Conseil d’Etat, référé, 25 juillet 2003, n° 258677, Ministre de la jeunesse, de l’éducation et de la recherche c/ Syndicat national unifié des directeurs, instituteurs et professeurs des écoles de l’enseignement public-Force ouvrière (SNUDI-FO)

Il appartient à l’administration de prendre les dispositions nécessaires pour s’assurer du service fait par ses agents afin notamment de procéder, en cas de grève, aux retenues sur traitement. Les mesures arrêtées à cette fin par la circulaire contestée ne comportent par elles-mêmes aucune restriction au droit syndical ni au droit de grève. Aucune atteinte grave et manifestement illégale au droit syndical ou au respect de la vie privée ne résulte des informations que la procédure prévue est susceptible de porter à la connaissance des enseignants qui émargent sur la liste quant à la participation ou non de leurs collègues à la grève et quant à la situation administrative de ceux-ci. La signature de la liste par le directeur de l’école n’entraîne pas non plus une telle atteinte.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 258677

MINISTRE DE LA JEUNESSE, DE L’EDUCATION ET DE LA RECHERCHE
c/ SYNDICAT NATIONAL UNIFIE DES DIRECTEURS INSTITUTEURS ET PROFESSEURS DES ECOLES (SNUDI-FO)

Ordonnance du 25 juillet 2003

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le juge des référés

Vu le recours, enregistré le 21 juillet 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présenté par le MINISTRE DE LA JEUNESSE, DE L’EDUCATION NATIONALE ET DE LA RECHERCHE ; le ministre demande au juge des référés du Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’ordonnance du 5 juillet 2003 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Marseille statuant en application de l’article L. 521-1 du code de justice administrative a, à la demande du syndicat national unifié des directeurs, instituteurs et professeurs des écoles de l’enseignement public-Force ouvrière (SNUDI-FO), enjoint à l’inspecteur d’académie des Bouches-du-Rhône de suspendre l’exécution de la circulaire en date du 28 mai 2003 imposant à chaque enseignant du 1er degré, afin d’opérer en cas de grève les retenues sur traitement, de déclarer sur une liste comportant les noms des enseignants affectés dans l’établissement, les jours pour lesquels soit, ils n’étaient pas en grève, soit, ils étaient en absence régulière et d’émarger en face de leurs noms ;

2°) de rejeter les conclusions de la requête en référé formée par le SNUDI-FO devant le tribunal administratif de Marseille le 4 juillet 2003 ;

il soutient que la demande de première instance est irrecevable, le SNUDI-FO, syndicat national, n’ayant ni qualité ni intérêt pour agir contre une circulaire de portée seulement départementale ; qu’en outre cette circulaire n’est qu’un acte préparatoire à de futures mesures de retenues sur traitement et ne constitue pas en elle même une décision faisant grief ; que le juge des référés a entaché son ordonnance d’une erreur matérielle en considérant que la procédure de recensement conduisait à porter à la connaissance de l’ensemble des membres du personnel enseignant de chaque établissement le nom des enseignants ayant fait grève ou non et les motifs pour lesquels une personne était éventuellement en absence régulière ; que la circulaire contestée ne porte atteinte ni au droit syndical, ni au respect de la vie privée ; qu’en tout état de cause, une procédure de déclaration individuelle peut être suivie par les enseignants qui le souhaitent ; que le visa du directeur de l’école sur la liste de recensement a pu légalement être prévu ;

Vu l’ordonnance attaquée ;

Vu la circulaire du 28 mai 2003 ;

Vu le mémoire en défense présenté pour le SNUDI-FO, enregistré le 23 juillet 2003 ; le SNUDI-FO conclut au rejet de la requête ; il soutient qu’il a intérêt et qualité pour agir ; que la circulaire contestée, qui ne constitue pas une mesure préparatoire, a le caractère d’une décision faisant grief ; que le juge des référés du tribunal administratif de Marseille n’a pas commis d’erreur matérielle ; que, quand bien même le recensement collectif ne permettrait pas de connaître les raisons d’une absence régulière lors des jours de grève, il porte atteinte à la liberté syndicale et au droit au respect de la vie privée car il permet de révéler à tous les positions syndicales de chacun ; que cette atteinte est d’autant plus grave qu’elle est disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi qui relève de la simple commodité administrative ; que le directeur d’école est incompétent pour apposer son visa sur la liste de recensement ;

