Cour administrative d’appel de Paris, 17 octobre 2003, n° 02PA00233, M. Christian L. c/ Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM°

Si l’annulation pour défaut de motivation en la forme d’une mesure d’éviction d’un agent public est de nature à entraîner la responsabilité de la personne publique qui a pris la mesure, il convient toutefois, pour déterminer si elle ouvre droit à une indemnité en réparation du préjudice matériel et moral réellement subi par l’agent du fait de son éviction, de tenir compte notamment du point de savoir si, indépendamment du vice de forme, la mesure d’éviction était ou non justifiée sur le fond.

COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE PARIS

N°s 02PA00233, 02PA02514

M. L.
c/ INSTITUT NATIONAL DE LA SANTE ET DE LA RECHERCHE MEDICALE( INSERM)

Mme TRICOT
Président

M. DUPOUY
Rapporteur

M. HAÏM
Commissaire du Gouvernement

Séance du 3 octobre 2003
Lecture du 17 octobre 2003

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE PARIS

(4ème chambre B)

VU I) la requête, enregistrée au greffe le 18 janvier 2002 sous le n° 02PA00233, présentée pour M. Christian L. ; M. L. demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement en date du 25 octobre 2001 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) à lui verser une indemnité de 80 000 F en réparation de son préjudice moral résultant de la décision illégale de radiation des cadres pour abandon de poste dont il a fait l’objet à compter du 1er avril 1995 majorée des intérêts légaux à compter de la date de sa demande préalable d’indemnisation ;

2°) de condamner l’INSERM à lui verser la somme de 12 195,92 euros majorée des intérêts légaux à compter de sa demande préalable ;

3°) de condamner l’INSERM à lui verser une somme de 1 500 euros au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative ;

VU II) la requête sommaire, enregistrée au greffe le 15 juillet 2002 sous le n° 02PA02514, présentée pour M. Christian L. ; M. L. demande à la cour d’annuler le jugement en date du 13 mai 2002 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant, d’une part, à l’annulation de la décision du 21 mars 2001 par laquelle le directeur général de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) l’a radié des cadres pour abandon de poste, et, d’autre part, à ce qu’il soit enjoint au directeur général de l’INSERM de le réintégrer dans ses fonctions et de procéder à la reconstitution de sa carrière dans un délai de quinze jours à compter de la date du jugement à intervenir sous astreinte de 500 F par jour de retard au-delà de ce délai ;

VU les autres pièces du dossier ;

VU la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

VU la loi n° 83-639 du 13 juillet 1983 ;

VU la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

VU le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 3 octobre 2003 :
- le rapport de M. DUPOUY, premier conseiller,
- les observations de Me PANIGEL-NENNOUCHE, avocat, pour M. L.,
- et les conclusions de M. HAIM, commissaire du Gouvernement ;

Considérant que les requêtes susvisées concernent la situation d’un même fonctionnaire et ont fait l’objet d’une instruction commune ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;

En ce qui concerne la requête N° 02PA00233 :

Considérant que, par une décision en date du 10 mars 1995, le directeur général de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) a radié des cadres pour abandon de poste M. Christian L., technicien de la recherche titulaire ; que, par un arrêt en date du 30 novembre 1999, la cour a annulé cette décision pour défaut de motivation ; que, par le jugement attaqué rendu le 25 octobre 2001, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de M. L. tendant à la condamnation de l’INSERM à lui verser une indemnité en réparation du préjudice moral résultant pour lui de la mesure de radiation des cadres prise à son encontre ;

Sur la régularité du jugement :

Considérant que, par un jugement rendu le 16 décembre 1997, le tribunal administratif a rejeté la demande de M. L. tendant à l’annulation de la mesure de radiation des cadres prise à son encontre ; qu’il appartenait aux premiers juges, saisis par le requérant d’une demande d’indemnité en réparation du préjudice moral résultant pour lui de cette radiation des cadres, de statuer sur ladite demande, sans qu’y fasse obstacle la circonstance que ledit jugement a été infirmé par l’arrêt de la cour précité rendu le 30 novembre 1999 ; qu’ainsi, contrairement à ce que soutient le requérant, le tribunal administratif ne se trouvait pas dessaisi de la demande d’indemnité sur laquelle il était tenu de statuer ;

