Conseil d’Etat, 14 mars 2003, n° 251935, M. Didier M.

Si le législateur a entendu subordonner l’application du mécanisme fiscal, correctif appelé "TIPP flottante" à la condition que les cours du pétrole brut soient supérieurs au niveau constaté en janvier 2000, il n’a pas prévu que la baisse des cours en deçà de ce niveau entraînerait la caducité du mécanisme.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 251935

M. M.

Mlle Landais
Rapporteur

M. Stahl
Commissaire du gouvernement

Séance du 24 février 2003
Lecture du 14 mars 2003

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 1ère et 2ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 1ère sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête, enregistrée le 22 novembre 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour M. Didier M. ; M. M. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler la décision du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie et du ministre délégué au budget refusant de prendre les mesures nécessaires à la mise en oeuvre, au 21 novembre 2002, du mécanisme dit de la " taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers flottante " défini au d) du 2 du tableau B du I de l’article 265 du code des douanes ;

2°) d’enjoindre au ministre délégué au budget de constater, dans un délai de 15 jours, les modifications, à compter du 21 novembre 2002, des tarifs de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers (TIPP), en application des dispositions précitées de l’article 265 du code des douanes ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des douanes ;

Vu la loi n° 2002-1575 du 30 décembre 2002 portant loi de finances pour 2003 ;

Vu la loi n° 2002-1576 du 30 décembre 2002 portant loi de finances rectificative pour 2003 ;

Vu l’arrêté du 12 juillet 2002 constatant les modifications de tarifs de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers prévue à l’article 265 du code des douanes ;

Vu le code dé justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mlle Landais, Auditeur,
- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. M. et de la SCP Ancel, Couturier-Heller, avocat du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie,
- les conclusions de M. Stahl, Commissaire du gouvernement ;

Sur les conclusions à fin d’annulation :

Considérant, en premier lieu, que la qualité de consommateur de produits pétroliers, dont M. M. se prévaut, suffit à lui conférer un intérêt pour agir contre la décision implicite du ministre du budget révélée par son abstention de prendre les mesures nécessaires à la mise en oeuvre d’un mécanisme fiscal quia pour effet de limiter la hausse des prix à la consommation de certains carburants ;

Considérant, en deuxième lieu, qu’aux termes des dispositions, alors en vigueur, du d) du 2 du tableau B du I de l’article 265 du code des douanes, dans sa rédaction alors applicable : " Lorsque le cours moyen du pétrole dénommé " tirent daté " varie de plus de 10 % dans les conditions précisées au deuxième alinéa, les tarifs prévus au 1 pour les supercarburants mentionnés aux indices 11 et 11 bis, le gazole mentionné à l’indice 22 et le fioul domestique mentionné à l’indice 20 sont corrigés d’un montant égal au produit de la variation en valeur absolue de la moyenne des prix hors taxes de ces produits pétroliers et du taux de 16,388 %. Cette correction est effectuée à la baisse en cas de hausse des prix hors taxes et à la hausse dans le cas contraire./ Cette modification est effectuée le 1er octobre 2000 pour la période du 1er octobre au 30 novembre 2000 si la variation cumulée du cours moyen du pétrole " tirent daté " constatée sur la période du 1er au 15 septembre 2000 est supérieure de 10 % au cours moyen du mois de janvier 2000. La modification est effectuée le 1er décembre 2000 pour la période du 1er décembre 2000 au 20 janvier 2001 si la variation cumulée du cours moyen du pétrole " tirent daté " constatée sur la période du 1er octobre au 9 novembre 2000 est supérieure de 10 % au cours moyen de la période du mois de septembre 2000. La modification est effectuée le 21 janvier 2001 pour la période du 21 janvier au 20 mars 2001 si la variation cumulée du cours moyen du pétrole " tirent daté " constatée sur la période du 10 novembre au 31 décembre 2000 est supérieure de 10 % au cours moyen de la période du 1er octobre au 9 novembre 2000. Elle est effectuée pour les périodes ultérieures, lorsque la variation cumulée constatée au cours des bimestres suivants est supérieure de 10 % à la moyenne des prix du " tirent daté " qui a entraîné la modification précédente./ Ces modifications s’appliquent à compter du 21 du premier mois du bimestre suivant celui au titre duquel une variation de 10 % du cours du " tirent daté " a été constatée./ (...) Ces modifications ne sont plus appliquées lorsque le cours moyen bimestriel du " tirent daté " est redevenu inférieur à la moyenne constatée au titre du mois de janvier 2000./ Le ministre chargé du budget constate par arrêté les modifications de tarifs de la taxe intérieure de consommation résultant des alinéas précédents " ;

