Si l’article L. 244-1 du code rural institue une obligation de compatibilité des documents d’urbanisme avec les orientations et mesures contenues dans la charte d’un parc naturel régional, celle-ci n’a pas pour objet principal de déterminer les prévisions et règles touchant à l’affectation et à l’occupation des sols. Ses dispositions ne sont pas opposables aux demandes d’autorisation d’utilisation ou d’occupation des sols. Dès lors, la charte d’un parc naturel régional ne constitue pas un document d’urbanisme au sens des dispositions précitées de l’article L. 600-3, devenu R. 600-1, du code de l’urbanisme.
CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 198124
CENTRE REGIONAL DE LA PROPRIETE FONCIERE DE LORRAINE-ALSACE et autres
M. Dacosta
Rapporteur
M. Lamy
Commissaire du gouvernement
Séance du 2 février 2004
Lecture du 27 février 2004
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 6ème et 1ère sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 6ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 21 juillet et 20 novembre 1998 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour le CENTRE REGIONAL DE LA PROPRIETE FONCIERE DE LORRAINE-ALSACE, dont le siège est 41, avenue du Général de Gaulle à Le Ban Saint Marti (57050), le SYNDICAT DES PROPRIETAIRES FORESTIERS SYLVICULTEURS DES VOSGES, dont le siège est rue du Général Haxo à Epinal (88000) et le GROUPEMENT FORESTIER DE LA COMBE VALTIN, dont le siège est 76 ter rue Saint-Lazare à Compiègne (60200) ; le CENTRE REGIONAL DE LA PROPRIETE FONCIERE DE LORRAINE-ALSACE et autres demandent au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir le décret n° 98-445 du 5 juin 1998 portant renouvellement de classement du parc naturel régional des Ballons des Vosges (régions Alsace, Franche-Comté et Lorraine), en tant qu’il adopte les dispositions de la charte du parc naturel régional imposant aux propriétaires fonciers des obligations de procédure et de fond ;
2°) de condamner l’Etat à leur verser la somme de 20 000 F par application des dispositions de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, et notamment son article 22 ;
Vu le code de l’environnement ;
Vu le code forestier ;
Vu le code rural ;
Vu le code de l’urbanisme ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Dacosta, Maître des Requêtes,
les observations de la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat du CENTRE REGIONAL DE LA PROPRIETE FONCIERE DE LORRAINE-ALSACE, du SYNDICAT DES PROPRIETAIRES FORESTIERS SYLVICULTEURS DES VOSGES et du GROUPEMENT FORESTIER DE LA COMBE VALTIN,
les conclusions de M. Lamy, Commissaire du gouvernement ;
Sur la fin de non recevoir tirée par le ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement de ce que la requête ne lui aurait pas été préalablement notifiée :
Considérant, d’une part, qu’aux termes des deux premiers alinéas de l’article L. 600-3 du code de l’urbanisme, devenu l’article R. 600-1 du même code : "En cas de déféré du préfet ou de recours contentieux à l’encontre d’un document d’urbanisme ou d’une décision relative à l’occupation ou l’utilisation du code régie par le présent code, le préfet ou l’auteur du recours est tenu, à peine d’irrecevabilité, de notifier son recours à l’auteur de la décision et, s’il y a lieu, au titulaire de l’autorisation (.) / La notification prévue au précédent alinéa doit intervenir par lettre recommandée avec accusé de réception, dans un délai de quinze jours francs à compter du dépôt du déféré ou du recours" ;
Considérant, d’autre part, qu’aux termes des quatre premiers alinéas de l’article L. 244-1 du code rural, dans sa rédaction applicable à la date du décret attaqué, et dont les dispositions ont été reprises à l’article L. 333-1 du code de l’environnement : "Les parcs naturels régionaux concourent à la politique de protection de l’environnement, d’aménagement du territoire, de développement économique et social et d’éducation et de formation du public. Ils constituent un cadre privilégié des actions menées par les collectivités publiques en faveur de la préservation des paysages et du patrimoine naturel et culturel. / La charte du parc détermine pour le territoire du parc les orientations de protection, de mise en valeur et de développement et les mesures permettant de les mettre en œuvre. Elle comporte un plan élaboré à partir d’un inventaire du patrimoine indiquant les différentes zones du parc et leur vocation, accompagné d’un document déterminant les orientations et les principes fondamentaux de protection des structures paysagères sur le territoire du parc. / La charte constitutive est élaborée par la région avec l’accord de l’ensemble des collectivités territoriales concernées et en concertation avec les partenaires intéressés. Elle est adoptée par décret portant classement en parc naturel régional pour une durée maximale de dix ans. La révision de la charte est assurée par l’organisme de gestion du parc naturel régional. / L’Etat et les collectivités territoriales adhérant à la charte appliquent les orientations et les mesures de la charte dans l’exercice de leurs compétences sur le territoire du parc. Ils assurent, en conséquence, la cohérence de leurs actions et des moyens qu’ils y consacrent. Les documents d’urbanisme doivent être compatibles avec les orientations et les mesures de la charte" ;
