Cour administrative d’appel de Nantes, 10 avril 2003, n° 98NT00089, M. Philippe L.

Si les chambres d’agriculture sont des établissements publics de l’Etat qui, assurant à la fois une mission de service public à caractère administratif et une mission à caractère industriel et commercial, emploient une partie de leurs agents dans les conditions du droit privé, aucun décret prévu au sixième alinéa de l’article L.421-1 du code du travail ne les désigne au nombre des établissements d’une telle nature auxquels s’applique-raient les dispositions de cet article et celles de l’article L.425-1 du même code. Alors même que, par l’effet des dispositions de l’article L.511-4 du code rural et des dispositions réglementaires prises pour son application, les membres de leur personnel sont employés dans les conditions du droit privé et leurs recettes et dépense font l’objet de budgets spéciaux approuvés par un comité de direction qui leur est propre, les services d’utilité agricole créés par les chambres d’agriculture demeurent des services de ces chambres, placés sous l’autorité des présidents de celles-ci, et ne constituent pas des établissements publics industriels et commerciaux autonomes, qui entreraient dans le champ d’application des dispositions du sixième alinéa de l’article L.421-1 du code du travail.

COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE NANTES

N° 98NT00089

M. Philippe L.

M. SALUDEN
Président de chambre

M. MARGUERON
Rapporteur

M. MILLET
Commissaire du Gouvernement

Séance du 13 mars 2003
Lecture du 10 avril 2003

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE NANTES

(3ème chambre)

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 16 janvier 1998, présentée pour M. Philippe L., par Me FEVRIER, avocat au barreau de Quimper ;

M. L. demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement nos 95-3785 et 96-1012 du 25 novembre 1997 par lequel le Tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du 19 octobre 1995 du ministre de l’agriculture, de la pêche et de l’alimentation annulant la décision du 10 mai 1995 par laquelle le chef du service départemental de l’inspection du travail, de l’emploi et de la politique sociale agricole de la Sarthe avait refusé à la chambre d’agriculture de la Sarthe l’autorisation de le licencier ;

2°) d’annuler ladite décision du 19 octobre 1995 ;

3°) de lui allouer la somme de 10 000 F au titre de l’article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code rural ;

Vu le code du travail ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 13 mars 2003 :
- le rapport de M. MARGUERON, président,
- les observations de Me SCORNET, substituant Me FEVRIER, avocat de M. Philippe L.,
- et les conclusions de M. MILLET, commissaire du gouvernement ;

Sur l’intervention de la fédération générale agroalimentaire C.F.D.T. :

Considérant que la fédération générale agroalimentaire C.F.D.T., qui est intervenue devant le Tribunal administratif de Nantes au soutien des conclusions de M. L. tendant à l’annulation de la décision du ministre de l’agriculture, de la pêche et de l’alimentation annulant le refus d’autorisation de le licencier, aurait eu qualité pour former elle-même un recours contre cette décision ; qu’elle avait ainsi la qualité de partie, et non pas simplement d’inter-venant, en première instance ; qu’il suit de là que son intervention en appel doit être regardée comme constituant en réalité un appel du jugement attaqué ; que cet appel, présenté le 14 avril 1998, après l’expiration du délai de deux mois qui lui était imparti par les dispositions de l’article R.229 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, alors en vigueur, et qui avait couru à compter de la notification qui lui avait été faite du jugement du Tribunal administratif de Nantes, le 26 novembre 1997, est tardif et, par suite, irrecevable ;

Sur la légalité de la décision du ministre de l’agriculture, de la pêche et de l’alimentation ;

Sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée

à la requête par la chambre d’agriculture de la Sarthe :

Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article L.421-1 du code du travail : "Le personnel élit des délégués dans tous les établissements industriels, commerciaux ou agricoles, les offices publics et ministériels, les professions libérales, les sociétés civiles, les syndicats professionnels, les sociétés mutualistes, les organismes de sécurité sociale, à l’exception de ceux qui ont le caractère d’établissement public administratif, et les associations ou tout organisme de droit privé, quels que soient leur forme et leur objet, où sont occupés au moins onze salariés..." ; qu’aux termes du sixième alinéa du même article : "...Les dispositions du présent titre sont applicables aux établissements publics à caractère industriel et commercial et aux établissements publics déterminés par décret qui assurent tout à la fois une mission de service public à caractère administratif et à caractère industriel et commercial, lorsqu’ils emploient du personnel dans les conditions du droit privé. Toutefois, ces dispositions peuvent, compte tenu des caractères particuliers de certains de ces établissements et des organismes de représentation du personnel éventuellement existants, faire l’objet d’adaptations sous réserve d’assurer les mêmes garanties aux salariés de ces établissements. Ces adaptations résultent de décrets en Conseil d’Etat" ; qu’aux termes de l’article L.425-1 du même code : "Tout licenciement envisagé par l’employeur d’un délégué du personnel, titulaire ou suppléant, est obligatoirement soumis au comité d’entreprise qui donne un avis sur le projet de licenciement. Le licenciement ne peut intervenir que sur autorisation de l’inspecteur du travail dont dépend l’établissement..." ; qu’aux termes de l’avant-dernier alinéa du même article : "Cette procédure est également applicable aux délégués du personnel institués par voie conven-tionnelle..." ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que M. L. a été recruté par la chambre d’agriculture de la Sarthe, à compter du 2 janvier 1990, en qualité de conseiller agricole et a exercé ses fonctions au sein du service d’utilité agricole de développement de l’établis-sement ; qu’il a été élu délégué du personnel en 1993, sur le fondement de la convention collective concernant les conditions d’emploi du personnel non statutaire de la chambre d’agriculture ; que le 7 avril 1995, cette dernière a saisi les services de l’inspection du travail d’une demande d’autorisation de licencier M. L. pour faute grave, mais que cette autorisation a été refusée par décision du 10 mai suivant du chef du service départemental du travail, de l’emploi et de la politique sociale agricole ; que, sur le recours hiérarchique de la chambre d’agriculture, le ministre de l’agriculture, de la pêche et de l’alimentation a, par sa décision attaquée du 19 octobre 1995, annulé ce refus au motif que l’auteur de celui-ci n’était pas compétent pour se prononcer sur la demande présentée par l’établissement, dès lors que les dispositions protec-trices des délégués du personnel ci-dessus rappelées ne concernaient pas les délégués du personnel institués par voie conventionnelle dans les établisse-ments publics administratifs ;

Considérant que si les chambres d’agriculture sont des établissements publics de l’Etat qui, assurant à la fois une mission de service public à caractère administratif et une mission à caractère industriel et commercial, emploient une partie de leurs agents dans les conditions du droit privé, aucun décret prévu au sixième alinéa de l’article L.421-1 du code du travail ne les désigne au nombre des établissements d’une telle nature auxquels s’applique-raient les dispositions de cet article et celles de l’article L.425-1 du même code ; qu’alors même que, par l’effet des dispositions de l’article L.511-4 du code rural et des dispositions réglementaires prises pour son application, les membres de leur personnel sont employés dans les conditions du droit privé et leurs recettes et dépense font l’objet de budgets spéciaux approuvés par un comité de direction qui leur est propre, les services d’utilité agricole créés par les chambres d’agriculture demeurent des services de ces chambres, placés sous l’autorité des présidents de celles-ci, et ne constituent pas des établissements publics industriels et commerciaux autonomes, qui entreraient dans le champ d’application des dispositions du sixième alinéa de l’article L.421-1 du code du travail ;

Considérant, par ailleurs, que si l’article L.425-1 de ce code étend la procédure d’autorisation du licenciement d’un délégué du personnel à ceux de ces délégués institués par voie conventionnelle, les dispositions de cet article, qui est compris dans le même titre du livre IV du code du travail que l’article L.421-1, ne peuvent, en vertu des termes mêmes du sixième alinéa de ce dernier article, trouver à s’appliquer qu’aux établissements publics qui y sont visés, ce qui n’est le cas, ainsi qu’il vient d’être dit, ni de la chambre d’agriculture, ni du service d’utilité agricole créé en son sein ;

Considérant qu’il suit de là que, sans qu’il puisse être utilement fait référence aux dispositions, contraires aux dispositions législatives ci-dessus rappelées, d’une circulaire du 4 septembre 1973 du ministre de l’agriculture et du développement rural, ni, en tout état de cause, à celles d’une autre circulaire ministérielle, du 6 octobre 1997, qui n’est pas relative à la situation des délégués du personnel des chambres d’agriculture, le chef du service départemental du travail, de l’emploi et de la politique sociale agricole de la Sarthe n’était pas compétent pour se prononcer sur la demande d’autorisation de licencier M. L. présentée par la chambre d’agriculture de ce département ; que le ministre de l’agriculture, de la pêche et de l’alimentation était, ainsi, par sa décision contestée, tenu d’annuler le refus opposé à cette demande ; que les moyens de légalité externe invoqués à l’encontre de sa décision sont, dès lors, inopérants ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que M. L. n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande ;

Sur l’application des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font, en tout état de cause, obstacle à ce qu’une somme soit allouée à M. L., qui est la partie perdante dans la présente instance, au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit à la demande présentée par la chambre d’agriculture de la Sarthe au même titre ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. Philippe L., ensemble les conclusions de la fédération générale agroalimentaire C.F.D.T. sont rejetées.

Article 2 : Les conclusions de la chambre d’agriculture de la Sarthe tendant à l’application des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. Philippe L., au ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche et des affaires rurales, à la chambre d’agriculture de la Sarthe et à la fédération générale agroalimentaire C.F.D.T.

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