconduite à la frontière de M. A. ;

Sur la légalité de la mesure de placement en rétention administrative :

Considérant qu’il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que c’est à tort que le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Montpellier s’est fondé sur l’illégalité de la mesure de reconduite prise à l’encontre de M. A. pour annuler, par l’article 2 du jugement attaqué, l’arrêté du 26 novembre 2002 en tant qu’il ordonne le placement en rétention administrative de l’intéressé ;

Considérant, toutefois, qu’il appartient au Conseil d’Etat, saisi par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par M. A. devant le tribunal administratif à l’encontre de cette décision ;

Considérant que si l’article 35 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945 permet au préfet, s’il y a nécessité et dans les hypothèses que prévoit cette disposition, de maintenir dans des locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire, par décision écrite motivée, pendant le temps strictement nécessaire à son départ, l’étranger devant être reconduit à la frontière, l’arrêté attaqué ne mentionne aucune considération de fait de nature à justifier la mesure de placement de M. A. en rétention administrative pour une durée de 48 heures ; que, dès lors, le PREFET DES PYRENEES-ORIENTALES n’est pas fondé à se plaindre de ce que, par l’article 2 du jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Montpellier a annulé son arrêté du 26 novembre 2002, en tant qu’il ordonne le placement en rétention administrative de l’intéressé ;

D E C I D E :

Article 1er : L’article 1er du jugement du 29 novembre 2002 du magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Montpellier est annulé.

Article 2 : Les conclusions présentées par M. A. devant le tribunal administratif de Montpellier et dirigées contre l’arrêté du 26 novembre 2002, en tant qu’il ordonne sa reconduite à la frontière, sont rejetées.

Article 3 : Le surplus des conclusions du PREFET DES PYRENEES-ORIENTALES est rejeté.

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