Conseil d’Etat, 12 janvier 2004, n° 212067, Société de transports et entrepots frigorifiques (STEF)

Si, dans sa version antérieure à la loi du 4 janvier 1993, l’article 16 de la loi du 19 juillet 1976 établissait une distinction entre les installations soumises, avant sa promulgation, au régime des établissements dangereux, insalubres ou incommodes de la loi du 19 décembre 1917 et les autres, cette disposition, dans sa rédaction issue de la loi du 4 janvier 1993, applicable à la date à laquelle a été pris l’arrêté attaqué, ne comporte plus une telle distinction.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 212067

SOCIETE DE TRANSPORTS ET ENTREPOTS FRIGORIFIQUES (S.T.E.F.)

M. Henrard
Rapporteur

M. Lamy
Commissaire du gouvernement

Séance du 10 décembre 2003
Lecture du 12 janvier 2004

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 6ème et 4ème sous-section réunies)

Sur le rapport de la 6ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 septembre 1999 et 12 novembre 1999 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SOCIETE DE TRANSPORTS ET ENTREPOTS FRIGORIFIQUES, dont le siège est 93, Bld Malesherbes à Paris (75008) ; la SOCIETE DE TRANSPORTS ET ENTREPOTS FRIGORIFIQUES demande au Conseil d’Etat d’annuler l’arrêt du 6 juillet 1999, par lequel la COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE LYON a rejeté sa requête tendant à l’annulation du jugement du 13 novembre 1996 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande, tendant à l’annulation de l’arrêté en date du 18 mars 1996 du préfet du Rhône lui enjoignant de procéder, dans un délai maximum de deux ans à compter de la notification de la décision, au remplacement de l’ammoniac par un fluide frigorigène non toxique au sens de la rubrique 1000 de la nomenclature des installations classées pour l’environnement et respectant la réglementation en vigueur en ce qui concerne la protection de la couche d’ozone ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l’environnement ;

Vu la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 modifiée ;

Vu le décret n° 77-1133 du 21 septembre 1977 modifié ;

Vu le décret du 7 juillet 1992 modifiant la nomenclature des établissements classés ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Henrard, Auditeur,
- les observations de la SCP Nicolay, de Lanouvelle, avocat de la SOCIETE DE TRANSPORTS ET ENTREPOTS FRIGORIFIQUES (S.T.E.F.),
- les conclusions de M. Lamy, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par arrêté en date du 18 mars 1996, le préfet du Rhône a enjoint à la SOCIETE DE TRANSPORTS ET ENTREPOTS FRIGORIFIQUES de mettre en place sous deux mois, pendant les manifestations de la Coupe du monde de football au stade de Gerland, une astreinte avec surveillance renforcée de l’entrepôt frigorifique qu’elle exploite au port Edouard Herriot de Lyon-Gerland et, d’autre part, de procéder dans un délai maximum de deux ans au remplacement, dans le même entrepôt, de l’ammoniac par un fluide frigorigène "non toxique ou non très toxique" au sens de la rubrique 1000 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement et respectant la réglementation en vigueur en ce qui concerne la couche d’ozone ; que, le tribunal administratif de Lyon ayant rejeté sa demande d’annulation de cet arrêté, la société demande l’annulation de l’arrêt du 6 juillet 1999 par lequel la cour administrative d’appel de Lyon a rejeté sa requête dirigée contre le jugement du tribunal administratif de Lyon du 13 novembre 1996 ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête :

Considérant que, pour demander l’annulation de l’arrêté préfectoral attaqué, la société faisait valoir devant la cour qu’en vertu de l’article 16 de la loi du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l’environnement, elle devait bénéficier des dispositions du troisième alinéa de l’article 37 du décret du 21 septembre 1977 pris pour son application, dans la rédaction résultant du décret du 12 juin 1994, selon lequel il ne pouvait lui être imposé de "modifications importantes touchant le gros œuvre de l’installation ou des changements considérables dans son mode d’exploitation" ;

