Conseil d’Etat, 6 juin 2003, n° 227285, Société Rasquer Sport

Il appartient aux commissions d’équipement commercial, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, d’apprécier si un projet soumis à autorisation est de nature à compromettre dans la zone de chalandise intéressée, l’équilibre recherché par le législateur entre les différentes formes de commerce et, dans l’affirmative, de rechercher si cet inconvénient est compensé par les effets positifs que le projet peut présenter au regard notamment de l’emploi, de l’aménagement du territoire, de la concurrence, de la modernisation des équipements commerciaux et, plus généralement, de la satisfaction des besoins des consommateurs.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 227285

Société RASQUER SPORT

Mme Picard
Rapporteur

Mme Roul
Commissaire du gouvernement

Séance du 12 mai 2003
Lecture du 6 juin 2003

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 4ème et 6ème sous-section réunies)

Sur le rapport de la 4ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête, enregistrée le 20 novembre 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par la société RASQUER SPORT, dont le siège social est rue Andrei Sakharov à Lanester (56600), représentée par sa gérante en exercice ; la société RASQUER SPORT demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler la décision du 11 juillet 2000 par laquelle la commission nationale d’équipement commercial a accordé à la société Go Sport l’autorisation de créer à Lanester un magasin spécialisé dans la vente d’articles et de vêtements de sport à l’enseigne Go Sport d’une surface de vente de 2 300 m² ;

2°) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 30 000 F au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de commerce ;

Vu la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 modifiée ;

Vu le décret n° 93-306 du 9 mars 1993 modifié ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Picard, Maître des Requêtes,
- les conclusions de Mme Roul, Commissaire du gouvernement ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête :

Considérant que, par une décision du 11 juillet 2000, la commission nationale d’équipement commercial a accordé à la société Go Sport l’autorisation préalable requise en vue de créer sur le territoire de la commune de Lanester (Morbihan) un magasin spécialisé dans la vente d’articles de sports d’une superficie de 2 300 m² ;

Considérant que l’article 1er de la loi du 27 décembre 1973 dispose : "La liberté et la volonté d’entreprendre sont les fondements des activités commerciales et artisanales. Celles-ci s’exercent dans le cadre d’une concurrence claire et loyale. Le commerce et l’artisanat ont pour fonction de satisfaire les besoins des consommateurs, tant en ce qui concerne les prix que la qualité des services et des produits offerts. Ils doivent participer au développement de l’emploi et contribuer à accroître la compétitivité de l’économie nationale, animer la vie urbaine et rurale et améliorer sa qualité. Les pouvoirs publics veillent à ce que l’essor du commerce et de l’artisanat permette l’expansion de toutes les formes d’entreprises, indépendantes, groupées ou intégrées, en évitant qu’une croissance désordonnée des formes nouvelles de distribution ne provoque l’écrasement de la petite entreprise et le gaspillage des équipements commerciaux et ne soit préjudiciable à l’emploi. /Les implantations, extensions, transferts d’activités existantes et changements de secteur d’activité d’entreprises commerciales et artisanales doivent répondre aux exigences d’aménagement du territoire, de la protection de l’environnement et de la qualité de l’urbanisme. Ils doivent en particulier contribuer au maintien des activités dans les zones rurales et de montagne ainsi qu’au rééquilibrage des agglomérations par le développement des activités en centre ville et dans les zones de dynamisation urbaine. Ils doivent également contribuer à la modernisation des équipements commerciaux, à leur adaptation à l’évolution des modes de consommation et des techniques de commercialisation, au confort d’achat du consommateur et à l’amélioration des conditions de travail des salariés" ; qu’aux termes des dispositions de l’article 28 de la loi du 27 décembre 1973 dans leur rédaction applicable en l’espèce : "Dans le cadre des principes définis aux articles premier et 4 ci-dessus, la commission statue en prenant en considération : - L’offre et la demande globales pour chaque secteur d’activité pour la zone de chalandise concernée ; - La densité d’équipement en moyennes et grandes surfaces dans cette zone ; - L’effet potentiel du projet sur l’appareil commercial et artisanal de cette zone et des agglomérations concernées, ainsi que sur l’équilibre souhaitable entre les différentes formes de commerce ; - L’impact éventuel du projet en termes d’emploi salariés et non salariés ; - Les conditions d’exercice de la concurrence au sein du commerce et de l’artisanat (...)" ;

Considérant que pour l’application de ces dispositions combinées, il appartient aux commissions d’équipement commercial, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, d’apprécier si un projet soumis à autorisation est de nature à compromettre dans la zone de chalandise intéressée, l’équilibre recherché par le législateur entre les différentes formes de commerce et, dans l’affirmative, de rechercher si cet inconvénient est compensé par les effets positifs que le projet peut présenter au regard notamment de l’emploi, de l’aménagement du territoire, de la concurrence, de la modernisation des équipements commerciaux et, plus généralement, de la satisfaction des besoins des consommateurs ;

Considérant, en premier lieu, qu’il ressort des pièces du dossier que, alors même que la population de la zone de chalandise n’a connu qu’une légère augmentation entre 1990 et 1999, la densité d’équipements commerciaux de plus de 300 m² dans ce secteur d’activité excède déjà sensiblement les densités constatées tant dans le département qu’au niveau national ; que l’autorisation accordée renforcerait la concentration en équipements spécialisés dans l’arrondissement de Lorient, qui comporte déjà un grand nombre de magasins d’articles de sport, dont un de grande taille, récemment ouvert ; que, dès lors, le projet autorisé par la décision attaquée est de nature à affecter l’équilibre existant antérieurement entre les établissements commerciaux sur la zone de chalandise ;

Considérant, en second lieu, que si cette nouvelle enseigne est susceptible de contribuer à animer la concurrence avec le magasin à l’enseigne Décathlon, situé sur la zone commerciale de Keryado à une dizaine de minutes du projet contesté, il ressort des pièces du dossier que la distribution de vêtements et d’articles de sport dans cette zone bénéficie déjà de nombreux équipements commerciaux, qui présentent une offre diversifiée, de nature à satisfaire les besoins des consommateurs ; que l’implantation du nouvel équipement autorisé apparaît ainsi de nature à affecter la rentabilité des magasins spécialisés dans les articles de sport déjà présents dans la zone de chalandise, notamment de ceux qui ne disposent que d’une surface de vente limitée et à détériorer, par voie de conséquence, la situation de l’emploi ; qu’il suit de là que les effets positifs du projet ne compensent pas le déséquilibre que risquerait d’entraîner, entre les différentes formes de commerce, sa réalisation ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la commission nationale d’équipement commercial a fait une inexacte appréciation des objectifs fixés par les dispositions législatives susrappelées en autorisant le projet ci-dessus analysé ; que la société RASQUER SPORT est, dès lors, fondée à demander l’annulation de cette autorisation ;

Sur l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu dans les circonstances de l’espèce de faire application de ces dispositions et de condamner l’Etat à verser à la société RASQUER SPORT une somme de 4 500 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La décision de la commission nationale d’équipement commercial en date du 11 juillet 2000 est annulée.

Article 2 : L’Etat est condamné à payer à la société RASQUER SPORT la somme de 4 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société RASQUER SPORT, à la société Go Sport, à la commission nationale d’équipement commercial et au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

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