Au fond :

Considérant que si l’annulation pour défaut de motivation en la forme d’une mesure d’éviction d’un agent public est de nature à entraîner la responsabilité de la personne publique qui a pris la mesure, il convient toutefois, pour déterminer si elle ouvre droit à une indemnité en réparation du préjudice matériel et moral réellement subi par l’agent du fait de son éviction, de tenir compte notamment du point de savoir si, indépendamment du vice de forme, la mesure d’éviction était ou non justifiée sur le fond ;

Considérant que si, par son arrêt du 30 novembre 1999, la cour a annulé pour excès de pouvoir la mesure de radiation des cadres prise à l’encontre de M. L. le 10 mars 1995 pour défaut de motivation, la cour ne s’est pas prononcée sur les motifs qui ont pu justifier l’éviction du service de M. L. ; que, par suite, le jugement attaqué par lequel le tribunal administratif de Paris a statué sur sa demande d’indemnité a pu sans méconnaître l’autorité de la chose jugée qui s’attache à l’arrêt de la cour précité, rejeter cette demande en tenant compte de ce que l’éviction de M. L. du service, bien qu’entachée d’un vice de forme, était cependant justifiée par " la rupture par le requérant du lien l’unissant au service " ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction et qu’il n’est d’ailleurs pas contesté devant la cour que M. L., qui n’a pas déféré aux mises en demeure de rejoindre son poste sous peine de radiation des cadres pour abandon de poste datées des 24 janvier et 3 février 1995, doit être regardé comme ayant rompu de son fait tout lien avec l’administration ; que, par suite, la mesure de radiation des cadres prise à son encontre le 10 mars 1995 était justifiée au fond ; que, dans ces conditions et eu égard à la gravité de la faute commise par l’intéressé en s’abstenant de déférer à ces injonctions, les premiers juges n’ont commis ni erreur de droit ni erreur d’appréciation, en estimant que sa radiation des cadres prononcée par la décision du 10 mars 1995 n’était pas de nature, en dépit de l’irrégularité de forme dont cette décision était entachée, à ouvrir à M. L. un droit à indemnité en réparation de son préjudice moral, alors même que l’INSERM aurait spontanément réparé son préjudice matériel ;

Considérant qu’il suit de là que M. L. n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d’indemnité ;

En ce qui concerne la requête N° 02PA02541 :

Considérant qu’à la suite de l’annulation contentieuse de la décision du 10 mars 1995 prononçant la radiation des cadres de M. L. pour abandon de poste prononcée par l’ arrêt de la cour en date du 30 novembre 1999, le directeur général de l’INSERM a reconstitué la carrière de M. L. ; qu’il a été affecté le 23 mai 2000 au département de l’information scientifique et de la communication de l’INSERM ; que, par une décision du 21 mars 2001, le directeur général de l’INSERM a de nouveau prononcé la radiation des cadres de M. L. pour abandon de poste à compter du 1er mars 2001 ; que, par le jugement attaqué en date du 13 mai 2002, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de M. L. tendant à l’annulation de cette décision ;

Sur la régularité du jugement :

Considérant que les moyens invoqués par M. L. dans sa requête sommaire et non repris dans les mémoires ultérieurs tirés de l’irrégularité de la composition de la formation de jugement et de la procédure suivie devant le tribunal administratif, sont dépourvus de toute précision permettant d’en apprécier la pertinence ; que, par suite, ils doivent être écartés ;

Sur la légalité de la décision du directeur général de l’INSERM du 21 mars 2001 :

