Conseil d’Etat, 27 février 2004, n° 240087, Sonia M.

Aucune disposition ne prévoit la prise en charge par l’Etat au titre de l’aide juridictionnelle, hormis les honoraires de l’avocat commis dans les conditions prévues par le décret du 19 décembre 1991, des frais qui auraient pu être engagés par les requérants pour s’entourer, de leur propre initiative, des conseils de techniciens choisis par eux lors des opérations d’expertise.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 240087

Mlle M.

Mlle Vialettes
Rapporteur

M. Lamy
Commissaire du gouvernement

Séance du 2 février 2004
Lecture du 27 février 2004

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 6ème et 1ère sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 6ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête, enregistrée le 14 novembre 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par Mlle Sonia M. ; Mlle M. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande tendant à ce que soit modifié le décret du 19 décembre 1991 pour y prévoir l’assistance des bénéficiaires de l’aide juridictionnelle lors des opérations d’expertise judiciaire ;

2°) de lui enjoindre, sous astreinte de 1 000 F (152 euros) par jour de retard, d’édicter ces mesures, dans un délai de six mois à compter de la notification de la décision à intervenir ;

3°) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et notamment son article 6 paragraphe 1 ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique ;

Vu décret n° 91-1226 du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mlle Vialettes, Auditeur,
- les conclusions de M. Lamy, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’à l’appui de ses conclusions tendant à l’annulation du refus implicite du garde des sceaux, ministre de la justice, de modifier le décret du 19 décembre 1991 afin de prévoir la prise en charge au titre de l’aide juridictionnelle des honoraires de médecins choisis par des justiciables pour les assister lors d’opérations d’expertise ordonnées par une juridiction administrative, Mlle M. invoque l’incompatibilité de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique et du décret du 19 décembre 1991 pris pour son application avec les stipulations de l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Considérant, en premier lieu, qu’aucune disposition de la loi mentionnée ci-dessus ne prévoit la prise en charge par l’Etat au titre de l’aide juridictionnelle, hormis les honoraires de l’avocat commis dans les conditions prévues par le décret du 19 décembre 1991, des frais qui auraient pu être engagés par les requérants pour s’entourer, de leur propre initiative, des conseils de techniciens choisis par eux lors des opérations d’expertise ;

Considérant, en second lieu, que les dispositions de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, sous réserve du respect des principes qu’elles énoncent, laissent aux Etats la faculté d’organiser selon leur choix leur système juridictionnel, tant du point de vue de la répartition des compétences entre les juridictions que pour ce qui regarde leur composition et les formes de procéder devant elles ; qu’en particulier, et sous réserve qu’il n’en résulte aucune entrave aux droits garantis par la convention et à la protection juridictionnelle des justiciables, il appartient aux Etats de fixer les règles concernant le coût du procès et, en particulier, de déterminer la part de celui-ci qui peut, dans certains cas déterminés, être prise en charge par l’Etat ;

Considérant que la circonstance que les règles applicables devant le juge administratif, comme d’ailleurs devant le juge judiciaire, ne prévoient pas une prise en charge par l’Etat des frais exposés par une partie qui décide, de sa propre initiative, d’avoir recours à un conseil, autre qu’un avocat, afin de l’assister lorsqu’une expertise a été ordonnée, ne fait pas obstacle à la protection du justiciable et à l’exercice, par celui-ci, de ses droits devant la juridiction compétente ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique et le décret du 19 décembre 1991 pris pour son application, en tant qu’ils ne prévoient pas la prise en charge par l’Etat, au titre de l’aide juridictionnelle, de tels frais, librement exposés par le justiciable, seraient incompatibles avec la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne peut qu’être écarté ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les conclusions aux fins d’annulation du rejet implicite du garde des sceaux, ministre de la justice, de modifier sur ce point le décret du 19 décembre 1991, ainsi que celles qui tendent à ce que lui soient adressées des injonctions, ne peuvent qu’être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l’Etat, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à Mlle M. la somme que demande celle-ci au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mlle M. est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mlle Sonia M. et au garde des sceaux, ministre de la justice.

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Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article2434