Cour administrative d’appel de Marseille, 26 novembre 2002, n° 00MA00469, Entreprise Paul Milet

Le législateur a entendu rendre inopposable aux entreprises contractant des marchés publics toute clause de renonciation aux intérêts moratoires figurant dans les cahiers des charges ou les autres documents contractuels du marché primitif ou des avenants à ce marché, mais non interdire, après l’exécution totale du marché et le paiement du prix, la conclusion d’une transaction portant sur le montant des travaux supplémentaires constatés et des éventuels intérêts moratoires, ainsi que sur leurs modalités de versement.

COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE MARSEILLE

N° 00MA00469

Entreprise Paul MILET

M. LAPORTE
Président

M. ZIMMERMANN
Rapporteur

M. BOCQUET
Commissaire du Gouvernement

Arrêt du 26 novembre 2002

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE MARSEILLE

(2ème chambre)

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d’appel de Marseille le 6 mars 2000 sous le n° 00MA00469, présentée par l’Entreprise Paul MILET, dont le siège est la Pointe de Blausasc à l’Escarène (06440), représenté par M. Paul MILET ;

M. MILET demande à la Cour :

1°/ d’annuler le jugement en date du 19 novembre 1999 par lequel le Tribunal administratif Nice a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l’Etat à lui payer une somme de 499.199 F au titre des intérêts moratoires sur le solde d’un marché de travaux publics, ainsi que les intérêts légaux, et une somme de 6.000 F au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

2°/ de condamner l’Etat à lui payer les intérêts moratoires calculés en fonction des dispositions de l’article 178 II du code des marchés publics, avec les intérêts au taux légal à compter du 24 mars 1997 ;

3°/ de condamner l’Etat à lui verser une somme de 6.000 F au titre de l’article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;

Il soutient que le jugement ignore le caractère d’ordre public des intérêts moratoires figurant dans le code des marchés publics ; que la loi du 8 août 1994 interdit toute renonciation à ces intérêts, et que bien qu’évoquée par M. Paul MILET, il n’en a pas été tenu compte ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu les pièces du greffe desquelles il résulte que la requête a été communiquée au ministre de l’équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer pour qui il n’a pas été produit de mémoire ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil, notamment ses articles 2044 et 2048 ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu la loi n° 94-679 du 8 août 1994 portant diverses dispositions d’ordre économique et financier, notamment son article 67 ;

Vu code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 12 novembre 2002 :
- le rapport de M. ZIMMERMANN, premier conseiller ;
- les observations de Me CURTI pour l’Entreprise Paul MILET ;
- et les conclusions de M. BOCQUET, premier conseiller ;

Sur les conclusions principales :

Considérant qu’aux termes de l’article 67 de la loi susvisée du 8 août 1994 : "Dans le cadre des marchés publics, y compris les travaux sur mémoires et achats sur factures, est réputée non écrite toute renonciation au paiement des intérêts moratoires exigibles en raison du défaut, dans les délais prévus, soit du mandatement des sommes dues, soit de l’autorisation d’émettre une lettre de change-relevé, soit du paiement de celle-ci à son échéance..." ; qu’aux termes de l’article 178 du code des marchés publics, dans sa rédaction applicable à l’espèce : "I. L’administration contractante est tenue de procéder au mandatement des acomptes dans un délai qui ne peut dépasser quarante-cinq jours ; toutefois, pour le solde de certaines catégories de marchés, un délai plus long peut être fixé par arrêté du ministre chargé de l’économie et des finances... (...) II. Le défaut de mandatement dans le délai prévu au I. ci-dessus fait courir de plein droit et sans autre formalité, au bénéfice du titulaire ou du sous traitant, des intérêts moratoires, à partir du jour suivant l’expiration dudit délai jusqu’au quinzième jour inclus suivant la date de mandatement du principal... Le défaut de mandatement de tout ou partie des intérêts moratoires lors du mandatement du principal entraîne une majoration de 2 p. 100 du montant de ces intérêts par mois de retard. (...) IV. En cas de désaccord sur le montant d’un acompte ou du solde, le mandatement est effectué sur la base provisoire des sommes admises par l’administration contractante. Lorsque les sommes ainsi payées sont inférieures à celles qui sont finalement dues au titulaire, celui-ci a droit à des intérêts moratoires calculés sur la différence." ; et qu’aux termes de l’article 239 du même code, dans sa rédaction issue de l’intervention du décret n° 91-204 du 25 février 1991 applicable à l’espèce : "...II. Sont constitués par un arrêté conjoint du Premier ministre et du ministre chargé de l’économie et des finances, auprès du préfet désigné par ledit arrêté, des comités consultatifs régionaux ou interrégionaux de règlement amiable des différends ou litiges relatifs aux marchés passés par les services extérieurs de l’Etat... (...) III. Les comités mentionnés aux I et II ci-dessus ont pour mission de rechercher les éléments de droit ou de fait pouvant être équitablement adopté en vue d’une solution amiable. L’avis donné par un comité porte sur le principal et sur les intérêts de l’indemnité pouvant être accordée pour le règlement du différend ou litige." ;

