Si les dispositions de l’article 20 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945 interprétées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 25 février 1992 font obligation aux transporteurs aériens de s’assurer, au moment des formalités d’embarquement, que les voyageurs ressortissants d’Etats non membres de la Communauté européenne sont en possession de documents de voyage, le cas échéant revêtus des visas exigés par les textes, leur appartenant, non falsifiés et valides, et de vérifier que ceux-ci ne comportent pas des éléments d’irrégularité manifestes, décelables par un examen normalement attentif des agents de l’entreprise de transport, il résulte de ces mêmes dispositions que l’entreprise de transport doit pouvoir apporter la preuve qu’en laissant embarquer le passager ses services n’ont pas manqué à leurs obligations
COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE PARIS
N° 03PA00565
SOCIETE AIR FRANCE
c/ Ministre de l’intérieur
Mme TRICOT
Présidente
M. COIFFET
Rapporteur
M. HAIM
Commissaire du Gouvernement
Séance du 27 novembre 2003
Lecture du 11 décembre 2003
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE PARIS
(4ème Chambre B)
VU la requête, enregistrée au greffe de la cour le 3 février 2003 sous le n° 3PA00565, pour la SOCIETE AIR FRANCE, dont le siège social est 45, rue de Paris, 95747 Roissy CDG cedex, par Me VISY, avocat ; la SOCIETE AIR FRANCE demande à la cour :
1°) d’annuler le jugement n° 0102825 en date du 21 novembre 2002 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du ministre de l’intérieur en date du 19 avril 2001 infligeant à la compagnie une amende d’un montant de 1524,49 euros ;
2°) de décharger la compagnie du paiement de cette amende ou de la réduire à un montant symbolique ;
3°) d’enjoindre au ministre de rembourser ladite somme avec une astreinte de 76,22 euros par jour à compter du 16ème jour de la notification du jugement ;
4°) de condamner l’Etat à verser à la compagnie la somme de 1.829,39 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU la convention d’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les gouvernements des Etats de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, signée à Schengen le 19 juin 1990 ;
VU le code de l’aviation civile ;
VU l’ordonnance n° 452658 du 2 novembre 1945 modifiée, relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France ;
VU le décret n° 93180 du 8 février 1993 ;
VU la décision du Conseil constitutionnel n° 92307 DC du 25 février 1992 ;
VU le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 27 novembre 2003 :
le rapport de M. COIFFET, premier conseiller,
et les conclusions de M. HAIM, commissaire du Gouvernement ;
Considérant que, par décision en date du 19 avril 2001, le ministre de l’intérieur a, sur le fondement des dispositions de l’article 20 bis de l’ordonnance du 2(novembre 1945 modifiée, infligé à la COMPAGNIE NATIONALE AIR FRANCE devenue SOCIETE AIR FRANCE, une amende d’un montant de 10.000 F pour avoir laissé débarquer sur le territoire français d’un vol en provenance d’Istambul, un passager du nom de M. C. A. X., ne présentant aucun document de voyage ; que, par jugement du 21 novembre 2002, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, estimant que la SOCIETE AIR FRANCE n’établissait pas que les documents requis lui avaient été présentés au moment de l’embarquement et que le ministre de l’intérieur avait fait une exacte application des dispositions de l’ordonnance du 2 novembre 1945 et du décret susvisé du 8 février 1993, a rejeté la demande de la COMPAGNIE AIR FRANCE tendant à l’annulation de cette décision et à la décharge de cette amende ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête :
Considérant que la SOCIETE AIR FRANCE soutient en appel que les premiers juges ont méconnu les dispositions légales et réglementaires en particulier le décret du 8 février 1993 en ce qu’elle n’a pas été mise en mesure de pouvoir présenter sa défense, notamment de pouvoir recueillir auprès de ses services de l’escale de départ les informations sur les conditions d’embarquement du voyageur, faute pour le ministre de lui avoir communiqué, en temps utile, le procès-verbal ;
Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article 20 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée, dans sa rédaction issue de la loi du 26 février 1992 : " I- Est punie d’une amende d’un montant maximum de 10.000 F l’entreprise de transport aérien ou maritime qui débarque sur le territoire français, en provenance d’un autre Etat, un étranger non ressortissant d’un Etat membre de la Communauté économique européenne et démuni de documents de voyage et, le cas échéant, du visa requis par la loi ou l’accord international qui lui est applicable à raison de sa nationalité. Le manquement est constaté par un procès-verbal établi par un fonctionnaire appartenant à l’un des corps dont la liste est définie par décret en Conseil d’Etat. Copie du procès-verbal est remise à l’entreprise de transport intéressée. Le manquement ainsi relevé donne lieu à une amende prononcée par le ministre de l’intérieur. (...) L’entreprise de transport a accès au dossier et est mise à même de présenter ses observations écrites dans un délai d’un mois sur le projet de sanction de l’administration (...) " ; que le même article précise ensuite dans son II que " L’amende prévue au premier alinéa n’est pas infligée : (...) 2°) lorsque l’entreprise de transport établit que les documents requis lui ont été présentés au moment de l’embarquement ou lorsque les documents présentés ne comportent pas un élément d’irrégularité manifeste " ; que si ces dispositions interprétées par le Conseil constitutionnel dans sa décision susvisée du 25 février 1992 font obligation aux transporteurs aériens de s’assurer, au moment des formalités d’embarquement, que les voyageurs ressortissants d’Etats non membres de la Communauté européenne sont en possession de documents de voyage, le cas échéant revêtus des visas exigés par les textes, leur appartenant, non falsifiés et valides, et de vérifier que ceux-ci ne comportent pas des éléments d’irrégularité manifestes, décelables par un examen normalement attentif des agents de l’entreprise de transport, il résulte de ces mêmes dispositions que l’entreprise de transport doit pouvoir apporter la preuve qu’en laissant embarquer le passager ses services n’ont pas manqué à leurs obligations ;
Considérant, d’autre part, qu’aux termes du dernier alinéa de l’article 4 du décret susvisé du 8 février 1993 : " Ce procès-verbal est transmis au ministre de l’intérieur et de la sécurité publique (...) Il comporte, le cas échéant, les observations de l’entreprise de transport. Copie du procès-verbal est remise à son représentant qui en accuse réception " ; qu’il résulte de ces dispositions intervenues pour préciser les dispositions de l’article 20 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945, en particulier les garanties offertes à la compagnie de transport sanctionnée, que l’administration est tenue en vue d’assurer le respect des droits de la défense de permettre au représentant du transporteur de porter, s’il l’estime nécessaire, ses observations sur le procès-verbal avant sa transmission au ministre ; qu’il ressort des pièces versées au dossier que la SOCIETE AIR FRANCE n’a reçu que le 25 janvier 2001, soit en même temps que le projet de sanction que l’administration entendait lui infliger, une copie du procès-verbal de l’infraction constatée le 7 mai 2000 ; que la société requérante a ainsi été mise dans l’impossibilité d’apporter la preuve qu’au moment de son embarquement, le passager avait régulièrement présenté des documents ne comportant pas d’élément d’irrégularité manifeste ; que, par suite, la SOCIETE AIR FRANCE est fondée à soutenir que la procédure ayant conduit au prononcé de la sanction, entachée d’un vice substantiel, était irrégulière ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède, que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté les conclusions présentées par la SOCIETE AIR FRANCE à fin d’annulation de la décision du ministre de l’intérieur en date du 19 avril 2001 ; qu’il y a lieu, en conséquence, de prononcer ensemble l’annulation de cette décision ainsi que celle du jugement en date du 21 novembre 2001 et de prononcer la décharge de l’amende de 1.524,49 euros infligée par la décision du 19 avril 2001 à la SOCIETE AIR FRANCE ;
Sur les conclusions à fin d’injonction :
Considérant que le présent arrêt implique nécessairement qu’il soit enjoint à l’Etat de rembourser à la SOCIETE AIR FRANCE la somme de 1.524,49 euros qu’elle a versée en exécution de la décision du 19 avril 2001, sans qu’il y ait lieu d’ordonner l’astreinte demandée ;
Sur l’application des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de condamner l’Etat à verser à la société requérante la somme de 1.829,39 euros au titre des frais irrépétibles ;
D E C I D E :
Article 1er : La décision du ministre de l’intérieur en date du 19 avril 2001 et le jugement n° 0102825 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise en date du 21 novembre 2002 sont annulés.
Article 2 : Il est ordonné à l’Etat (ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales) de rembourser à la SOCIETE AIR FRANCE la somme de 1.524,49 euros.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : L’Etat (ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales) est condamné à verser à la société requérante la somme de 1.829,39 euros au titre des frais irrépétibles.
_________________
Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article2398