Cour administrative d’appel de Marseille, 28 mai 2003, n° 99MA02010, M. Miguel C. I.

Ni l’article 48 du traité CE ni les dispositions du droit dérivé ne s’opposent à ce que l’autorité administrative prononce des mesures limitant le droit d’accès et de séjour d’un ressortissant d’un autre Etat membre, dès lors que le comportement que ces mesures visent à prévenir est susceptible, s’il est le fait de nationaux, de faire l’objet de mesures répressives ou d’autres mesures réelles et effectives. Lorsqu’elle prend une mesure ayant pour effet de priver un ressortissant d’un autre Etat membre de son droit de circuler librement sur son territoire ou d’en limiter l’étendue, l’autorité compétente est tenue de faire application du principe de proportionnalité en prenant une décision dont les effets n’excèdent pas ce qui est strictement nécessaire à la protection de l’ordre et de la sécurité publics.

COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE MARSEILLE

N° 99MA02010

M. Miguel C. I.

M. DARRIEUTORT
Président

M. GUERRIVE
Rapporteur

M. DUCHON-DORIS
Commissaire du Gouvernement

Arrêt du 28 mai 2003

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE MARSEILLE

(3ème chambre)

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d’appel le 5 octobre 1999 sous le n° 99MA02010, présentée pour M. Miguel C. I. ;

M. Miguel C. I. demande à la Cour :

1°/ d’annuler le jugement du 30 juin 1999 par lequel le Tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande d’annulation, et subsidiairement de réformation de l’arrêté du ministre de l’intérieur en date du 12 décembre 1996 prononçant son expulsion du territoire français ;

2°/ de faire droit à sa demande de première instance ;

Il soutient que le ministre a pris une décision disproportionnée avec les nécessités de l’ordre public, dans la mesure où elle est définitive, qu’elle le prive de l’accès au territoire français et aux territoires de plusieurs autres pays européens, alors qu’il a purgé sa peine d’emprisonnement, qu’il exerce sa profession de chauffeur routier dans l’ensemble de l’Europe, profession dont il tire les moyens d’existence de sa famille ; que la décision attaquée méconnaît ainsi le principe de libre circulation posé par le traité de l’Union européenne, ainsi que le principe de proportionnalité qui assortit la réserve d’ordre public qui tempère le droit à la libre circulation ; que la seule condamnation pénale ne peut légalement fonder la décision attaquée ; qu’à défaut d’annulation, il convient tout au moins de limiter les effets de l’expulsion dans le temps et dans l’espace ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense enregistré le 21 novembre 2000, par lequel le ministre de l’intérieur conclut au rejet de la requête, en faisant valoir que l’arrêté attaqué n’est pas fondé sur l’existence d’une condamnation pénale mais sur les faits qui l’ont motivée et sur l’ensemble de du comportement, ainsi qu’en attestent les pièces du dossier ; que l’autorité de la chose jugée s’oppose à ce que soient remis en question les faits constatés par le juge pénal ; que, compte tenu de la gravité des faits qui lui sont reprochés, lesquels révèlent un comportement de nature à mettre en péril la sécurité des personnes, et du fait que le requérant réside en Espagne avec sa famille, la mesure litigieuse n’est pas entachée d’une erreur d’appréciation ; que l’appréciation ainsi faite de la menace pour l’ordre public répond à la définition qu’en fait le droit communautaire, notamment dans la directive du Conseil en date du 25 février 1964, et dans la jurisprudence de la Cour de justice, et que les faits d’agression sexuelle sont également réprimés lorsqu’ils ont été perpétrés par des nationaux ; que les limitations apportées à la liberté de circulation de l’intéressé sont conformes aux exigences du droit communautaire ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté économique européenne modifié ;

Vu la directive n° 64-221 CEE du Conseil du 25 février 1964 modifiée ;

Vu l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 23 mai 2002 :
- le rapport de M. GUERRIVE, président assesseur ;
- et les conclusions de M. DUCHON-DORIS, premier conseiller ;

