Conseil d’Etat, 30 juillet 2003, n° 250649, M. Fradji G. et autres

Les dispositions de l’article 45 de la loi du 3 juillet 1985 ont pour objet de permettre à l’administration de contracter avec ses agents afin de laisser à ceux-ci les droits patrimoniaux attachés à des logiciels qu’ils créeraient dans l’exercice de leurs attributions. Ainsi, alors même que l’agent aurait élaboré dès le mois de mai 1989, dans le cadre de ses fonctions, le logiciel vendu par la société 02R à la CNAMTS, la Cour des comptes en s’abstenant de rechercher si la convention conclue le 22 mai 1989 entre la CNAMTS et l’agent, à la suite de laquelle a été passé le marché du 12 juillet 1989, qualifié de mandat fictif, était au nombre des contrats prévus par la loi du 3 juillet 1985, a commis une erreur de droit.

CONSEIL D’ÉTAT

Statuant au contentieux

N° 250649

M. G. et autres

Mme Ducarouge
Rapporteur

M.Lamy
Commissaire du gouvernement

Séance du 7 juillet 2003
Lecture du 30 juillet 2003

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 6ème et 4ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 6ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés le 10 septembre 2002 et le 30 janvier 2003, présentés pour M. Fradji G., Mme Catherine L., épouse G., et Mme Annette L. ; M. et Mme G. et Mme L. demandent que Conseil d’État

1°) annule l’arrêt du 20 juillet 2001 par lequel la Cour des comptes les a déclarés à titre définitif, conjointement et solidairement avec une autre personne, comptables de faits des deniers extraits irrégulièrement de la caisse de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), en exécution des conventions du 22 mai et du 12 juillet 1989, et, statuant provisoirement, leur a enjoint de produire le compte de la gestion de fait ainsi délimitée et une délibération de la CNAMTS statuant sur l’utilité publique des dépenses retracées dans le compte ;

2°) condamne l’État à leur verser la somme de 3 600 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des juridictions financières ;

Vu le code de la propriété intellectuelle ;

Vu la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963, notamment son article 60 ;

Vu la loi n° 85-660 du 3 juillet 1985 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique
- le rapport de Mme Ducarouge, Conseiller d’Etat,
- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. Fradji G., de Mme Catherine L. et de Mme Annette L.,
- les conclusions de M. Lamy, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure suivie devant la Cour des comptes que M. G., recruté en 1984 par la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) et affecté à la direction du centre national d’expérimentation, a proposé à la Caisse de développer un logiciel de gestion d’écran permettant d’améliorer notablement la performance des ordinateurs dont elle disposait ; que, dans ces conditions, la CNAMTS a passé avec M. G., le 22 mai 1989, une convention fondée sur l’article 45 de la loi du 3 juillet 1985, dont les dispositions sont reprises à l’article L. 113-9 du code de la propriété intellectuelle, aux termes duquel : "Sauf dispositions statutaires ou stipulations contraires les droits patrimoniaux sur les logiciels et leur documentation créés par un ou plusieurs employés dans l’exercice de leurs fonctions ou d’après les instructions de leur employeur sont dévolus à l’employeur qui est seul habilité à les exercer » ; que le dernier alinéa de l’article L.113-9 précise que ses dispositions sont applicables, notamment, aux agents des établissements publics à caractère administratif ; que la convention signée le 22 mai 1989 autorisait M. G. à concevoir, développer et commercialiser des logiciels permettant d’améliorer les performances des machines Bull DPS 6 utilisées par la CNAMTS et précisait que l’intéressé demeurerait propriétaire du futur logiciel et pourrait le commercialiser ; qu’à la suite d’un appel d’offres passé le 1er juin 1989 par la CNAMTS pour la fourniture d’un logiciel de gestion d’écran capable d’accroître la capacité de traitement de données de ces ordinateurs, la société 02R, constituée entre M. G., son épouse, Mme Catherine L., et sa belle-mère, Mme Annette L., au cours de l’été 1989, fut retenue ; que, le 12 juillet 1989, la CNAMTS signa avec cette société un marché prévoyant une prestation en trois phases : la « préétude de faisabilité et d’adaptabilité » du logiciel, la « validité fonctionnelle » d’un prototype et sa diffusion sous forme d’une licence d’entreprise ;

