Il appartient à la juridiction administrative d’apprécier, par la voie du recours pour excès de pouvoir, la légalité de la décision du gouverneur de la Banque de France de signer cet accord d’entreprise qui a le caractère d’un acte administratif détachable de l’accord, notamment en s’assurant du respect par les stipulations de ce dernier des dispositions législatives et réglementaires relatives au droit du travail.
CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 252545
FEDERATION FRANCAISE DES SYNDICATS CFDT BANQUES ET SOCIETES FINANCIERES et autres
M. Aguila
Rapporteur
M. Le Chatelier
Commissaire du gouvernement
Séance du 8 décembre 2003
Lecture du 30 décembre 2003
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 7ème et 5ème sous-section réunies)
Sur le rapport de la 7ème sous-section de la Section du contentieux
Vu, 1°) le jugement du tribunal administratif de Paris n° 9808482 en date du 28 novembre 1998, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat le 16 décembre 2002, par lequel le tribunal administratif de Paris transmet au Conseil d’Etat, en application des dispositions de l’article R. 351-2 du code de justice administrative, la demande présentée à ce tribunal par la FEDERATION FRANCAISE DES SYNDICATS CFDT BANQUES ET SOCIETES FINANCIERES, le SYNDICAT CFTC DE LA BANQUE DE FRANCE, le SYNDICAT NATIONAL C.G.T. DE LA BANQUE DE FRANCE, le SYNDICAT FORCE OUVRIERE DE LA BANQUE DE FRANCE et le SYNDICAT DES INDEPENDANTS ET CHRETIENS DE LA BANQUE DE FRANCE ;
Vu la demande en date du 22 mai 2002 enregistrée au greffe du tribunal administratif de Paris, présentée par la FEDERATION FRANCAISE DES SYNDICATS CFDT BANQUES ET SOCIETES FINANCIERES, dont le siège est 47-49, avenue Simon Bolivar à Paris (75019) ; le SYNDICAT CFTC DE LA BANQUE DE FRANCE, dont le siège est 2, rue de la Vrillière à Paris (75001) ; le SYNDICAT NATIONAL C.G.T. DE LA BANQUE DE FRANCE, dont le siège est 37, rue Radziwill à Paris (75001) ; le SYNDICAT FORCE OUVIRERE DE LA BANQUE DE FRANCE, dont le siège est 23, rue Radziwill à Paris (75001) ; le SYNDICAT DES INDEPENDANTS ET CHRETIENS DE LA BANQUE DE FRANCE, dont le siège est 37, rue Radziwill à Paris (75001) ; le SYNDICAT DES INDEPENDANTS ET CHRETIENS DE LA BANQUE DE FRANCE et autres demandent au Conseil d’Etat :
l’annulation de la décision du Gouverneur de la Banque de France de signer l’accord d’entreprise sur le dialogue social et la représentation du personnel conclu le 30 septembre 1997, ainsi que du rejet opposé à leurs recours gracieux du 28 novembre 1997 ;
la condamnation de la Banque de France au versement de la somme de 10 000 F à chacun des requérants en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu 2°) le jugement du tribunal administratif de Paris n° 9808484 en date du 28 novembre 2002, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat le 16 décembre 2002, par lequel le tribunal administratif de Paris transmet au Conseil d’Etat, en application des dispositions de l’article R. 351-2 du code de justice administrative, la demande présentée à ce tribunal par le SYNDICAT DES INDEPENDANTS ET CHRETIENS DE LA BANQUE DE FRANCE ;
Vu la demande en date du 22 mai 1998 enregistrée au greffe du tribunal administratif de Paris, présentée par le SYNDICAT DES INDEPENDANTS ET CHRETIENS DE LA BANQUE DE FRANCE, dont le siège est 37, rue Radziwill à Paris (75001) ; le SYNDICAT DES INDEPENDANTS ET CHRETIENS DE LA BANQUE DE FRANCE demande au Conseil d’Etat :
l’annulation de la décision du Gouverneur de la Banque de France de signer l’accord d’entreprise sur le dialogue social et la représentation du personnel conclu le 30 septembre 1997, ainsi que du rejet opposé à son recours gracieux du 12 novembre 1997 ;
2°) la condamnation de la Banque de France au versement de la somme de 10 000 F en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code monétaire et financier, notamment son article L. 144-3 ;
Vu le code du travail ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Aguila, Maître des Requêtes,