Considérant que la décision attaquée mettant fin pour abandon de poste aux fonctions de M. L. mentionne, d’une part, que M. L. a quitté son poste le 5 octobre 2000, d’autre part, que les deux courriers envoyés à M. L. par lettre recommandée avec accusé de réception du 11 décembre 2000 et du 23 janvier 2001 lui enjoignant de reprendre ses fonctions sous peine d’être radié des cadres pour abandon de poste sont restés infructueux et que le dernier courrier du 15 février 2001 est lui aussi resté sans réponse ; que, par suite, elle est suffisamment motivée ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier qu’à la suite de sa réintégration dans le cadre des personnels titulaires de l’INSERM et de la reconstitution de sa carrière, M. L., technicien de la recherche de classe exceptionnelle, a été affecté le 23 mai 2000 au département de l’information scientifique et de la communication de l’INSERM dans un emploi correspondant à son grade et équivalent à celui dont il avait précédemment été évincé ; que cet emploi de " technicien de banque d’images " localisé au bureau de production des images INSERM, qui ne présentait pas un caractère provisoire, était défini avec une précision suffisante par le profil de poste adressé à l’intéressé par le secrétaire général de l’établissement le 8 juin 2000 ; que, par suite, M. L. ne s’étant plus présenté à son poste le 5 octobre 2000, se trouvait à compter de cette date en situation d’absence irrégulière ; qu’il a été mis en demeure de rejoindre son poste dans un délai de dix jours par lettre du 23 janvier 2001 dont les termes lui précisaient qu’il s’exposait à défaut à une radiation des cadres pour abandon de poste sans procédure disciplinaire préalable ; que, par lettre du 15 février 2001, le secrétaire général de l’INSERM lui a confirmé qu’il procèderait à son licenciement avant le 28 février 2001 sans procédure disciplinaire préalable ; que, dans ces conditions, les premiers juges n’ont pas commis d’erreur de droit en estimant que cette mise en demeure n’était entachée d’aucune irrégularité et qu’en s’abstenant de déférer à celle-ci, l’intéressé s’était placé, de son fait, en dehors du champ d’application des lois et règlements édictés en vue de garantir les droits inhérents à son emploi ; que, par suite, contrairement à ce que soutient le requérant, l’autorité administrative pouvait prononcer sa radiation des cadres sans engager à son encontre une procédure disciplinaire ;

Considérant qu’il résulte des termes du courrier du 15 février 2001 reportant au 28 février 2001 le terme du délai fixé à M. L. pour déférer à la mise en demeure du 23 janvier 2001 que M. L. se trouvait en situation d’abandon de poste dès le 1er mars 2001 ; que, par suite, M. L., qui n’établit ni n’allègue avoir reçu la lettre du 15 février 2001 postérieurement au 28 février 2001, n’est pas fondé à soutenir que le directeur général de l’INSERM aurait entaché la décision attaquée de rétroactivité illégale en lui donnant effet à compter du 1er mars 2001 ;

Considérant, enfin, que la décision de radiation des cadres prononcée à l’encontre du requérant n’a pas été prise pour faire obstacle à l’exécution d’une décision de justice ; que le détournement de pouvoir n’est pas établi ;

Considérant qu’il suit de là que M. L. n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du 21 mars 2001 ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L.911-1 du code de justice administrative :

Considérant que le présent arrêt, qui rejette les conclusions de M. L. tendant à l’annulation de la décision du 21 mars 2001 n’appelle aucune mesure d’exécution ; que, par suite, les conclusions du requérant tendant à ce qu’il soit enjoint à l’INSERM de le réintégrer, de reconstituer sa carrière et de lui donner une affectation régulière ne peuvent qu’être rejetées ;

En ce qui concerne les conclusions tendant à l’application de l’article L.761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions susmentionnées font obstacle à ce que l’INSERM, qui n’est pas, dans les instances 02PA00233 et 02PA02514, la partie perdante, soit condamné à payer à M. L. les sommes qu’il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu’en application de ces mêmes dispositions, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de condamner M. L. à payer à l’INSERM une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par cet établissement et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Les requêtes susvisées de M. L. sont rejetées.

Article 2 : M. L. versera à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) une somme de 1 500 euros au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative.

_________________
Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article2209