Considérant que si l’article L. 244-1 du code rural institue une obligation de compatibilité des documents d’urbanisme avec les orientations et mesures contenues dans la charte d’un parc naturel régional, celle-ci n’a pas pour objet principal de déterminer les prévisions et règles touchant à l’affectation et à l’occupation des sols ; que ses dispositions ne sont pas opposables aux demandes d’autorisation d’utilisation ou d’occupation des sols ; que, dès lors, la charte d’un parc naturel régional ne constitue pas un document d’urbanisme au sens des dispositions précitées de l’article L. 600-3, devenu R. 600-1, du code de l’urbanisme ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que ces dernières dispositions ne sont pas applicables au recours dirigé contre le décret approuvant la charte d’un parc naturel régional ; que, par suite, le ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement n’est pas fondé à soutenir que la requête présentée par le CENTRE REGIONAL DE LA PROPRIETE FONCIERE DE LORRAINE-ALSACE, le SYNDICAT DES PROPRIETAIRES FORESTIERS SYLVICULTEURS DES VOSGES et le GROUPEMENT FORESTIER DE LA COMBE VALTIN serait irrecevable, faute de lui avoir été notifiée dans le délai de quinze jours prévu par cet article ;
Sur la légalité externe du décret attaqué :
Considérant qu’aux termes de l’article 22 de la Constitution : "Les actes du Premier ministre sont contresignés, le cas échéant, par les ministres chargés de leur exécution" ; que, contrairement à ce que soutiennent les auteurs de la requête, l’exécution du décret attaqué ne comporte nécessairement l’intervention d’aucune mesure que le ministre chargé de l’équipement et de l’urbanisme aurait été compétent pour signer ou contresigner ; qu’à supposer même que le ministre chargé de l’équipement et de l’urbanisme soit compétent pour approuver des documents d’urbanisme qui, incompatibles avec la charte, devraient de ce chef faire l’objet d’une révision, ce qui au demeurant n’est nullement établi, les mesures qu’il serait ainsi amené à prendre ne constitueraient pas des mesures d’exécution du décret attaqué au sens de l’article 22 de la Constitution ; que, par suite, le moyen tiré du défaut de contreseing du ministre chargé de l’équipement et de l’urbanisme ne peut qu’être écarté ;
Considérant que si les requérants soutiennent que la consultation du Conseil national de la protection de la nature, prévue par l’article R. 244-9 du code rural, a été entachée d’irrégularité, au motif que n’aurait pas été communiqué au préalable aux membres de cet organisme le projet de convention d’application de la charte avec l’Etat, prévue par l’article R. 244-3 du même code, il ressort des pièces du dossier que ce document a été adressé aux membres du Conseil national de la protection de la nature soit en même temps que la convocation à sa réunion du 26 février 1998, soit, pour ceux qui étaient simultanément membres de la commission " parcs naturels régionaux ", en vue de la réunion en date du 23 février de cette commission ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que la consultation du Conseil national de la protection de la nature aurait été irrégulière doit être écarté ;
Sur la légalité interne du décret attaqué :
Considérant qu’en vertu des dispositions combinées des articles L. 244-1, R. 244-2, R. 244-3 et R. 244-13 à R. 244-16 du code rural, la charte d’un parc naturel régional, approuvée par le décret de classement, "détermine pour le territoire du parc les orientations de protection, de mise en valeur et de développement et les mesures permettant de les mettre en œuvre" ; qu’elle comporte un rapport qui définit ces orientations, notamment "les principes fondamentaux de protection des structures paysagères sur le territoire du parc", et ces mesures, accompagné d’un "plan constitué d’un document graphique qui délimite, en fonction du patrimoine, les différentes zones où s’appliquent les orientations et les mesures définies dans le rapport" ;
Considérant, qu’en vertu des dispositions déjà citées de l’article L. 244-1 du même code, que les documents d’urbanisme doivent être compatibles avec les orientations de la charte et les mesures qu’elle prévoit ; que, pour la mise en œuvre de la charte, est signée, entre l’organisme de gestion et l’Etat, une convention d’application ; que l’Etat et les collectivités territoriales qui ont adhéré à la charte en appliquent les orientations et les mesures dans l’exercice de leurs compétences respectives en assurant la cohérence tant de leurs actions que des moyens qu’ils y consacrent ;