Considérant que pour écarter cette argumentation, la cour a jugé que les installations de la société entraient déjà dans le champ d’application de la loi du 19 décembre 1917 et que, dans ces conditions, elle n’était pas couverte par l’article 37 du décret du 21 septembre 1977 dès lors que son bénéfice était réservé, en vertu des dispositions mêmes de l’article 16 de la loi du 19 juillet 1976, aux seules installations qui, avant l’intervention de cette dernière loi, étaient en dehors du champ d’application de la loi du 19 décembre 1917 ;

Considérant, toutefois, que si, dans sa version antérieure à la loi du 4 janvier 1993, l’article 16 de la loi du 19 juillet 1976 établissait une distinction entre les installations soumises, avant sa promulgation, au régime des établissements dangereux, insalubres ou incommodes de la loi du 19 décembre 1917 et les autres, cette disposition, dans sa rédaction issue de la loi du 4 janvier 1993, applicable à la date à laquelle a été pris l’arrêté attaqué, ne comporte plus une telle distinction ; qu’il dispose en effet : "les installations qui, après avoir été régulièrement mises en renvoi, sont soumises, en vertu d’un décret relatif à la nomenclature des installations classées, à autorisation ou à déclaration peuvent continuer à fonctionner sans cette autorisation ou déclaration à la seule condition que l’exploitant se soit déjà fait connaître du représentant de l’Etat dans le département ou se fasse connaître dans l’année suivant la publication du décret" ;

Considérant qu’il n’est pas contesté que la société s’était fait connaître du préfet, dans les conditions prévues par l’article 35 du décret du 21 septembre 1977 ; qu’il en résulte que celle-ci pouvait, conformément aux dispositions du premier alinéa de l’article 37 de ce décret, bénéficier des dispositions du troisième alinéa du même texte ; qu’en jugeant le contraire, la cour a entaché son arrêt d’une erreur de droit ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat, s’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut " régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie " ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au fond ;

Sur les règles de droit applicables :

Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la loi du 19 juillet 1976 aujourd’hui codifié sous l’article L. 511-1 du code de l’environnement, entrent dans le champ d’application de la loi toutes les installations qui peuvent présenter des dangers ou inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques ; que l’article 2 précise les conditions d’établissement de la nomenclature des installations classées et leur soumission à autorisation ou à déclaration suivant la gravité des dangers ou inconvénients que peut présenter leur exploitation ; qu’en vertu du premier alinéa de l’article 6 de la même loi, repris à l’article L. 512-3 du code de l’environnement, "les conditions d’installation et d’exploitation jugées indispensables... sont fixées par l’arrêté d’autorisation et éventuellement par des arrêtés complémentaires pris postérieurement à cette autorisation" ; qu’aux termes de l’article 16 de la même loi aujourd’hui codifié sous l’article L. 513-1 du code de l’environnement, dans sa rédaction en vigueur à la date à laquelle a été pris l’arrêté du préfet du Rhône : "Les installations qui, après avoir été régulièrement mises en service, sont soumises, en vertu d’un décret relatif à la nomenclature des installations classées, à autorisation ou déclaration peuvent continuer à fonctionner sans cette autorisation ou déclaration à la seule condition que l’exploitant se soit déjà fait connaître du représentant de l’Etat dans le département ou se fasse connaître de lui dans l’année suivant la publication du décret. Les renseignements que l’exploitant doit transmettre au préfet ainsi que les mesures que celui-ci peut imposer afin de sauvegarder les intérêts mentionnés à l’article 1er (devenu article L. 511-1 du code de l’environnement) sont précisés par décret en Conseil d’Etat" ;

Considérant qu’il est constant que la société s’est conformée à ces prescriptions pour l’installation qu’elle exploite depuis 1969, à la suite de la société Sofrigor, sur le port Edouard Herriot à Lyon, et qui relevait de la rubrique 1136-3 (A) de la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement en application du décret du 7 juillet 1992, en tant qu’utilisant de l’ammoniac ;

