Conseil d’Etat, 3 mars 2003, n° 242720, Ministre de l’intérieur c/ Compagnie Générali France assurances

La circonstance qu’un rassemblement a été organisé le 8 juin en début de soirée, suite au décès accidentel d’un jeune homme poursuivi par les forces de l’ordre, ne saurait avoir pour effet d’établir la responsabilité de l’Etat sur le fondement de l’article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales précité, dès lors que les actes de vandalisme ont eu lieu plusieurs heures après la dispersion de la manifestation et ont été le fait d’une vingtaine d’individus agissant par petits groupes de trois ou quatre personnes et de manière organisée.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 242720

MINISTRE DE L’INTERIEUR
c/ Compagnie Générali France assurances

Mlle Bourgeois
Rapporteur

Mme de Silva
Commissaire du gouvernement

Séance du 3 février 2003
Lecture du 3 mars 2003

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 2ème et 1ère sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 2ème sous-section de la Section du contentieux

Vu le recours, enregistré le 5 février 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présenté par le MINISTRE DE L’INTERIEUR ; le MINISTRE DE L’INTERIEUR demande au Conseil d’Etat d’annuler l’arrêt du 20 novembre 2001 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a, d’une part, annulé le jugement du 9 juin 1998 du tribunal administratif de Paris qui avait rejeté la demande de la Compagnie Générali France assurances tendant à ce que la responsabilité civile de l’Etat soit engagée à raison des dommages causés par les actes de violence perpétrés les 7 et 8 juin 1995 dans la ville de Noisy-le-Grand et, d’autre part, condamné l’Etat à verser à la Compagnie Générali France assurances la somme de 13 468 069 F (2 053 195,41 euros), augmentée des intérêts au taux légal à compter du 22 septembre 1995 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mlle Bourgeois, Auditeur,
- les observations de Me Cossa, avocat de la Compagnie Générali France assurances,
- les conclusions de Mme de Silva, Commissaire du gouvernement

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que Mme Anne Brosseau, adjointe au sous-directeur du conseil juridique et du contentieux du ministère de l’intérieur bénéficiait, lorsqu’elle a signé le présent recours, d’une délégation de signature en date du 8 novembre 2001, régulièrement publiée au Journal officiel de la République française le 9 novembre 2001, l’habilitant notamment à signer au nom du ministre les mémoires présentés devant la juridiction administrative ; que, par suite, la fin de non recevoir tirée de ce que le pourvoi en cassation introduit par le MINISTRE DE L’INTERIEUR n’aurait pas été signé par une personne habilitée à ce faire doit être écartée ;

Considérant qu’aux termes de l’article 92 de la loi du 7 janvier 1983, dont les dispositions sont aujourd’hui reprises à l’article L.2216-3 du code général des collectivités territoriales : « L’Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens... » ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que, dans la soirée du 7 juin 1995, une centaine de personnes se sont regroupées devant le commissariat de police de Noisy-le-Grand à la suite du décès accidentel d’un jeune homme poursuivi par les forces de l’ordre et ont procédé, à l’issue de ce rassemblement, à diverses dégradations avant de se disperser aux alentours de minuit ; qu’un second rassemblement a eu lieu le lendemain, de 19 heures à 20 heures 30, à l’appel de l’association SOS Racisme ; que, quelques heures plus tard, dans la nuit du 8 au 9 juin 1995, de nouvelles destructions ont été perpétrées à l’encontre de plusieurs bâtiments publics et à l’instigation d’une vingtaine d’individus ; qu’en énonçant que "dans la soirée du 7 au 8 juin 1995, des jeunes gens s’étaient rassemblés devant le commissariat de Noisy-le-Grand à la suite du décès accidentel d’un jeune homme poursuivi par la police ; qu’après ce rassemblement, ils s’étaient dispersés par groupes dans les quartiers des Cormiers, de Champy et de la Butte verte où ils avaient procédé à diverses destructions et dégradations de bâtiments publics...", alors que les dommages indemnisés par la Compagnie Générali France assurances résultaient des dégradations commises au cours de la nuit suivante, celle du 8 au 9 juin 1995, la cour administrative d’appel a entaché son arrêt d’inexactitude matérielle ; que, par suite, le MINISTRE DE L’INTERIEUR est fondé à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat, s’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au fond ;

Considérant qu’ainsi qu’il a été dit ci-dessus, les dommages indemnisés par la Compagnie Générali France assurances résultent des exactions perpétrées durant la nuit du 8 au 9 juin 1995 ; que la circonstance qu’un rassemblement a été organisé le 8 juin en début de soirée, en réaction à l’accident survenu la veille, ne saurait avoir pour effet d’établir la responsabilité de l’Etat sur le fondement de l’article L.2216-3 du code général des collectivités territoriales précité, dès lors que les actes de vandalisme ont eu lieu plusieurs heures après la dispersion de la manifestation et ont été le fait d’une vingtaine d’individus agissant par petits groupes de trois ou quatre personnes et de manière organisée ; que la Compagnie Générali France assurances n’est dès lors pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement du 9 juin 1998, le tribunal administratif de Paris a, pour ce motif, rejeté sa requête tendant à ce que l’Etat soit condamné à la rembourser des sommes qu’elle a versées à ses assurés ;

Sur les conclusions de la Compagnie Générali France assurances tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l’Etat, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamné à verser à la Compagnie Générali France assurances la somme qu’elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt du 20 novembre 2001 de la cour administrative d’appel de Paris est annulé.

Article 2 : Les conclusions présentées par la Compagnie Générali France assurances devant la cour administrative d’appel de Paris sont rejetées.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE L’INTERIEUR, DE LA SECURITE INTERIEURE ET DES LIBERTES LOCALES et à la Compagnie Générali France assurances.

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