Conseil d’Etat, 6 février 2004, n° 249792, Mme Claudine D.

La mise en disponibilité d’office pour raison de santé d’un fonctionnaire bénéficiant d’une indemnité d’éloignement en application de l’article 2 précité du décret du 22 décembre 1953, si elle interrompt l’activité de service de l’intéressé, et fait ainsi obstacle à ce que la période de disponibilité soit elle-même prise en compte pour l’appréciation de la durée de services de quatre ans prévue à cet article, a seulement pour effet de suspendre le cours de ce délai de quatre ans, lequel délai peut ainsi recommencer à courir à compter de la réintégration du fonctionnaire dans un emploi situé dans le même département d’outre-mer que celui où il était affecté avant l’interruption de son activité.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 249792

Mme D.

M. Hassan
Rapporteur

Mme Mitjavile
Commissaire du gouvernement

Séance du 14 janvier 2004
Lecture du 6 février 2004

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 10ème et 9ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 10ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 22 août et 23 décembre 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour Mme Claudine D. ; Mme D. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt du 21 mai 2002 par lequel la cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté sa demande tendant, d’une part, à l’annulation du jugement en date du 8 avril 1999 par lequel le tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du recteur de l’académie de la Réunion rejetant implicitement son recours gracieux du 1er avril 1997 tendant au versement de la deuxième fraction de son indemnité d’éloignement et à la condamnation de l’Etat à payer complètement ladite indemnité et, d’autre part, à la condamnation de l’Etat à lui verser l’indemnité à laquelle elle peut prétendre, assortie des intérêts ayant couru depuis la date d’ouverture de ses droits ;

2°) statuant comme juge du fond, d’annuler le jugement du tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion en date du 8 avril 1999 et de condamner l’Etat à verser à Mme D. dans son intégralité l’indemnité de résidence à laquelle elle a droit, assortie des intérêts à compter de la date d’ouverture de ses droits, les intérêts devant être capitalisés, ainsi que la somme de 19 970 euros à titre de dommages et intérêts ;

3°) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

Vu le décret n° 53-1266 du 22 décembre 1953 ;

Vu le décret n° 85-986 du 16 septembre 1985 modifié ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Hassan, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Bachellier, Potier de la Varde, avocat de Mme D.,
- les conclusions de Mme Mitjavile, Commissaire du gouvernement ;

Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article 2 du décret du 22 décembre 1953 : "Les fonctionnaires de l’Etat qui recevront une affectation dans l’un des départements de la Guadeloupe, de la Guyane française, de la Martinique ou de La Réunion, à la suite de leur entrée dans l’administration, d’une promotion ou d’une mutation et dont le précédent domicile était distant de plus de 3 000 km du lieu d’exercice de leurs nouvelles fonctions, percevront, s’ils accomplissent une durée minimum de services de quatre années consécutives, une indemnité dénommée "indemnité d’éloignement des départements d’outre-mer" non renouvelable (.). / L’indemnité d’éloignement est payable en trois fractions : la première lors de l’installation du fonctionnaire dans son nouveau poste, la seconde au début de la troisième année de services et la troisième après quatre ans de services" ;

Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article 51 de la loi du 11 janvier 1984 : "La disponibilité est la position du fonctionnaire qui, placé hors de son administration ou service d’origine, cesse de bénéficier, dans cette position, de ses droits à l’avancement et à la retraite. / La disponibilité est prononcée, soit à la demande de l’intéressé, soit d’office à l’expiration des congés prévus aux 2°, 3° et 4° de l’article 34 ci-dessus. Le fonctionnaire mis en disponibilité qui refuse successivement trois postes qui lui sont proposés en vue de sa réintégration peut être licencié après avis de la commission administrative paritaire" ; qu’aux termes de l’article 43 du décret du 16 septembre 1985 : "La mise en disponibilité ne peut être prononcée d’office qu’à l’expiration des droits statutaires à congés de maladie prévus à l’article 34 (2°, 3° et 4°) de la loi du 11 janvier 1984 susvisée et s’il ne peut, dans l’immédiat, être procédé au reclassement du fonctionnaire dans les conditions prévues à l’article 63 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée. / La durée de la disponibilité prononcée d’office ne peut excéder une année. Elle peut être renouvelée deux fois pour une durée égale. Si le fonctionnaire n’a pu, durant cette période, bénéficier d’un reclassement, il est, à l’expiration de cette durée, soit réintégré dans son administration, soit admis à la retraite, soit, s’il n’a pas droit à pension, licencié. / Toutefois, si, à l’expiration de la troisième année de disponibilité, le fonctionnaire est inapte à reprendre son service, mais s’il résulte d’un avis du comité médical prévu par la réglementation en vigueur qu’il doit normalement pouvoir reprendre ses fonctions ou faire l’objet d’un reclassement avant l’expiration d’une nouvelle année, la disponibilité peut faire l’objet d’un troisième renouvellement" ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la mise en disponibilité d’office pour raison de santé d’un fonctionnaire bénéficiant d’une indemnité d’éloignement en application de l’article 2 précité du décret du 22 décembre 1953, si elle interrompt l’activité de service de l’intéressé, et fait ainsi obstacle à ce que la période de disponibilité soit elle-même prise en compte pour l’appréciation de la durée de services de quatre ans prévue à cet article, a seulement pour effet de suspendre le cours de ce délai de quatre ans, lequel délai peut ainsi recommencer à courir à compter de la réintégration du fonctionnaire dans un emploi situé dans le même département d’outre-mer que celui où il était affecté avant l’interruption de son activité ;