les conclusions de M. Le Chatelier, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 144-3 du code monétaire et financier : " La juridiction administrative connaît des litiges se rapportant à l’administration intérieure de la Banque de France ou opposant celle-ci aux membres du Conseil de la politique monétaire, aux membres du Conseil général ou à ses agents." ; que les requérants demandent l’annulation de la décision par laquelle le gouverneur de la Banque de France a signé, le 30 septembre 1997, l’accord d’entreprise sur le dialogue social et la représentation du personnel à la Banque de France ; que ce litige qui porte sur les conditions dans lesquelles les représentants du personnel exercent leur mandat syndical ou social se rapporte à l’administration intérieure de la Banque de France ; que, dès lors, il appartient à la juridiction administrative d’apprécier, par la voie du recours pour excès de pouvoir, la légalité de la décision du gouverneur de la Banque de France de signer cet accord d’entreprise qui a le caractère d’un acte administratif détachable de l’accord, notamment en s’assurant du respect par les stipulations de ce dernier des dispositions législatives et réglementaires relatives au droit du travail ;
Sur les conclusions du SYNDICAT DES INDEPENDANTS ET CHRETIENS DE LA BANQUE DE FRANCE tendant à l’annulation de la décision implicite de rejet du gouverneur de la Banque de France en date du 17 mars 1998 :
Considérant que le SYNDICAT DES INDEPENDANTS ET CHRETIENS DE LA BANQUE DE FRANCE a adressé le 12 novembre 1997 une demande au gouverneur tendant au retrait de sa décision de signer l’accord d’entreprise précité ; que le gouverneur, qui a accusé réception de cette demande le 17 novembre 1997, l’a rejetée le 17 mars 1998 par une décision implicite ; que les conclusions tendant à l’annulation de cette décision de rejet n’ont été enregistrées au greffe du tribunal administratif de Paris que le 22 mai 1998, soit après l’expiration du délai de recours contentieux ; que, par suite, les conclusions du SYNDICAT DES INDEPENDANTS ET CHRETIENS DE LA BANQUE DE FRANCE dirigées contre la décision du 17 mars 1998 ne sont pas recevables ;
Sur les conclusions des autres syndicats tendant à l’annulation de la décision de rejet du gouverneur de la Banque de France en date du 28 mars 1998 ensemble la décision du gouverneur de signer l’accord d’entreprise du 30 septembre 1997 :
Considérant que les requérants soutiennent que la décision du gouverneur de la Banque de France de signer, le 30 septembre 1997, l’accord précité est entachée d’un vice de procédure dans la mesure où seule l’organisation syndicale ayant finalement signé cet accord a été tenue informée des modifications apportées au projet d’accord entre la fin des négociations le 1er septembre 1997 et sa signature définitive ; qu’il ressort toutefois des pièces du dossier que, en tout état de cause, l’ensemble des syndicats ont été tenus informés des modifications apportées par la Banque de France à ce projet entre ces deux dates ; que, par suite, ce moyen manque en fait ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 132-4 du code du travail : "La convention et l’accord collectif de travail peuvent comprendre des dispositions plus favorables aux salariés que celles des lois et règlements en vigueur." ;
Considérant que l’article 3-1-3 de l’accord prévoit la désignation d’un "délégué syndical conventionnel" dans chaque succursale de moins de cinquante agents ; qu’en offrant aux syndicats des moyens complétant ceux prévus par les lois et règlements, ces stipulations de l’accord, qui n’ont pas vocation à se substituer aux dispositions du code du travail relatives à la désignation des délégués syndicaux, sont plus favorables que celles des lois et règlements en vigueur ; que, dès lors, le gouverneur de la Banque de France était compétent pour signer un accord qui pouvait légalement prévoir l’institution de "délégués syndicaux conventionnels" en complément des dispositions du code du travail relatives aux délégués syndicaux ;
Considérant que les stipulations de l’article 3-1-5 de l’accord ont pour objet de mettre à disposition des permanences ou des délégués syndicaux centraux un crédit d’heures global aux fins de permettre aux salariés ne disposant d’aucun mandat syndical ou social de participer à la "vie syndicale" dans l’entreprise ; que ces stipulations, qui complètent les dispositions du code du travail en la matière ne portent aucune atteinte aux droits tirés des dispositions de l’article L. 412-20 qui prévoient que les délégués syndicaux centraux bénéficient, pour l’exercice de leurs fonctions, d’un crédit de vingt heures et donnent aux sections syndicales un crédit d’heures au seul profit des délégués ou des salariés de l’entreprise appelés à négocier la convention collective ou l’accord d’entreprise ; que, par suite, le moyen tiré de l’illégalité de l’article 3-1-5 de l’accord doit être écarté ;
