Conseil d’Etat, référé, 27 octobre 2003, n° 261221, M. Marc C.

Si la liberté d’aller et venir a le caractère d’une liberté fondamentale au sens des dispositions précitées, la gravité et la légalité des atteintes qui lui sont portées doivent s’apprécier compte tenu des restrictions prévues par la loi, dans le respect des exigences constitutionnelles et des engagements internationaux de la France.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 261221

M. Marc C.

Ordonnance du 27 octobre 2003

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS LE JUGE DES REFERES

Vu la requête, enregistrée le 22 octobre 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour M. Marc C. ; M. C. demande au juge des référés du Conseil d’Etat :

1°) d’enjoindre à l’ambassadrice de France aux Philippines, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, de faire droit sans délai à sa demande de renouvellement anticipé de passeport ;

2°) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

M. C. soutient que la condition d’urgence est remplie dès lors que les fonctions qu’il exerce au sein de la Banque asiatique de développement l’obligent à être en possession d’un passeport d’une validité minimale de six mois et que son passeport actuel ne satisfait à cette condition que jusqu’au 19 novembre 2003 inclus ; qu’au surplus, l’urgence découle de la nature même du litige ; qu’en effet, le refus opposé le 5 août 2003 à sa demande de renouvellement anticipé de son passeport porte une atteinte à sa liberté d’aller et de venir ; que cette atteinte est grave et manifestement illégale dès lors qu’à sa connaissance, et contrairement au motif avancé par l’ambassadrice de France aux Philippines, il ne fait l’objet d’aucun mandat d’arrêt ; à titre subsidiaire, qu’un mandat d’arrêt délivré à son encontre ne serait pas de nature à justifier le refus de l’administration de renouveler son passeport ; qu’en tout état de cause, l’existence d’un mandat d’arrêt ne pourrait être prise en compte pour justifier le refus de renouvellement de son passeport que si ce mandat d’arrêt lui avait été notifié, ce qui n’est pas le cas ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 23 octobre 2003, présenté par le ministre des affaires étrangères, qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que, faute de justifier d’un nouveau refus de renouvellement anticipé de passeport, postérieur à celui qui a donné lieu à une précédente requête en référé, M. C. ne saurait soutenir que l’ambassade de France maintient à ce jour ce refus ; que le requérant n’établissant pas qu’en raison d’une validité de son passeport inférieure à six mois, il serait dans l’impossibilité de continuer de séjourner aux Philippines et d’effectuer les déplacements à l’étranger qu’il invoque, l’urgence n’est pas démontrée ; que, compte tenu du mandat d’arrêt dont il fait l’objet, faute d’avoir déféré à une convocation devant un juge d’instruction français, le renouvellement de son passeport serait de nature à constituer une entrave au bon déroulement d’une procédure judiciaire française ; que c’est donc à bon droit que l’ambassade lui a indiqué qu’un laisser-passer avec mention d’un point de passage obligatoire pouvait seulement lui être délivré ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de procédure pénale, et notamment son article 122 ;

Vu le code de justice administrative ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public(...) aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale " ;

Considérant que si la liberté d’aller et venir a le caractère d’une liberté fondamentale au sens des dispositions précitées, la gravité et la légalité des atteintes qui lui sont portées doivent s’apprécier compte tenu des restrictions prévues par la loi, dans le respect des exigences constitutionnelles et des engagements internationaux de la France ; qu’en particulier, le 3° de l’article 2 du protocole n° 4 additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales stipule que la liberté de toute personne de quitter n’importe quel pays, y compris le sien, " ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au maintien de l’ordre public, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui " ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction qu’un mandat d’arrêt international a été décerné à l’encontre de M. C., résident aux Philippines, pour n’avoir pas déféré à une convocation devant un juge d’instruction du tribunal de grande instance de Paris ; que si l’ambassadrice de France à Manille n’a pas fait droit à ce jour à la demande de M. C. de renouvellement de son passeport dont la validité expire le 20 mai 2004, par une décision susceptible de restreindre la liberté de l’intéressé de voyager hors de France dès le 20 novembre 2003, cette restriction ne peut être appréciée quant à ses effets indépendamment de l’existence de ce mandat d’arrêt qui, selon l’article 122 du code de procédure pénale, est " l’ordre donné à la force publique de rechercher la personne à l’encontre de laquelle il est décerné " afin d’assurer sa comparution devant le juge d’instruction ; qu’en prenant cette mesure tendant à concourir à l’exécution d’un mandat délivré par l’autorité judiciaire française, provisoirement justifiée par le refus de l’intéressé de se conformer aux obligations qui en résultent pour lui, l’autorité administrative n’a pas porté une atteinte manifestement illégale à la liberté d’aller et venir de M. C., alors même que ce dernier, comme il le soutient, n’aurait pas reçu notification de ce mandat d’arrêt à l’adresse à laquelle il réside aux Philippines ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. C. n’est pas fondé à demander qu’il soit enjoint à l’administration de faire droit, en l’état de l’instruction, à sa demande de renouvellement anticipé de son passeport ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l’Etat à verser à M. C. une somme au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de M. C. est rejetée.

Article 2 : : La présente ordonnance sera notifiée à M. C. et au ministre des affaires étrangères.

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Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article2177