Conseil d’Etat, 28 avril 2003, n° 232310, Jean-Luc B.

Les dispositions des articles 105 et 106 du Code de déontologie médicale, de portée générale, déduites du principe de l’indépendance de la profession médicale, sont applicables dans le cadre de la procédure de suspension temporaire du droit d’exercer cette profession prévue par l’article L. 460 du code de la santé publique issu de l’article 9 du décret du 4 mars 1959. Elles font dès lors obstacle à ce que le médecin traitant du praticien à l’égard duquel cette procédure est engagée soit désigné comme l’un des trois médecins experts spécialisés, même si le praticien intéressé le demande.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 232310

M. B.

M. Molina
Rapporteur

Mme Roul
Commissaire du gouvernement

Séance du 26 mars 2003
Lecture du 28 avril 2003

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 4ème et 6ème sous-section réunies)

Sur le rapport de la 4ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 7 avril et 7 août 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Jean-Luc B. ; M. B. demande au Conseil d’Etat l’annulation de la décision du 25 janvier 2001 par laquelle la section disciplinaire du Conseil national de l’Ordre des médecins a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du 12 septembre 2000, par laquelle le conseil régional de l’Ile-de-France, statuant en application de l’article L. 460 du code de la santé publique, lui a interdit d’exercer la médecine pendant un an et a subordonné la reprise de son activité professionnelle aux résultats d’une nouvelle expertise ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique, notamment son article L. 460 ;

Vu le décret n° 59-388 du 4 mars 1959 ;

Vu le décret n° 95-1000 du 6 septembre 1995 portant code de déontologie médicale ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Molina, Auditeur,
- les observations de la SCP Richard, Mandelkern, avocat de M. B. et de la SCP Vier, Barthélemy, avocat du Conseil national de l’Ordre des médecins,
- les conclusions de Mme Roul, Commissaire du gouvernement ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête :

Considérant qu’aux termes de l’article 105 du décret du 6 septembre 1995 portant code de déontologie médicale : "Nul ne peut être à la fois médecin expert et médecin traitant d’un même malade. Un médecin ne doit pas accepter une mission d’expertise dans laquelle sont en jeu ses propres intérêts, ceux d’un de ses patients, d’un de ses proches, d’un de ses amis ou d’un groupement qui fait habituellement appel à ses services" ; qu’aux termes de son article 106 : "Lorsqu’il est investi d’une mission, le médecin expert doit se récuser s’il estime que les questions qui lui sont posées (...) l’exposeraient à contrevenir aux dispositions du présent code" ; que ces dispositions, de portée générale, déduites du principe de l’indépendance de la profession médicale, sont applicables dans le cadre de la procédure de suspension temporaire du droit d’exercer cette profession prévue par l’article L. 460 du code de la santé publique issu de l’article 9 du décret du 4 mars 1959 ; qu’elles font dès lors obstacle à ce que le médecin traitant du praticien à l’égard duquel cette procédure est engagée soit désigné comme l’un des trois médecins experts spécialisés, même si le praticien intéressé le demande ;

Considérant que M. R., désigné par M. B. en application des dispositions de l’article L. 460 du code de la santé publique, était l’un des trois experts spécialisés qui ont examiné ce dernier le 22 mai 2000 et établi le rapport motivé sur lequel s’est fondée la section disciplinaire du Conseil national de l’Ordre des médecins pour confirmer la suspension, pendant un an, du droit de M. B. d’exercer la médecine ; qu’il ressort des pièces du dossier que M. R. avait eu à porter un diagnostic sur l’état de santé de M. B. dans le cadre de l’hospitalisation d’office dont celui-ci avait fait l’objet en octobre 1998 ; que, par suite, il devait, à la date de l’expertise contestée, être regardé comme médecin traitant de M. B. au sens des dispositions des articles 105 et 106 du code de déontologie médicale ; que la décision attaquée ayant ainsi été prise au terme d’une procédure irrégulière, M. B. est fondé à en demander l’annulation ;

D E C I D E :

Article 1er : La décision du 25 janvier 2001 de la section disciplinaire du Conseil national de l’Ordre des médecins est annulée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Jean-Luc B., au Conseil national de l’Ordre des médecins et au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.

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Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article1652