Considérant qu’il résulte de l’ensemble de ces dispositions que la charte d’un parc naturel régional est un acte destiné à orienter l’action des pouvoirs publics dans un souci de protection de l’environnement, d’aménagement du territoire, de développement économique et social et d’éducation et de formation du public sur le territoire du parc et à assurer la cohérence de cette action avec les objectifs qui y sont définis ; que s’il appartient, dès lors, aux différentes collectivités concernées de prendre les mesures et de mener les actions propres à assurer la réalisation des objectifs de la charte et de mettre en œuvre les compétences qu’ils tiennent des différentes législations, dans toute la mesure où elles leur confèrent un pouvoir d’appréciation, dans un souci de cohérence qui est une condition de leur légalité, la charte d’un parc naturel régional ne peut légalement contenir de règles opposables aux tiers, qu’il s’agisse de règles de fond ou de règles de procédure ;
Considérant qu’aux termes de l’antépénultième alinéa de l’"axe" 7 de la charte du parc naturel régional des Ballons des Vosges : "Les infrastructures (chemins et pistes) et les autres équipements nécessaires à l’exploitation des forêts devront faire l’objet, notamment dans les sites sensibles, d’une analyse et d’une évaluation de leur impact, tant sur le plan des patrimoines naturels et paysagers, qu’au niveau économique" ; qu’aux termes du troisième alinéa de la "mesure" 7-1, les plans simples de gestion, lesquels doivent être agréés par les centres régionaux de la propriété forestière, "seront conformes aux principes généraux" précédemment énoncés et "aux orientations et directives locales d’aménagement" ; qu’aux termes du dernier alinéa de la même "mesure" : "Les organismes représentant les propriétaires privés et l’O.N.F. informeront le Parc des révisions d’aménagement forestier qu’ils engagent pour que celui-ci leur communique les informations dont il dispose, et leur fasse part de ses remarques" ; qu’aux termes du deuxième alinéa de la "mesure" 7-2, "les éventuelles créations de chemin, nécessaires à l’exploitation forestière, seront étudiées dans le cadre de schémas de desserte à l’échelle de massif forestier" ; qu’aux termes du dernier alinéa de la même "mesure" : "Les propriétaires et gestionnaires forestiers soumettront au parc pour avis les schémas de desserte" ; qu’enfin, aux termes du septième alinéa de l’"axe" 8, les espaces forestiers sensibles "seront gérés avec un objectif prioritaire de conservation et d’observation scientifique" ;
Considérant que ces dispositions imposent aux propriétaires forestiers, à leurs représentants et au centre régional de la propriété forestière le respect d’obligations de procédure et de fond pour ce qui concerne les équipements d’exploitation des forêts et, notamment, les chemins d’exploitation ; que, contrairement à ce que soutient le ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement, elles ne peuvent, eu égard à leur rédaction, être regardées comme de simples recommandations dépourvues de tout effet à l’égard des tiers ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que sont entachées d’illégalité les dispositions de la charte figurant à l’antépénultième alinéa de l’"axe" 7, aux troisième et dernier alinéas de la "mesure" 7-1, aux deuxième et au dernier alinéas de la "mesure" 7-2 et au septième alinéa de la "mesure" 8 ; que ces dispositions sont divisibles du reste de la charte ; que, dès lors, les requérants sont recevables et fondés à demander l’annulation du décret attaqué, en tant qu’il adopte les dispositions mentionnées ci-dessus de la charte ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l’Etat à verser aux requérants une somme de 3 000 euros au titre des frais engagés par eux et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Le décret du 5 juin 1998 portant renouvellement du classement du parc naturel régional des Ballons des Vosges est annulé en tant qu’il adopte les dispositions de la charte du parc naturel régional figurant à l’antépénultième alinéa de l’"axe" 7, aux troisième et dernier alinéa de la "mesure" 7-1, aux deuxième et derniers alinéa de la "mesure" 7-2 et au septième alinéa de l’"axe" 8.
Article 2 : L’Etat versera au CENTRE REGIONAL DE LA PROPRIETE FONCIERE DE LORRAINE-ALSACE, au SYNDICAT DES PROPRIETAIRES FORESTIERS SYLVICULTEURS DES VOSGES et au GROUPEMENT FORESTIER DE LA COMBE VALTIN une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du CENTRE REGIONAL DE LA PROPRIETE FONCIERE DE LORRAINE-ALSACE, du SYNDICAT DES PROPRIETAIRES FORESTIERS SYLVICULTEURS DES VOSGES et du GROUPEMENT FORESTIER DE LA COMBE VALTIN est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au CENTRE REGIONAL DE LA PROPRIETE FONCIERE DE LORRAINE-ALSACE, au SYNDICAT DES PROPRIETAIRES FORESTIERS SYLVICULTEURS DES VOSGES, au GROUPEMENT FORESTIER DE LA COMBE VALTIN, au Premier ministre et au ministre de l’écologie et du développement durable.
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Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article2433