Considérant qu’aux termes de l’article 23 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 : "Sous réserve des dispositions de l’article 25, l’expulsion peut être prononcée par arrêté du ministre de l’intérieur si la présence sur le territoire français constitue une menace grave pour l’ordre public. L’arrêté d’expulsion peut à tout moment être abrogé par le ministre de l’intérieur..." ;

Considérant qu’ainsi que l’a constaté le juge pénal par un jugement devenu définitif, M. C. I., ressortissant espagnol, qui exerce la profession de chauffeur routier, s’est rendu coupable, lors d’un passage sur le territoire français, d’agression sexuelle ayant occasionné des blessures ou des lésions, faits pour lesquels il a été condamné à la peine de trente mois d’emprisonnement ; que, par arrêté du 12 décembre 1996, le ministre de l’intérieur a prononcé l’expulsion de l’intéressé ;

Considérant qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que la mesure d’expulsion dont a été l’objet M. C. I. ait été prise en considération de la seule condamnation pénale prononcée contre lui, et que le ministre n’ait pas examiné l’ensemble des éléments relatifs au comportement de l’intéressé et aux différents aspects de sa situation afin de déterminer si, après l’infraction commise, sa présence sur le territoire français constituait ou non une menace grave pour l’ordre public ;

Considérant que si l’article 8A du traité instituant la Communauté Européenne, dans sa rédaction issue du Traité sur l’Union Européenne signé à Maastricht le 7 février 1992, en vigueur à la date de la décision attaquée, donne à tout citoyen de l’Union le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres, ces stipulations ne s’appliquent, selon l’article 48 du même traité, que sous réserve des limitations et conditions prévues par le traité, notamment, pour des raisons d’ordre public et de sécurité publique ; qu’elles n’interdisent pas à un Etat membre d’expulser un ressortissant d’un autre Etat de l’Union, en application des dispositions de l’article 23 de l’ordonnance du 22 novembre 1945 ; que le principe de proportionnalité, applicable aux situations régies par le droit communautaire, exige que les mesures prises soient aptes à réaliser l’objectif visé et ne dépassent pas les limites de ce qui est nécessaire à cet effet ; que ni l’article 48 du traité ni les dispositions du droit dérivé ne s’opposent à ce que l’autorité administrative prononce des mesures limitant le droit d’accès et de séjour d’un ressortissant d’un autre Etat membre, dès lors que le comportement que ces mesures visent à prévenir est susceptible, s’il est le fait de nationaux, de faire l’objet de mesures répressives ou d’autres mesures réelles et effectives ; que, lorsqu’elle prend une mesure ayant pour effet de priver un ressortissant d’un autre Etat membre de son droit de circuler librement sur son territoire ou d’en limiter l’étendue, l’autorité compétente est tenue de faire application du principe de proportionnalité en prenant une décision dont les effets n’excèdent pas ce qui est strictement nécessaire à la protection de l’ordre et de la sécurité publics ;

Considérant que les nécessités de la protection de l’ordre et de la sécurité publics sont de nature à justifier une restriction au droit de circuler librement dont peut se prévaloir le requérant ; que la mesure d’expulsion dont M. C. I. a fait l’objet s’applique à l’ensemble du territoire national, et ne peut prendre fin que par une éventuelle décision d’abrogation ; que, compte tenu des faits qui lui sont reprochés et des circonstances dans lesquels ils ont été commis, aucune des mesures susceptibles de limiter son droit de circulation et de séjour n’apparaît propre à prévenir la menace que représente son comportement pour l’ordre public tout en lui permettant d’exercer son activité professionnelle ; que les effets de la décision attaquée, malgré leur étendue géographique et leur caractère définitif, ne sont, par suite, pas disproportionnés aux buts en vue desquels elle a été prise ;

Sur les conclusions présentées à titre subsidiaire :

Considérant qu’il n’appartient pas au juge de l’excès de pouvoir de substituer sa propre décision à celle de l’autorité administrative ; que c’est, par suite, à bon droit que les premiers juges ont rejeté comme irrecevables les conclusions de M. C. I. tendant à ce que soient réduits le champ d’application territorial et la durée d’application de l’arrêté d’expulsion litigieux ;

Considérant qu’il résulte de l’ensemble de ce qui précède que M. C. I. n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. C. I. est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C. I. et au ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

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