Eu égard aux différences juridiques existant entre une succursale et une filiale et tenant notamment à ce qu’une succursale n’a pas de personnalité morale, les règles relatives à la prise en compte, pour l’imposition d’une société dont le siège est en France, des aides qu’elle apporterait à une filiale dont le siège est à l’étranger ne sont pas, contrairement à ce que soutient la requérante, applicables aux aides qu’une telle société apporte à une succursale implantée à l’étranger.
CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 222956
SOCIETE TELECOISE
M. Salesse
Rapporteur
Mme Mitjavile
Commissaire du gouvernement
Séance du 25 avril 2003
Lecture du 16 mai 2003
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux)
Sur le rapport de la 10ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 11 juillet et 13 novembre 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SOCIETE TELECOISE, dont le siège est 98, rue du Pont d’Arcole à Beauvais (60000) ; la SOCIETE TELECOISE demande que le Conseil d’Etat annule l’arrêt du 4 mai 2000 par lequel la cour administrative d’appel de Douai a rejeté sa demande tendant à l’annulation du jugement du 27 février 1997 du tribunal administratif d’Amiens rejetant sa demande tendant à la réduction des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 1986 et 1987 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Salesse, Maître des Requêtes,
les observations de la SCP Boullez, avocat de la SOCIETE TELECOISE,
les conclusions de Mme Mitjavile, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SOCIETE TELECOISE, qui réalise en France et à l’étranger des installations électriques, a créé une succursale en Libye pour l’exécution d’un marché de travaux publics ; qu’ayant cessé l’exécution de ce marché, elle a été condamnée, par jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 9 septembre 1986, à payer à la Wahda Bank qui l’avait cautionnée auprès de son client libyen pour garantir la restitution de l’acompte versé par ce dernier, une somme de 215 493,25 dinars libyens assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 mai 1985 ; qu’à la suite de ce jugement dont elle a relevé appel, la société a constitué une provision calculée en appliquant au principal et aux intérêts le taux de change existant au 21 mai 1985 ; qu’à la suite d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 1986 et 1987, l’administration a, d’une part, refusé la déduction d’une provision pour créance douteuse pour les avances que la société avait consenties à sa succursale libyenne et, d’autre part, remis en cause le taux de change utilisé par la société pour le calcul de la provision constituée à la suite de la condamnation judiciaire ;
Sur la régularité de la procédure d’imposition :
Considérant que le moyen tiré de la méconnaissance par l’administration du principe du contradictoire est nouveau en cassation et n’est pas d’ordre public ; qu’il n’est par suite pas recevable ;
Sur la provision pour créances douteuses constituée par la SOCIETE TELECOISE à raison des avances consenties à sa succursale libyenne :
Considérant qu’aux termes de l’article 38 du code général des impôts applicable en matière d’impôt sur les sociétés en vertu de l’article 209-1 du même code : "1. Sous réserve des dispositions des articles 33 ter, 40 à 43 bis et 151 sexies, le bénéfice est le bénéfice net, déterminé d’après les résultats d’ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, y compris notamment les cessions d’éléments quelconques de l’actif, soit en cours, soit en fin d’exploitation. 2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l’actif net à la clôture et à l’ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l’impôt diminuée des suppléments d’apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l’exploitant ou par les associés. L’actif net s’entend de l’excédent des valeurs d’actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiées (...)" ; qu’aux termes de l’article 39 du même code : "1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant notamment ... 5°) Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables" ; qu’enfin, aux termes de l’article 209 du code général des impôts : "I. Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l’impôt sur les sociétés sont déterminés d’après les règles fixées par les articles 34 à 45, 53 A à 57 et 302 septies A bis et en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France ainsi que ceux dont l’imposition est attribuée à la France par une convention relative aux doubles impositions (...)" ;
Considérant qu’eu égard aux différences juridiques existant entre une succursale et une filiale et tenant notamment à ce qu’une succursale n’a pas de personnalité morale, les règles relatives à la prise en compte, pour l’imposition d’une société dont le siège est en France, des aides qu’elle apporterait à une filiale dont le siège est à l’étranger ne sont pas, contrairement à ce que soutient la requérante, applicables aux aides qu’une telle société apporte à une succursale implantée à l’étranger ;
Considérant qu’il résulte des dispositions précitées des articles 38 et 209 du code général des impôts que, lorsqu’une société dont le siège est en France exerce dans une succursale à l’étranger, une activité industrielle ou commerciale, il n’y a pas lieu de tenir compte, pour la détermination des bénéfices imposables en France, des variations d’actif net imputables à des événements qui se rattachent à l’activité exercée par cette succursale ; qu’en revanche, si la succursale entretient avec le siège des relations commerciales favorisant le maintien ou le développement des activités en France de la société, celle-ci peut déduire de ses résultats imposables les pertes, subies ou régulièrement provisionnées, résultant des aides apportées à la succursale dans le cadre de ces relations ;
Considérant que la cour administrative d’appel a relevé que si la SOCIETE TELECOISE avait consenti des avances à la succursale qu’elle avait créée en Libye pour assurer l’exécution dans ce pays du marché qu’elle avait conclu, elle ne justifiait pas que ces avances auraient eu pour objectif et contrepartie le développement d’une activité exercée en France ; que la cour administrative d’appel n’a ni commis d’erreur de droit ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en jugeant que la provision pour créance douteuse que la requérante avait constituée pour cette avance n’était pas déductible des résultats imposables en France ;
Sur le taux de change applicable à la provision constituée à la suite du jugement du tribunal de commerce de Paris :
Considérant qu’aux termes des dispositions applicables à l’espèce de l’article 38 du code général des impôts : "4. Pour l’application des 1 et 2, les écarts de conversion des devises ainsi que des créances et dettes libellées en monnaies étrangères par rapport aux montants initialement comptabilisés sont déterminés à la clôture de chaque exercice en fonction du dernier cours de change et pris en compte pour la détermination du résultat imposable de l’exercice" ;
Considérant que la cour administrative d’appel de Douai a relevé que la SOCIETE TELECOISE avait été condamnée à verser à la banque libyenne une somme libellée en dinars libyens et qu’aucune disposition du jugement du tribunal de commerce de Paris n’impliquait que cette somme fût convertie en francs au jour de départ des intérêts ; que la cour a fait une exacte application des dispositions de l’article 38 du code général des impôts précité en jugeant qu’il convenait, pour déterminer le montant de la provision susceptible d’être ainsi constituée en vue du paiement de cette somme et dont le principe n’a pas été discuté devant le juge du fond, de prendre en compte le cours du change connu du dinar libyen à la date de clôture de l’exercice au titre duquel la provision a été constituée, soit le 31 décembre 1986 ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la SOCIETE TELECOISE n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de le SOCIETE TELECOISE est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE TELECOISE et au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.
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