Conseil d’Etat, 21 mai 2003, n° 238145, Ministre de l’économie, des finances et de l’industrie c/ M. Jean M.

Les article L.15 et L.16 du Code des pensions civiles et militaires ont seulement pour objet et pour effet de permettre aux retraités de bénéficier, pour le calcul de leur pension, des modifications indiciaires applicables, par suite d’une réforme statutaire, aux personnels en activité mais ne confèrent pas aux fonctionnaires d’un corps supprimé et intégré dans un nouveau corps à l’occasion d’une telle réforme le droit de conserver dans ce corps des avantages acquis sous le régime antérieur et, notamment, l’ancienneté acquise dans un grade et un échelon déterminés.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 238145

MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE
c/ M. M.

M. Hourdin
Rapporteur

M. Goulard
Commissaire du gouvernement

Séance du 30 avril 2003
Lecture du 21 mai 2003

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 9ème et 10ème sous-section réunies)

Sur le rapport de la 9ème sous-section de la Section du contentieux

Vu le recours, enregistré le 12 septembre 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présenté par le MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE ; le MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE demande que le Conseil d’Etat annule l’arrêt du 15 mai 2001 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille, réformant le jugement du tribunal administratif de Montpellier, a annulé sa décision du 29 novembre 1996 rejetant la demande de M. Jean M. tendant à la révision de sa pension civile de retraite sur la base du 6ème échelon du grade d’ingénieur divisionnaire de l’industrie et des mines ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ensemble le premier protocole additionnel à cette convention ;

Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

Vu le décret n° 88-507 du 28 avril 1988 ;

Vu le décret n° 96-122 du 9 février 1996 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Hourdin, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de M. M.,
- les conclusions de M. Goulard, Commissaire du gouvernement ;

Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article L. 15 du code des pensions civiles et militaires de retraite : "Les émoluments de base sont constitués par les derniers émoluments soumis à retenue afférents à l’indice correspondant à l’emploi, grade et échelon effectivement détenus depuis six mois au moins par le fonctionnaire ou militaire au moment de la cessation des services valables pour la retraite ou, dans le cas contraire, sauf s’il y a eu rétrogradation par mesure disciplinaire, par les émoluments soumis à retenue afférents à l’emploi, grade et échelon antérieurement occupés d’une manière effective..." ; qu’aux termes de l’article L. 16 du même code : "En cas de réforme statutaire l’indice de traitement mentionné à l’article L. 15 sera fixé conformément à un tableau d’assimilation annexé au décret déterminant les modalités de cette réforme" ; que ces dernières dispositions ont seulement pour objet et pour effet de permettre aux retraités de bénéficier, pour le calcul de leur pension, des modifications indiciaires applicables, par suite d’une réforme statutaire, aux personnels en activité mais ne confèrent pas aux fonctionnaires d’un corps supprimé et intégré dans un nouveau corps à l’occasion d’une telle réforme le droit de conserver dans ce corps des avantages acquis sous le régime antérieur et, notamment, l’ancienneté acquise dans un grade et un échelon déterminés ;

Considérant, d’autre part, que le décret du 29 avril 1988 portant création et statut particulier du corps des ingénieurs de l’industrie et des mines, a substitué ce nouveau corps au corps des ingénieurs des travaux publics de l’Etat (mines) et au corps des ingénieurs des travaux météorologiques ; qu’en vue de l’application des dispositions de l’article L. 16 du code des pensions civiles et militaires de retraite, l’article 20 du même décret s’est borné à prévoir que les ingénieurs divisionnaires des travaux publics de l’Etat (mines) seraient assimilés aux ingénieurs divisionnaires de l’industrie et des mines à identité d’échelon et ne comportait aucune disposition relative à la conservation d’ancienneté ; que le décret du 9 février 1996 modifiant le décret du 29 avril 1988 a prévu, notamment dans le tableau de correspondance établi par son article 9, que les ingénieurs divisionnaires de l’industrie et des mines classés au 5ème échelon de leur grade avec un an et plus d’ancienneté seraient reclassés au 6ème échelon nouveau du grade avec une ancienneté acquise diminuée d’un an dans la limite de trois ans six mois, et en son article 10 que les assimilations prévues pour fixer les nouveaux indices de traitement mentionnés à l’article L. 15 du code des pensions civiles et militaires de retraite s’effectueraient conformément à un tableau de correspondance selon lequel les agents classés au 5ème échelon avec une ancienneté d’un an et plus seraient reclassés au 6ème échelon ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. M., ingénieur des travaux publics de l’Etat, a été radié des cadres et admis au bénéfice d’une pension civile de retraite en 1981 ; que cette pension a été calculée et liquidée sur la base des émoluments correspondant au 5ème échelon de son grade ; que la pension de l’intéressé a été révisée une première fois en application du décret du 29 avril 1988, par suite du reclassement de M. M. au 5ème échelon du grade d’ingénieur divisionnaire de l’industrie et des mines ; qu’à la suite de l’entrée en vigueur du décret du 9 février 1996, la pension de M. M. a été à nouveau révisée par arrêté du 13 septembre 1996 mais a continué à être liquidée sur la base des émoluments correspondant au 5ème échelon du grade d’ingénieur divisionnaire ;