Considérant qu’aux termes de l’article 10 du décret du 21 septembre 1977 : "Au vu du dossier de l’enquête et des avis prévus par les articles précédents, qui lui sont adressés par le préfet, l’inspection des installations classées établit un rapport sur la demande d’autorisation et sur les résultats de l’enquête ; ce rapport est présenté au conseil départemental d’hygiène saisi par le préfet./ L’inspection des installations classées soumet également au conseil départemental d’hygiène ses propositions concernant soit le refus de la demande, soit les prescriptions envisagées./ Le demandeur a la faculté de se faire entendre par le conseil ou de désigner à cet effet un mandataire. Il doit être informé par le préfet au moins huit jours à l’avance de la date et du lieu de la réunion du conseil et reçoit simultanément un exemplaire des propositions de l’inspection des installations classées" ; qu’aux termes de l’article 17 du même décret, les conditions d’aménagement et d’exploitation d’une installation classée "doivent satisfaire aux prescriptions fixées par l’arrêté d’autorisation et, le cas échéant, par les arrêtés complémentaires" ; qu’aux termes de l’article 18, dans sa rédaction toujours en vigueur résultant du décret du 9 juin 1994 : "Des arrêtés complémentaires peuvent être pris sur proposition de l’inspection des installations classées et après avis du conseil départemental d’hygiène. Ils peuvent fixer toutes les prescriptions additionnelles que la protection des intérêts mentionnés à l’article 1er de la loi du 19 juillet 1976 rend nécessaires... L’exploitant peut se faire entendre et présenter ses observations dans les conditions prévues à l’alinéa 3 de l’article 10 ... " ; que l’article 35 précise les indications que doit fournir l’exploitant pour les installations existantes faisant l’objet de dispositions de l’article 16 de la loi, et qu’enfin, aux termes de l’article 37 du même décret, relatif au cas, prévu à l’article 35, des installations existantes faisant l’objet des dispositions de l’article 16 de la loi, dans sa rédaction toujours en vigueur résultant du décret du 9 juin 1994 : "... Le préfet peut prescrire, dans les conditions prévues aux articles 18 et 30 ci-dessus, les mesures propres à sauvegarder les intérêts mentionnés à l’article 1er de la loi du 19 juillet 1976./ Ces mesures ne peuvent entraîner de modifications importantes touchant le gros œuvre de l’installation ou des changements considérables dans son mode d’exploitation" ; que ces dispositions étaient applicables à la société requérante à la date de l’arrêté attaqué ;

Sur la motivation de l’arrêté attaqué :

Considérant que l’arrêté attaqué énonce les considérations de fait et de droit qui constituent son fondement, et notamment les raisons pour lesquelles le préfet du Rhône a estimé nécessaire de prescrire le remplacement de l’amoniac par un autre fluide frigorigène ; que, par suite, le moyen tiré de son insuffisante motivation a été écarté à bon droit par les premiers juges ;

Sur la régularité de la procédure suivie :

Considérant que le projet de prescriptions envisagées par l’inspection des installations classées, dans son rapport contenant ses propositions soumises au conseil départemental d’hygiène, a été communiqué à la SOCIETE DE TRANSPORTS ET ENTREPOTS FRIGORIFIQUES par courrier du 13 novembre 1995, reçu le 14 novembre, soit plus de huit jours avant la réunion, le 23 novembre 1995, du conseil départemental d’hygiène saisi par le préfet ; que la société a ainsi été mise en mesure de présenter ses observations dans les délais prescrits par l’article 10 du décret du 21 septembre 1977 ; que, par suite, c’est à bon droit que le tribunal administratif de Lyon, qui n’a pas dénaturé les pièces qui lui étaient soumises, a écarté le moyen tiré de l’irrégularité de la procédure suivie devant le conseil départemental d’hygiène ;

Sur le bien-fondé des prescriptions complémentaires :

