Si ce décret a entendu reconnaître les souffrances endurées par les orphelins de certaines victimes de la déportation, il ne modifie pas les conditions dans lesquelles les personnes qui s’y croient fondées peuvent engager des actions en responsabilité contre l’Etat. Ainsi, il n’entre pas dans le champ d’application des dispositions de l’article 34 de la Constitution selon lesquelles : "La loi détermine les principes fondamentaux des obligations civiles ".
CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 224945 224951 225012 225705 225950 226039 226853 228837
Assembléé
Pelletier et autres
Mme Laigneau, Rapporteur
M Austry, Commissaire du gouvernement
Lecture du 6 Avril 2001
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu 1°, sous le n° 224945, la requête enregistrée le 13 septembre 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour M Robert PELLETIER, demeurant 46, boulevard des Invalides à Paris (75007) ; M PELLETIER demande au Conseil d’Etat d’annuler le décret du 13 juillet 2000 du Premier ministre instituant une mesure de réparation pour les orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites ;
Vu 2°, sous le n° 224951, la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 13 septembre 2000 et 24 octobre 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M Bernard TEINTURIER, demeurant 33, boulevard Gabriel Guist’hau à Nantes (44000) ; M TEINTURIER demande au Conseil d’Etat : 1°) d’annuler le décret du 13 juillet 2000 du Premier ministre instituant une mesure de réparation pour les orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites en tant qu’il limite cette réparation aux seuls orphelins de parents déportés dans le cadre des persécutions antisémites, ensemble la lettre du 25 août 2000 du Premier ministre refusant d’étendre cette mesure à tous les enfants de déportés ; 2°) d’enjoindre au gouvernement de prendre dans un délai de six mois un nouveau décret mettant fin à cette discrimination ; 3°) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 12 000 F au titre de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu 3°, sous le n° 225012, la requête enregistrée le 14 septembre 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par M Jacques GUYOT, demeurant 72, montée de Chartreuse à Saint-Ismier (38330) ; M GUYOT demande au Conseil d’Etat d’annuler le décret du 13 juillet 2000 du Premier ministre instituant une mesure de réparation pour les orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites, ensemble la lettre du 25 août 2000 du Premier ministre refusant d’étendre cette mesure à tous les enfants de déportés ;
Vu 4°, sous le n° 225705, la requête enregistrée le 7 septembre 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par M Robert AMSTOUTZ, demeurant 35, rue Lothaire II à Nancy (54000) ; M AMSTOUTZ demande au Conseil d’Etat d’annuler le décret du 13 juillet 2000 du Premier ministre instituant une mesure de réparation pour les orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites ;
Vu 5°, sous le n° 225950, la requête enregistrée le 11 octobre 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par M Yves DOURY demeurant 64, avenue Maurice Maunoury à Luisant (28600) ; M DOURY demande au Conseil d’Etat : 1°) d’annuler le décret du 13 juillet 2000 du Premier ministre instituant une mesure de réparation pour les orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites ; 2°) d’enjoindre au gouvernement de prendre un nouveau décret mettant fin à cette discrimination ;
Vu 6°, sous le n° 226039, la requête enregistrée le 6 novembre 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par Mme Yvette LEROUX, demeurant 33, rue Georges Fessard à Courville-sur-Eure (28190) ; Mme LEROUX demande au Conseil d’Etat : 1°) d’annuler le décret du 13 juillet 2000 du Premier ministre instituant une mesure de réparation pour les orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites ; 2°) d’enjoindre au gouvernement de prendre un nouveau décret mettant fin à cette discrimination ;
Vu 7°, sous le n° 226853, la requête enregistrée le 6 novembre 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par Mme Gisèle CARNIS, demeurant 12, rue Saint-Simon à Chartres (28000) ; Mme CARNIS demande au Conseil d’Etat : 1°) d’annuler le décret du 13 juillet 2000 du Premier ministre instituant une mesure de réparation pour les orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites ; 2°) d’enjoindre au gouvernement de prendre un nouveau décret mettant fin à cette discrimination ;