Considérant que l’Entreprise Paul MILET ayant contesté le décompte final relatif au marché de construction d’une route d’accès au radar du Haut-Montet qui lui avait été adressé le 3 décembre 1993, a saisi le 12 avril 1994 un comité consultatif interrégional de règlement amiable des litiges en matière de marchés publics du différend l’opposant à la direction départementale de l’équipement à propos du paiement de travaux supplémentaires effectués dans le cadre de ce marché ; que le comité consultatif ayant émis l’avis de fixer à 642.531 F hors taxes la somme supplémentaire due par la direction départementale de l’équipement des Alpes-Maritimes, les parties ont accepté cette conciliation ; qu’en exécution de cet accord, une somme de 774.892,38 F a été versée à M. Paul MILET le 17 janvier 1997 ; que M. Paul MILET a demandé le 24 mars 1997, sur le fondement des dispositions précitées de l’article 178 du code des marchés publics le paiement des intérêts moratoires correspondant à cette somme, calculés depuis le 14 mai 1993, et s’élevant à la somme de 499.864,27 francs ;

Considérant qu’il ressort des termes de l’article 67 de la loi du 8 août 1994 éclairées par les débats parlementaires, que le législateur a entendu rendre inopposable aux entreprises contractant des marchés publics toute clause de renonciation aux intérêts moratoires figurant dans les cahiers des charges ou les autres documents contractuels du marché primitif ou des avenants à ce marché, mais non interdire, après l’exécution totale du marché et le paiement du prix, la conclusion d’une transaction portant sur le montant des travaux supplémentaires constatés et des éventuels intérêts moratoires, ainsi que sur leurs modalités de versement ;

Considérant que M. Paul MILET s’était engagé le 22 août 1996, en acceptant la conciliation pour solde de tout compte, à renoncer à toute réclamation ultérieure relative à ce marché ; que, si les clauses de renonciation aux intérêts moratoires antérieures à l’exécution du marché ou au paiement du prix sont, en vertu des dispositions précitées de la loi du 8 août 1994, réputées non écrites, dans les circonstances de l’espèce, la transaction étant intervenue après avis du comité consultatif interrégional de règlement amiable des litiges en matière de marchés publics, et conformêment à cet avis, l’indemnité perçue par M. Paul MILET en exécution de cette transaction doit être, en vertu des dispositions précitées de l’article 239 du code des marchés publics, réputée inclure le montant du principal et des intérêts, y compris les intérêts moratoires ; qu’ainsi la transaction acceptée le 22 août 1996 par M. MILET pour solde de tout compte pouvait légalement porter notamment, même implicitement, sur les intérêts moratoires, et rendre, par suite irrecevable la demande de M. MILET ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que l’Entreprise Paul MILET n’est pas fondée à demander l’annulation du jugement en date du 19 novembre 1999 par lequel le Tribunal administratif Nice a rejeté comme irrecevable sa demande, sans statuer sur l’ensemble des moyens présentés par l’entreprise requérante ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L.761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l’Etat, qui n’est pas la partie perdante, soit condamné à payer à l’Entreprise Paul MILET la somme qu’elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête susvisée de l’Entreprise Paul MILET est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l’Entreprise Paul MILET et au ministre de l’équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.

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Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article1614