Vu le mémoire en réplique présenté par le MINISTRE DE LA JEUNESSE, DE L’EDUCATION NATIONALE ET DE LA RECHERCHE, enregistré le 24 juillet 2003 ; il reprend les conclusions de son recours par les mêmes moyens et il soutient en outre que la mesure contestée n’est pas disproportionnée par rapport au but poursuivi qui est de permettre une application correcte de la loi et d’éviter de laisser à la charge du budget de l’Etat le paiement de rémunérations en l’absence de service fait ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l’éducation ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, le MINISTRE DE LA JEUNESSE, DE L’EDUCATION NATIONALE ET DE LA RECHERCHE, d’autre part, le syndicat national unifié des directeurs, instituteurs et professeurs des écoles de l’enseignement public-Force ouvrière (SNUDI-FO) ;

Vu le procès verbal de l’audience publique du jeudi 24 juillet 2003 à 16 h 30 au cours de laquelle ont été entendus :
- Me Pierre RICARD, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat du syndicat national unifié des directeurs, instituteurs et professeurs des écoles de l’enseignement public-Force ouvrière (SNUDI-FO),
- les représentants du MINISTRE DE LA JEUNESSE, DE L’EDUCATION NATIONALE ET DE LA RECHERCHE,
- les représentants du SNUDI-FO ;

Sans qu’il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la demande de première instance :

Considérant que l’article L. 521-2 du code de justice administrative prévoit que, saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale ;

Considérant que, par une circulaire du 28 mai 2003, l’inspecteur d’académie, chef des services départementaux de l’éducation nationale des Bouches-du-Rhône, a donné aux directeurs d’écoles du département des instructions en vue de procéder au recensement des absences pour fait de grève des enseignants du premier degré afin d’opérer des retenues sur le traitement des enseignants grévistes ; que cette circulaire prévoit que chaque enseignant émargera sur une liste en face de son nom en indiquant les jours pour lesquels il n’était pas en grève ou se trouvait en absence régulière pour un motif quelconque, congé de maladie, de maternité, stage ou autorisation d’absence en particulier ; qu’elle précise que la liste complète sera transmise à l’inspection d’académie par le directeur de l’école ;

Considérant qu’il appartient à l’administration de prendre les dispositions nécessaires pour s’assurer du service fait par ses agents afin notamment de procéder, en cas de grève, aux retenues sur traitement ; que les mesures arrêtées à cette fin par la circulaire contestée ne comportent par elles-mêmes aucune restriction au droit syndical ni au droit de grève ; qu’aucune atteinte grave et manifestement illégale au droit syndical ou au respect de la vie privée ne résulte des informations que la procédure prévue est susceptible de porter à la connaissance des enseignants qui émargent sur la liste quant à la participation ou non de leurs collègues à la grève et quant à la situation administrative de ceux-ci ; que la signature de la liste par le directeur de l’école n’entraîne pas non plus une telle atteinte ; qu’ainsi, et sans qu’il soit besoin de s’interroger sur la condition d’urgence, le ministre de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche est fondé à soutenir que c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a estimé que les conditions nécessaires à l’usage des pouvoirs que lui confère l’article L. 521-2 du code de justice administrative étaient remplies ;

O R D O N N E :

Article 1er : L’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Marseille en date du 5 juillet 2003 est annulée.

Article 2 : La requête présentée au juge des référés du tribunal administratif de Marseille par le syndicat national unifié des directeurs, instituteurs et professeurs des écoles de l’enseignement public-Force ouvrière (SNUDI-FO) est rejetée.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au MINISTRE DE LA JEUNESSE, DE L’EDUCATION NATIONALE ET DE LA RECHERCHE et au syndicat national unifié des directeurs, instituteurs et professeurs des écoles de l’enseignement public-Force ouvrière(SNUDI-FO).

_________________
Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article1870