Vu 8°, sous le n° 228837, la requête enregistrée le 3 janvier 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par M Jean-Daniel NESSMANN, demeurant 42, rue de la promenade à Ingersheim (68040) ; M NESSMANN demande au Conseil d’Etat : 1°) d’annuler le décret du 13 juillet 2000 instituant une mesure de réparation en faveur des orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites ; 2°) d’enjoindre au gouvernement d’étendre le décret aux enfants de Résistants ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la Constitution ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en audience publique :
le rapport de Mme Laigneau, Maître des Requêtes,
les observations de Me Garaud, avocat de M PELLETIER et de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M TEINTURIER,
les conclusions de M Austry, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes susvisées sont relatives au même décret ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sur les conclusions tendant à l’annulation du décret du 13 juillet 2000 :
Considérant qu’aux termes de l’article 1er du décret attaqué : "Toute personne dont la mère ou le père a été déporté à partir de la France dans le cadre des persécutions antisémites durant l’Occupation et a trouvé la mort en déportation a droit à une mesure de réparation, conformément aux dispositions du présent décret, si elle était mineure de vingt et un ans au moment où la déportation est intervenue. Sont exclues du bénéfice du présent décret les personnes qui perçoivent une indemnité viagère versée par la République fédérale d’Allemagne ou la République d’Autriche à raison des mêmes faits" ; qu’aux termes de l’article 2 du même décret : "La mesure de réparation prend la forme, au choix du bénéficiaire, d’une indemnité au capital de 180 000 F ou d’une rente viagère de 3 000 F par mois" ;
Considérant, d’une part, que si le décret attaqué a ainsi entendu reconnaître les souffrances endurées par les orphelins de certaines victimes de la déportation, il ne modifie pas les conditions dans lesquelles les personnes qui s’y croient fondées peuvent engager des actions en responsabilité contre l’Etat ; qu’ainsi, il n’entrait pas dans le champ d’application des dispositions de l’article 34 de la Constitution selon lesquelles : "La loi détermine les principes fondamentaux des obligations civiles " ; qu’aucune autre disposition de l’article 34 de la Constitution ne réservait au législateur la mise à la charge de l’Etat d’une telle prestation financière et la fixation des conditions de non attribution ;
Considérant, d’autre part, que les personnes tombant sous le coup des mesuresantisémites ont fait l’objet, pendant l’occupation de la France, d’une politique d’extermination systématique qui s’étendait même aux enfants ; qu’ainsi, eu égard à l’objet de la mesure qu’il avait décidée, le gouvernement a pu, sans méconnaître ni le principe constitutionnel d’égalité, ni la prohibition des discriminations fondées sur la race, regarder les mineurs dont le père ou la mère a été déporté dans le cadre des persécutions antisémites pendant l’occupation comme placés dans une situation différente de celle des orphelins des victimes des autres déportations criminelles pratiquées pendant la même période ;
Considérant, dès lors, que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le décret attaqué est entaché d’illégalité et à en demander l’annulation ;
Sur les conclusions dirigées contre la décision du Premier ministre en date du 25 août 2000 :
Considérant qu’ainsi qu’il a été dit, le gouvernement n’a pas commis d’illégalité en définissant le champ d’application de la mesure de réparation qu’il a décidée ; que, par suite, les conclusions tendant à l’annulation de la décision du 25 août 2000 par laquelle le Premier ministre a refusé de l’étendre aux orphelins d’autres personnes mortes en déportation doivent être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à ce qu’il soit enjoint au gouvernement d’étendre le bénéfice de la mesure de réparation susmentionnée :
Considérant qu’aux termes de l’article L 911-1 du code de justice administrative : "Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution" ; que la présente décision, qui rejette les conclusions à fins d’annulation présentées par les requérants, n’implique aucune mesure d’exécution ; que, dès lors, les conclusions susanalysées doivent être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l’Etat qui n’est pas la partie perdante dans la présente affaire, soit condamné à verser à M TEINTURIER la somme qu’il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Les requêtes de MM PELLETIER, TEINTURIER, GUYOT, AMSTOUTZ, DOURY, NESSMANN et de Mmes LEROUX et CARNIS sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M Robert PELLETIER, à M Bernard TEINTURIER, à M Jacques GUYOT, à M Robert AMSTOUTZ, à M Yves DOURY, à M Jean-Daniel NESSMANN, à Mme Yvette LEROUX, à Mme Gisèle CARNIS et au Premier ministre.
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