Considérant que, par un arrêt des 29 novembre 1999 et 24 janvier 2000, la Cour des comptes a déclaré M. G., Mme Catherine L. et Mme Annette L., conjointement et solidairement avec une autre personne, comptables de fait des deniers extraits irrégulièrement de la caisse de la CNAMTS en exécution des conventions du 22 mai et du 12 juillet 1989 ; que, par l’arrêt attaqué du 20 juillet 2001, la Cour des comptes, statuant définitivement, a confirmé cette déclaration de comptabilité de fait et, statuant provisoirement, a enjoint aux quatre comptables de produire le compte de la gestion de fait ainsi délimitée et une délibération de la CNAMTS relative à l’utilité publique des dépenses retracées dans le compte ;

Sur les conclusions dirigées contre l’injonction de produire le compte de la gestion de fait prononcée à titre provisoire par la Cour des comptes à l’encontre des requérants

Considérant que les requérants ne sont pas fondés à déférer au Conseil d’Etat ces dispositions de l’arrêt attaqué, qui présentent un caractère provisoire ;

Sur les conclusions dirigées contre la déclaration définitive de comptabilité de fait

Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant que, pour qualifier de fictif le marché conclu le 12 juillet 1989 entre la CNAMTS et la société 02R et en déduire que les paiements effectués pour son exécution caractérisaient une extraction irrégulière de deniers de la caisse publique, la Cour des comptes s’est fondée sur le fait que la conception du logiciel livré par cette société entrait dans le cadre du contrat de travail de M. G. ; qu’elle a également relevé l’absence de « consistance réelle » de la prestation prévue pour la première phase de cette convention, dès lors que le prototype du logiciel GEO 6 fourni en application de ce marché aurait été conçu pour l’essentiel avant le lancement de l’appel d’offres de la CNAMTS ;

Considérant, toutefois, que les dispositions précitées de l’article 45 de la loi du 3 juillet 1985 ont précisément pour objet de permettre à l’administration de contracter avec ses agents afin de laisser à ceux-ci les droits patrimoniaux attachés à des logiciels qu’ils créeraient dans l’exercice de leurs attributions ; qu’ainsi, alors même que M. G. aurait élaboré dès le mois de mai 1989, dans le cadre de ses fonctions, le logiciel vendu par la société 02R à la CNAMTS, la Cour des comptes en s’abstenant de rechercher si la convention conclue le 22 mai 1989 entre la CNAMTS et M. G., à la suite de laquelle a été passé le marché du 12 juillet 1989, qualifié de mandat fictif, était au nombre des contrats prévus par la loi du 3 juillet 1985, a commis une erreur de droit ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. et Mme GÜEZ et Mme L. sont fondés à demander l’annulation de l’arrêt de la Cour des comptes du 20 juillet 2001 en tant qu’il les déclare, à titre définitif, conjointement et solidairement avec une autre personne, comptables de fait des deniers de la CNAMTS ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative

Considérant qu’ont seules la qualité de parties à l’instance en reddition de compte ouverte devant la juridiction financière le comptable et la personne morale de droit public dont ce comptable a manié les deniers ; que, dans ces conditions, les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l’Etat, qui n’est pas partie à l’instance, soit condamné à payer à M. et Mme G. et à Mme L. la somme qu’ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt de la Cour des comptes du 20 juillet 2001 est annulé en tant qu’il déclare M. et Mme G. et Mme L., à titre définitif, conjointement et solidairement avec une autre personne, comptables de fait des deniers de la caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés.

Article 2 : L’affaire est renvoyée à la Cour des comptes.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. G. est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Fradji G., à Mme Catherine G., à Mme Annette L., à la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, au procureur général près la Cour des comptes et au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

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