Considérant que, nonobstant le fait que l’accord en cause s’applique à toutes les organisations syndicales présentes à la Banque de France, l’institution par cet accord d’une "commission de suivi" chargée de vérifier les conditions de son application et de prévenir les éventuels différends dans son interprétation ne méconnaît aucune disposition législative ou réglementaire en ce que seuls peuvent y siéger les signataires de l’accord et ceux qui viendraient à y adhérer ;
Considérant que les requérants soutiennent qu’en prévoyant que le temps passé à la participation aux réunions des commissions constituées au sein des comités d’établissement s’impute sur des crédits d’heures variables en fonction de la taille des établissements, les stipulations de l’article 4-1-2 de l’accord introduisent des seuils contraires au code du travail ; que si l’article L. 434-1 du code du travail prévoit l’attribution aux membres titulaires du comité d’entreprise d’un crédit de vingt heures pour l’exercice de leurs fonctions, il dispose, en outre, que le temps passé par les membres titulaires et suppléants du comité d’entreprise aux séances du comité et aux réunions de certaines de ses commissions est payé intégralement comme du temps de travail ; que ces dispositions applicables également aux comités d’établissement ne prévoient ainsi aucune limite au paiement du temps passé dans ces réunions, quelle que soit la taille de l’établissement concerné ; que, dès lors, en prévoyant l’imputation du temps ainsi passé en réunion sur le crédit d’heures et le plafonnement de ce crédit en fonction de la taille de l’établissement, l’article 4-1-2 de l’accord d’entreprise a méconnu les dispositions du code du travail ;
Considérant que les articles 3-1-4, 4-1-1, 4-1-2 et 4-1-3 de l’accord fixent les conditions dans lesquelles les délégués syndicaux, les membres du comité d’établissement et les membres du comité central d’entreprise peuvent utiliser leurs crédits d’heures pour l’exercice de leurs fonctions, notamment en y imputant le temps de déplacement nécessaire pour se rendre à des réunions ; que ces stipulations qui s’appliquent au temps de trajet pour se rendre aux réunions du comité d’entreprise ou de ses commissions ou, s’agissant des délégués syndicaux, aux réunions dont l’employeur a l’initiative, ont pour effet d’écarter l’application des règles du droit du travail qui prévoient pour les délégués syndicaux et pour les membres des comités d’entreprise ou d’établissement et des comités centraux d’entreprise que le temps de déplacement pour se rendre à de telles réunions doit être regardé comme un temps de travail qui ne saurait s’imputer sur le crédit d’heures qui leur est délégué en application de la combinaison des articles L. 412-17, L. 412-20, L. 434-1 et L. 435-2 du code du travail ; que, par suite, les requérant sont fondés à soutenir que les stipulations des articles 3-1-4, 4-1-1, 4-1-2 et 4-1-3 sont contraires aux règles en vigueur ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les requérants sont fondés à demander l’annulation, d’une part, de la décision du gouverneur de la Banque de France de signer l’accord du 30 septembre 1997 en tant que cet accord comporte les articles 3-1-4, 4-1-1, 4-1-2 et 4-1-3 et, d’autre part, de la décision de rejet opposée à leur recours gracieux du 28 novembre 1997 en tant que le gouverneur a refusé de retirer sa décision du 30 septembre 1997 en ce qu’elle portait sur les quatre articles de l’accord précités ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner la Banque de France à payer aux requérants la somme totale de 1 500 euros au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : La décision du gouverneur de la Banque de France de signer l’accord d’entreprise du 30 septembre 1997 en tant que cet accord comporte les articles 3-1-4, 4-1-1, 4-1-2 et 4-1-3 ainsi que la décision implicite de rejet opposée par le gouverneur au recours gracieux du 28 novembre 1997 en tant qu’il a rejeté la demande des requérants tendant au retrait de la décision de signer cet accord en ce qu’il comporte les articles 3-1-4, 4-1-1, 4-1-2 et 4-1-3 sont annulées.
Article 2 : Le surplus des conclusions des requérants est rejeté.
Article 3 : La Banque de France versera la somme totale de 1 500 euros aux requérants au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la FEDERATION FRANCAISE DES SYNDICATS CFDT BANQUES ET SOCIETES FINANCIERES, au SYNDICAT CFTC DE LA BANQUE DE FRANCE, au SYNDICAT NATIONAL C.G.T. DE LA BANQUE DE FRANCE, au SYNDICAT FORCE OUVRIERE DE LA BANQUE DE FRANCE, au SYNDICAT DES INDEPENDANTS ET CHRETIENS DE LA BANQUE DE FRANCE et à la Banque de France.
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