Considérant qu’il résulte de l’instruction que, même une fois réalisées les améliorations techniques préconisées par le bureau Veritas, comportant notamment la segmentation des circuits d’ammoniac avec coupure automatique des débits en cas de fuite et confinement des combles, le risque résiduel comporte la possibilité d’effets irréversibles pour l’homme dans un rayon de 170 m englobant une partie du stade Gerland ; qu’ainsi, eu égard à la gravité des risques encourus et nonobstant leur faible probabilité d’occurrence, le préfet a légalement pu prescrire à la SOCIETE DE TRANSPORTS ET ENTREPOTS FRIGORIFIQUES, d’une part, la mise en place d’une astreinte avec surveillance renforcée du site qui ne pouvait à elle seule suffire à rendre ces risques hautement improbables, d’autre part, le remplacement de l’ammoniac par un fluide frigorigène non toxique ou non très toxique au sens de la rubrique 1000 de la nomenclature des installations classées et respectant la réglementation en vigueur en ce qui concerne la couche d’ozone ; que ces prescriptions ne présentaient aucune impossibilité matérielle ou économique d’application pour la SOCIETE DE TRANSPORTS ET ENTREPOTS FRIGORIFIQUES, nonobstant, leur coût et la circonstance que la concession de la société expirât en 2003 ; que par suite, et sans qu’il soit besoin d’ordonner l’expertise sollicitée, la requérante n’est fondée à soutenir ni que le tribunal administratif de Lyon a écarté à tort les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions des articles 1 et 6 de la loi du 19 juillet 1976 et 17 et 18 du décret du 21 septembre 1977, ni qu’il aurait méconnu l’étendue de ses compétences en matière d’installations classées ;

Considérant, en revanche, que le remplacement de l’ammoniac par un fluide frigorigène particulier, dit R22, nécessitait le percement de murs, le remplacement intégral des tuyauteries, des évaporateurs et des condenseurs, l’installation en toiture d’une tour de refroidissement, d’une échelle d’accès, le renforcement de l’ossature métallique pour supporter les nouveaux évaporateurs, la mise en place d’une ossature secondaire pour supporter de nouvelles tuyauteries ; qu’il entraînait ainsi, contrairement à ce qu’ont estimé les premiers juges, des modifications importantes du gros œuvre, un changement considérable dans le mode d’exploitation, avec une interruption temporaire partielle de l’exploitation et une perte permanente de polyvalence des chambres froides et une diminution de la capacité de congélation ; qu’ainsi, la SOCIETE DE TRANSPORTS ET ENTREPOTS FRIGORIFIQUES est fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Lyon a estimé que les prescriptions imposées pouvaient être légalement décidées sur le fondement du 3ème alinéa de l’article 37 précité du décret ;

Considérant enfin que les dispositions de l’article 1er de l’arrêté du préfet du Rhône, qui imposent à la société de mettre en place, dans le délai de deux mois à compter de sa notification, une astreinte avec surveillance renforcée du site qu’elle exploite pendant les manifestations de la Coupe du monde de football au stade de Lyon Gerland, ne sont contraires ni aux dispositions des articles 6 et 16 de la loi du 19 juillet 1976, ni aux articles 10, 18, 35 et 37 du décret du 21 septembre 1977 ; que, par suite, la société n’est fondée à demander l’annulation du jugement attaqué qu’en tant qu’il a rejeté sa demande d’annulation de l’article 2 dudit arrêté ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt du 6 juillet 1999 de la cour administrative d’appel de Lyon est annulé.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Lyon est annulé en tant qu’il a rejeté la demande de la SOCIETE DE TRANSPORTS ET ENTREPOTS FRIGORIFIQUES tendant à l’annulation de l’article 2 de l’arrêté du préfet du Rhône du 18 mars 1996.

Article 3 : L’article 2 de l’arrêté du préfet du Rhône du 18 mars 1996 est annulé.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la SOCIETE DE TRANSPORTS ET ENTREPOTS FRIGORIFIQUES devant le Conseil d’Etat et le surplus des conclusions de sa requête devant la cour administrative d’appel de Lyon sont rejetés.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE DE TRANSPORTS ET ENTREPOTS FRIGORIFIQUES et au ministre de l’écologie et du développement durable.

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