Conseil d’Etat, 13 décembre 2002, n° 223151, Ministre de l’équipement, des transports et du logement c/ M. Pierre L.

L’abandon de poste est caractérisé dès lors que le fonctionnaire, en refusant de rejoindre son poste sans raison valable, se place dans une situation telle qu’elle rompt le lien entre l’agent et son service. Est sans incidence sur cette situation la circonstance que le fonctionnaire a déclaré son intention de ne pas quitter définitivement le service.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 223151

MINISTRE DE L’EQUIPEMENT, DES TRANSPORTS ET DU LOGEMENT
c/ M. L.

Mlle Bourgeois
Rapporteur

Mme de Silva
Commissaire du gouvernement

Séance du 25 novembre 2002
Lecture du 13 décembre 2002

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 2ème et 1ère sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 2ème sous-section de la Section du contentieux

Vu le recours, enregistré le 17 juillet 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, du MINISTRE DE L’EQUIPEMENT, DES TRANSPORTS ET DU LOGEMENT ; le MINISTRE DE L’EQUIPEMENT, DES TRANSPORTS ET DU LOGEMENT demande au Conseil d’Etat d’annuler l’arrêt du 4 mai 2000 de la cour administrative d’appel de Nancy en tant qu’il a, d’une part, annulé le jugement n°S 891875-911363-911364-912249 en date du 15 novembre 1995 du tribunal administratif de Strasbourg en ce qu’il avait rejeté les conclusions de M. L. tendant à l’annulation de l’arrêté du 19 mars 1991 prononçant son licenciement pour abandon de poste et, d’autre part, annulé le jugement n° 912011 en date du 15 novembre 1995 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande de M. L. tendant à l’annulation de la décision du 17 juin 1991 du ministre la fonction publique et de la modernisation de l’administration refusant son inscription au concours interne des instituts régionaux d’administration ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mlle Bourgeois, Auditeur,
- les observations de la SCP Monod, Colin, avocat de M. L.,
- les conclusions de Mme de Silva, Commissaire du gouvernement ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen du recours ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qui M. L., assistant technique des travaux publics de l’Etat à la direction départementale de l’équipement de la Moselle, a été placé en position de disponibilité pour convenance personnelle à compter du 29 juillet 1990 pour une durée de deux mois, prolongée de deux mois supplémentaires ; qu’après avoir repris son service à la direction départementale de l’équipement le 3 décembre 1990, il a quitté son poste sans autorisation le 6 décembre suivant en déclaras vouloir poursuivre un stage de formation professionnelle qu’il avait commencé trois mois plutôt ; qu’un premier courrier lui a été adressé le 12 décembre 1990 par le directeur départemental de l’équipement, l’invitant à justifier son absence et à régulariser sa situation ; qu’en l’absence de toute réponse de sa part, une mise en demeure lui enjoignant de rejoindre son poste sous peine d’être licencié pour abandon de poste lui a été envoyée le 21 décembre suivant ; que M. L. s’est borné à indiquer, par un courrier en date du 27 décembre 1990, qu’il s’estimait en congé de formation professionnelle jusqu’à la fin du mois d’août 1991 ; qu’un troisième courrier, resté sans réponse, lui a été adressé le 22 janvier 1991 ; que, par un arrêté en date du 19 mars 1991, le MINISTRE DE L’EQUIPEMENT, DES TRANSPORTS ET DU LOGEMENT l’a licencié pour abandon de poste ;

Considérant que l’abandon de poste est caractérisé dès lors que le fonctionnaire, en refusant de rejoindre son poste sans raison valable, se place dans une situation telle qu’elle rompt le lien entre l’agent et son service ; qu’est sans incidence sur cette situation la circonstance que le fonctionnaire a déclaré son intention de ne pas quitter définitivement le service ; que la cour administrative d’appel de Nancy a, par suite, commis une erreur de droit en jugeant que l’envoi, par M. L., d’un courrier à son administration indiquant qu’il envisageai de reprendre ses fonctions à l’issue de son stage, soit plus de huit mois après avoir quitté son poste, démontrait qu’il n’avait pas rompu tout lien avec le service ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le MINISTRE DE L’EQUIPEMENT, DES TRANSPORTS ET DU LOGEMENT est fondé à demander l’annulation des articles 1 à 5 de l’arrêt attaqué ;

Considérant qu’aux termes de l’article L.821-2 du code de justice administrative : "le Conseil d’Etat, s’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l’espèce, il a y lieu, dans la mesure indiquée ci-dessus, de régler l’affaire au fond ;

Sur les conclusions dirigées contre l’arrêté du 19 mars 1991

Sur les fins de non-recevoir soulevées par le MINISTRE DE L’EQUIPEMENT, DES TRANSPORTS ET DU LOGEMENT