Considérant, d’une part, qu’il résulte de ces dispositions que si le législateur a entendu subordonner l’application du mécanisme fiscal, correctif appelé "TIPP flottante" à la condition que les cours du pétrole brut soient supérieurs au niveau constaté en janvier 2000, il n’a pas prévu que la baisse des cours en deçà de ce niveau entraînerait la caducité du mécanisme ; qu’ainsi, et contrairement à ce que soutiennent les ministres, les dispositions précitées du d) du 2 du tableau B du I de l’article 265 du code des douanes étaient encore applicables après le mois de mai 2001, date à laquelle les cours du pétrole brut sont, pour la première fois depuis l’entrée en vigueur du mécanisme, redevenus inférieurs au niveau atteint en janvier 2000 ;

Considérant, d’autre part, qu’il résulte des mêmes dispositions que, tant que les cours du "tirent daté" sont supérieurs au niveau atteint en janvier 2000, le ministre chargé du budget doit constater, à compter du 21 d’un mois donné, les modifications de tarifs de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers résultant de l’application du mécanisme correctif, dès lors que le cours moyen du pétrole brut constaté en moyenne sur les deux mois précédents est supérieur de plus de 10 % au cours constaté sur les deux mois ayant précédé la dernière modification de tarifs ; qu’il n’est pas contesté qu’une modification des tarifs de la TIPP est intervenue à compter du 21 juillet 2002, en vertu d’un arrêté du ministre chargé du budget du 12 juillet précédent ; qu’ainsi, et dès lors qu’il est constant que le cours moyen constaté au cours des mois de septembre et octobre 2002 était supérieur de plus de 10 % à celui constaté en mai et juin 2002 et dépassait le niveau atteint en janvier 2000, le ministre chargé du budget était légalement tenu de prendre un arrêté constatant, à compter du 21 novembre 2002, la modification des tarifs de la TIPP résultant de l’application du mécanisme correctif ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. M. est recevable et fondé à demander l’annulation de la décision implicite révélée par l’abstention du ministre chargé du budget de prendre l’arrêté constatant, à compter du 21 novembre 2002, la modification des tarifs de la TIPP qu’impliquait, en application des dispositions précitées de l’article 265 du code des douanes, la hausse des cours du pétrole brut ;

Sur les conclusions tendant à ce qu’il soit enjoint au ministre chargé du budget de prendre un tel arrêté :

Considérant qu’aux termes de l’article L.911-1 du code de justice administrative : "Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution" ;

Considérant que la présente décision, qui porte annulation du refus du ministre chargé du budget de prendre un arrêté constatant la modification, à compter du 21 novembre 2002, des tarifs de la TIPP résultant de l’application du mécanisme prévu au d) du 2 du tableau B du I de l’article 265 du code des douanes, implique nécessairement l’édiction d’une telle mesure ; qu’il y a lieu pour le Conseil d’Etat d’ordonner cette édiction dans un délai de deux mois ; que, toutefois, dès lors que le législateur a, dans la loi de finances rectificative pour 2002 du 30 décembre 2002, supprimé le mécanisme de la "TIPP flottante" à compter du 1er janvier 2003 et, dans la loi de finances initiale pour l’année 2003, fixé pour cette taxe de nouveaux tarifs applicables à compter de cette date, la modification de tarifs qui devra être constatée en application de la présente décision ne vaudra que pour la période courant entre le 21 novembre et le 31 décembre 2002 ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions et de condamner l’Etat à verser à M. M. la somme de 2 000 euros qu’il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La décision implicite révélée par l’abstention du ministre chargé du budget de prendre un arrêté constatant, à compter du 21 novembre 2002, la modification des tarifs de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers résultant de l’application du mécanisme prévu au d) du 2 du tableau B du I de l’article 265 du code des douanes est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au ministre chargé du budget de prendre, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, un arrêté constatant, pour la période allant du 21 novembre au 31 décembre 2002, la modification des tarifs de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers résultant de l’application du mécanisme prévu au d) du 2 du tableau B du I de l’article 265 du code des douanes.

Article 3 : L’Etat versera la somme de 2 000 euros à M. M. en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Didier M., au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie et au ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire.

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