Considérant que, pour faire droit à la requête de M. M. tendant à l’annulation du jugement du tribunal administratif de Montpellier en date du 23 décembre 1999 rejetant sa demande d’annulation de la décision du 29 novembre 1996 par laquelle le MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE a refusé de réviser sa pension sur la base des émoluments correspondant au 6ème échelon du grade d’ingénieur divisionnaire, la cour administrative d’appel de Marseille a estimé que le décret du 29 avril 1988 ne constituait pas une réforme statutaire et était demeuré sans incidence sur la conservation de l’ancienneté acquise en activité par les fonctionnaires retraités du corps des ingénieurs des travaux publics de l’Etat et susceptible d’être prise en compte à l’occasion d’un éventuel reclassement indiciaire ultérieur ; qu’en statuant ainsi, alors que le décret du 29 avril 1988 a créé un nouveau corps, a intégré dans ce nouveau corps les fonctionnaires relevant du corps des ingénieurs des travaux publics de l’Etat et ceux relevant du corps des ingénieurs des travaux météorologiques, a abrogé les statuts particuliers de ces deux derniers corps, et a, en conséquence, procédé à une réforme statutaire au sens de l’article L. 16 susreproduit, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit ; que son arrêt doit, dès lors, être annulé ;

Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu, pour le Conseil d’Etat, en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au fond ;

Considérant, en premier lieu, qu’ainsi qu’il a été dit ci-dessus, aucune disposition ne confère aux fonctionnaires d’un corps supprimé et intégré dans un nouveau corps le droit de conserver dans ce corps des avantages acquis sous le régime antérieur et, notamment, l’ancienneté acquise dans un grade et un échelon déterminés ; qu’en conséquence, le décret prévoyant les mesures de reclassement, dans un nouveau corps, des fonctionnaires retraités d’un corps supprimé peut ne pas tenir compte, pour leur assimilation, de l’ancienneté acquise, avant leur radiation des cadres, par des fonctionnaires retraités ; qu’ainsi, le décret du 29 avril 1988 n’ayant comporté aucune disposition relative à la conservation d’ancienneté, M. M. n’avait conservé aucune ancienneté lorsque, après l’intervention de la seconde réforme statutaire issue du décret du 9 février 1996, sa pension a été révisée ;

Considérant, en deuxième lieu, que le décret du 29 avril 1988 a, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, regroupé en un nouveau corps le corps des ingénieurs des travaux publics de l’Etat (mines) et celui des ingénieurs des travaux météorologiques ; que l’incidence de ce décret sur la situation des agents retraités à la date de sa publication et sur celle des agents en activité a été différente, dès lors que ces derniers ont pu bénéficier d’un avancement de carrière qui n’était pas ouvert aux agents retraités ; qu’ainsi, les agents retraités avant son intervention n’étaient pas dans la même situation que les agents retraités entre son intervention et celle du décret du 9 février 1996 ; qu’il suit de là que M. M., qui ne peut utilement se prévaloir du caractère prétendument inéquitable de ces réformes statutaires, n’est pas fondé à soutenir que le principe d’égalité aurait été méconnu lors du reclassement des fonctionnaires concernés ;

Considérant, en dernier lieu, que si M. M. soutient que la décision attaquée, par laquelle le ministre a refusé de réviser sa pension sur la base du 6ème échelon du grade d’ingénieur divisionnaire, le prive d’une année d’ancienneté et porte ainsi atteinte au respect de ses biens au sens de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, des dispositions qui ont pour objet de permettre la revalorisation de la pension d’un retraité à l’occasion de changements affectant la structure des corps des fonctionnaires en activité peuvent ne pas comporter de mécanismes de conservation de l’ancienneté acquise dans un corps supprimé sans être incompatibles avec ces stipulations conventionnelles ; qu’ainsi, le moyen ne peut être accueilli ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que M. M. n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande ;

Considérant que les conclusions de M. M. devant la cour tendant à l’annulation de l’arrêté du 13 septembre 1996 portant révision de sa pension sont présentées pour la première fois en appel et, par suite, irrecevables ;

Considérant que l’exécution de la présente décision n’appelle aucune mesure d’exécution ; que les conclusions présentées par M. M. et tendant à ce qu’il soit enjoint au ministre chargé des pensions de réviser sa pension civile de retraite ne peuvent, par suite, être accueillies ;

Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l’Etat, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à verser à M. M. la somme qu’il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 15 mai 2001 est annulé.

Article 2 : La requête présentée par M. M. devant la cour administrative d’appel de Marseille est rejetée.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par M. M. devant le Conseil d’Etat est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE et à M. Jean M..

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