Considérant que la notification de l’arrêté du 19 mars 1991 ne comportait pas l’indication des voies et délais de recours ouverts contre cette décision ; que, dans ces conditions, la notification effectuée n’a pas été de nature à faire courir le délai de recours contentieux ; que, dès lors, la demande de M. L. tendant à l’annulation dudit arrêté, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Strasbourg le 23 septembre 1991, n’était pas tardive ;

Sur la légalité de l’arrêté du 19 mars 1991

Considérant que l’arrêté du 19 mars 1991 par lequel le MINISTRE DE L’EQUIPEMENT, DES TRANSPORTS ET DU LOGEMENT a licencié M. L. n’est pas motivé ; que si cet arrêté vise la lettre du 22 janvier 1991 par laquelle le directeur départemental de l’équipement a notifié à l’intéressé son intention de le licencier pour abandon de poste, en lui faisant connaître les raisons de cette décision, la mention de cette lettre, dont l’arrêté attaqué ne reprend pas les motifs et dont le texte ne lui était pas annexé, ne saurait être regardée comme suffisante au regard des exigences posées par la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs ; que M. L. est dès lors fondé à soutenir que c’est à tort que, par son jugement en date du 15 novembre 1995, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de l’arrêté du 19 mars 1991 ;

Sur les conclusions tendant à ce qu’il soit enjoint au MINISTRE DE L’EOUIPEMENT, DES TRANSPORTS ET DU LOGEMENT de le réintégrer et de reconstituer sa carrière

Considérant qu’il résulte de l’instruction que, par deux arrêtés du MINISTRE DE L’EQUIPEMENT, DES TRANSPORTS ET DU LOGEMENT en date des 26 juin 2000 et 10 juillet 2000, M. L. a été reclassé dans son grade d’assistant technique des travaux publics de l’Etat à compter du 1er mai 1990 et sa carrière administrative reconstituée à compter du 1er juillet 1995 ; qu’il n’y a, dès lors, plus lieu de statuer sur les conclusions de M. L. tendant à sa réintégration et à la reconstitution de sa carrière ;

Sur les conclusions tendant à la réparation du préjudice causé par l’arrêté du 19 mars 1991

Considérant que si M. L. a demandé, dans sa requête introductive d’instance, la réparation des préjudices résultant de l’arrêté du 19 mars 1991, il n’a cependant pas contesté la fin de non-recevoir soulevée par le MINISTRE DE L’EQUIPEMENT, DES TRANSPORTS ET DU LOGEMENT à l’encontre de ses conclusions indemnitaires tirée de l’absence de demande préalable ; qu’ainsi, le contentieux n’étant pas lié, lesdites conclusions sont irrecevables ;

Sur les conclusions dirigées contre la décision du 17 juin 1991

Considérant que la décision du 17 juin 1991 du ministre de la fonction publique et de la modernisation de l’administration refusant l’inscription de M. L. au concours interne des instituts régionaux d’administration se fondait exclusivement sur l’arrêté du 19 mars 1991 prononçant son licenciement ; que, par suite, M. L. est fondé à soutenir que c’est à tort que, par son jugement en date du 15 novembre 1995, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l’annulation de ladite décision ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L.761-1 du code de justice administrative

Considérant qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions précitées et de condamner l’Etat à payer à M. L. la somme qu’il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Les articles 1, 2, 3, 4 et 5 de l’arrêt du 4 mai 2000 de la cour administrative d’appel de Nancy sont annulés.

Article 2 : Le jugement n°S 891875-911363-911364-912249 du tribunal administratif de Strasbourg en date du 15 novembre 1995 est annulé en tant qu’il a rejeté les conclusions de M. L. tendant à l’annulation de l’arrêté du 19 mars 1991 du MINISTRE DE L’EQUIPEMENT, DES TRANSPORTS ET DU LOGEMENT.

Article 3 : Le jugement n° 91-2011 en date du 15 novembre 1995 du tribunal administratif de Strasbourg est annulé.

Article 4 : L’arrêté du MINISTRE DE L’EQUIPEMENT, DES TRANSPORTS ET DU LOGEMENT en date du 19 mars 1991 est annulé.

Article 5 : La décision du ministre de la fonction publique et de la modernisation de l’administration en date du 17 juin 1991 est annulée.

Article 6 : Les conclusions de M. L. tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 7 : Le surplus des conclusions présentées par M. L. devant la cour administrative d’appel de Nancy est rejeté.

Article 8 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE L’EQUIPEMENT, DES TRANSPORTS, DU LOGEMENT, DU TOURISME ET DE LA MER, à M. Pierre L. et au ministre de la fonction publique, de la réforme de l’Etat et de l’aménagement du territoire.

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