Considérant que, pour rejeter l’appel de Mme DOUMENQ dirigée contre le jugement en date du 8 avril 1999 par lequel le tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion a rejetée sa demande dirigée contre son recours gracieux en date du 1er avril 1997 tendant à ce que lui soit versée la deuxième fraction de son indemnité d’éloignement, la cour administrative d’appel de Bordeaux a estimé que la mise en disponibilité d’office pour raison de santé a pour effet d’interrompre la computation du délai de quatre ans prévue à l’article 2 précité du décret du 22 décembre 1953 et qu’une nouvelle période de quatre ans est ensuite ouverte par la réintégration à l’issue de la mise en disponibilité ; que la cour a ainsi commis une erreur de droit ; que Mme D. est fondée à demander, pour ce motif, l’annulation de l’arrêt attaqué ;

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, par application des dispositions de l’article L. 821-1 du code de justice administrative, de régler l’affaire au fond ;

Sur les conclusions d’excès de pouvoir dirigées contre le refus de verser la deuxième fraction de l’indemnité d’éloignement :

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que Mme D., originaire de la métropole, a été affectée à La Réunion en qualité d’institutrice spécialisée ; qu’elle a perçu la première fraction de l’indemnité d’éloignement lors de son installation ; qu’après plusieurs congés de longue maladie ou de longue durée, elle a été placée en disponibilité d’office pour raisons de santé ; qu’elle est demeurée en disponibilité pendant une durée de trois ans à compter du 7 novembre 1991 ; qu’ainsi qu’il a été dit plus haut, cette mise en disponibilité n’a pas interrompu définitivement la computation du délai de quatre ans prévu à l’article 2 du décret du 22 décembre 1953 mais l’a seulement suspendue, contrairement à ce qu’a jugé le tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion, et que cette computation a pu reprendre à compter de la date de réintégration de Mme D., qui a été affectée à nouveau à La Réunion, soit le 8 novembre 1994 ; qu’il suit de là que Mme D. est fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Saint-Denis de La Réunion a rejeté ses conclusions dirigées contre la décision lui refusant le bénéfice de la deuxième fraction de l’indemnité d’éloignement ;

Sur les conclusions d’excès de pouvoir relatives au versement de la troisième fraction de l’indemnité d’éloignement :

Considérant que si Mme D. a demandé le versement du solde de son indemnité d’éloignement, de telles conclusions, présentées pour la première fois en appel, ne sont pas recevables ;

Sur les conclusions indemnitaires :

Considérant que si Mme D. entend obtenir la réparation du préjudice qu’elle aurait subi en contractant des dettes qu’elle n’a pas ensuite été à même de rembourser, en se fondant sur l’indication donnée à tort par le recteur le 17 août 1995, selon laquelle le versement de la deuxième fraction de son indemnité d’éloignement aurait lieu en décembre 1996, ces conclusions sont présentées à titre subsidiaire ; qu’ainsi qu’il a été dit plus haut, il y a lieu d’accueillir les conclusions principales de Mme D. relatives au versement de la deuxième fraction de l’indemnité d’éloignement ; que les conclusions subsidiaires doivent par suite être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l’Etat à payer à Mme D. la somme de 2 000 euros que demande celle-ci au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux en date du 21 mai 2002 est annulé.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Saint Denis de La Réunion en date du 8 avril 1999, en tant qu’il a rejeté les conclusions de Mme D. dirigées contre la décision par laquelle le recteur de La Réunion a refusé de lui verser la deuxième fraction de son indemnité d’éloignement, ainsi que cette décision, sont annulés.

Article 3 : L’Etat versera à Mme D. une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme D. est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme Claudine D. et au ministre de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche.

_________________
Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article2411