Conseil d’Etat, 14 mars 2003, n° 229020, M. Y. C. M. 

Le pouvoir conféré au préfet pour l’attribution de la cartes d’identité de commerçant pour les étrangers par le décret du 28 janvier 1998 n’est pas de même nature que le pouvoir dont il disposait auparavant, sur le fondement du décret du 2 février 1939, pour apprécier, en fonction notamment d’éléments tenant à la viabilité de l’entreprise, l’opportunité de la délivrance ou du refus d’une carte de commerçant étranger. Dorénavant, le préfet ne peut porter une appréciation sur la viabilité du projet d’entreprise qu’après avoir consulté à cet effet la chambre de commerce et d’industrie ou la chambre des métiers.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 229020

M. Y. C. M.

Mlle Courrèges
Rapporteur

M. Stahl
Commissaire du gouvernement

Séance du 24 février 2003
Lecture du 14 mars 2003

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 1ère et 2ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 1ère sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête, enregistrée le 9 janvier 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par M. Y. C. M. ; M. Y. C. M. demande au Conseil d’Etat

1°) d’annuler le jugement du 13 novembre 2000 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté du 12 août 1999 du préfet de police décidant sa reconduite à la frontière ;

2°) d’annuler pour excès de pouvoir cet arrêté ;

3°) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 8 000 F (1 230 ewos) au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée ;

Vu le décret du 2 février 1939 modifié, relatif à la délivrance des cartes d’identité de commerçant pour les étrangers, ensemble le décret n° 98-58 du 28 janvier 1998 qui l’a abrogé ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mlle Courrèges, Auditeur,
- les conclusions de M. Stahl, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’aux termes de l’article 22 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945 : "I. L’étranger qui a fait l’objet d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière peut, (...) dans les sept jours lorsqu’il est notifié par voie postale, demander l’annulation de cet arrêté au président du tribunal administratif" ; qu’il ressort des pièces du dossier, et notamment de l’attestation du service postal produite en appel, que le pli recommandé contenant la décision du 12 août 1999 du préfet de police ordonnant la reconduite à la frontière de M. Y. C. M. n’a été retiré par celui-ci que le 17 août 1999 ; qu’il suit de là que c’est à tort que le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris a jugé que la demande de M. Y. C. M., enregistrée le 24 août 1999 au tribunal administratif de Paris, était irrecevable comme tardive au motif que l’arrêté contesté avait été notifié à l’intéressé le 16 août 1999 ; que, par suite, le jugement attaqué doit être annulé ;

Considérant qu’il y a lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. Y. C. M. devant le tribunal administratif de Paris ;

Considérant que le décret du 2 février 1939 relatif à la délivrance des cartes d’identité de commerçant pour les étrangers, sur lequel s’est fondé le préfet de police pour refuser à l’intéressé, par décision du 27 août 1998 dont la légalité est contestée par voie d’exception, l’autorisation de séjourner sur le territoire français en qualité de commerçant, a été abrogé par l’article 18 du décret du 28 janvier 1998 relatif aux conditions d’attribution de la carte d’identité de commerçant étranger, dont les dispositions étaient seules applicables à la date de cette décision ; qu’ainsi, le requérant est fondé à soutenir que cette dernière est entachée d’erreur de droit ;

Considérant, il est vrai, que le préfet de police, dont la décision se fonde sur des éléments de nature à mettre en cause la viabilité de l’entreprise de M. Y. C. M., soutient qu’elle trouve un fondement légal dans les dispositions de l’article 9 du décret du 28 janvier 1998 ; que, selon ce texte, les étrangers qui ne peuvent se prévaloir d’un accord ou d’une convention conclu par la France doivent notamment justifier : " (...) 1° D’un projet d’entreprise comportant au moins un budget prévisionnel pluriannuel ;/ 2° Soit d’un engagement écrit de cautionnement couvrant les besoins financiers inhérents au démarrage de l’activité projetée, pris par un établissement de crédit ou une entreprise d’assurance agréés pour se porter caution, soit d’une attestation d’un établissement de crédit ayant son siège social ou une succursale en France ou de La Poste indiquant qu’ils sont titulaires auprès de ceux-ci d’un compte dont le solde créditeur permet de couvrir ces mêmes besoins./ Le préfet apprécie au regard des éléments mentionnés ci-dessus la viabilité et la pérennité du projet d’entreprise. Il consulte à cet effet la chambre de commerce et d’industrie ou la chambre des métiers du lieu de l’implantation projetée. Elle donne un avis dans le délai de quinze jours. Passé ce délai, l’avis est réputé favorable » ;

Mais considérant que le pouvoir conféré au préfet par les dispositions précitées du décret du 28 janvier 1998 n’est pas de même nature que le pouvoir dont il disposait auparavant, sur le fondement du décret du 2 février 1939, pour apprécier, en fonction notamment d’éléments tenant à la viabilité de l’entreprise, l’opportunité de la délivrance ou du refus d’une carte de commerçant étranger ; qu’au surplus, il ressort des termes mêmes de l’article 9 du décret du 28 janvier 1998 que le préfet ne peut porter une appréciation sur la viabilité du projet d’entreprise qu’après avoir consulté à cet effet la chambre de commerce et d’industrie ou la chambre des métiers ; qu’il ne ressort pas des pièces du dossier qu’une telle consultation ait eu lieu en l’espèce ; qu’ainsi, la décision du 27 août 1998 ne peut trouver de base légale dans les dispositions du décret du 28 janvier 1998 ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la décision qui a refusé à M. Y. C. M. l’autorisation de séjourner sur le territoire français est entachée d’illégalité ; que, par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens soulevés par le requérant, celui-ci est fondé à demander l’annulation de l’arrêté en date du 12 août 1999 par lequel le préfet de police a décidé sa reconduite à la frontière ;

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l’Etat à payer à M. Y. C. M. une somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du 13 novembre 2000 du magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : L’arrêté du préfet de police du 12 août 1999 décidant la reconduite à la frontière de M. Y. C. M. est annulé.

Article 3 : L’Etat versera à M. Y. C. M. une somme de 1 200 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Y. C. M., au préfet de police et au ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales

_________________
Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article1590