Conseil d’Etat, 6 décembre 2002, n° 231868, Mme Marie M. et autres

Dans tous les cas où un dépassement du plafond des dépenses électorales a été constaté par une décision définitive, la commission fixe alors une somme égale au montant du dépassement que le candidat est tenu de verser au Trésor public. Eu égard à la nature de cet ordre de versement qui constitue une sanction administrative à caractère pécuniaire et au principe de personnalité des peines qui en découle, cette circonstance faisait obstacle à ce qu’une telle sanction fût mise à la charge de ses ayants droits.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 231868

Mme M. et autres

Mlle Bourgeois
Rapporteur

Mme Prada Bordenave
Commissaire du gouvernement

Séance du 30 octobre 2002
Lecture du 6 décembre 2002

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 2ème et 1ère sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 2ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 28 mars 2001 et 26 juillet 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour Mme Marie M. et autres ; Mme M. et autres demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris en date du 25 janvier 2001 en tant qu’il a rejeté leur requête tendant à l’annulation du jugement du tribunal administratif de Paris du 6 juillet 1998 qui a rejeté leur demande tendant à l’annulation de la décision du 14 mars 1997 par laquelle la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a fixé à 2 566 800 F (391 306,14 euros) le montant de la somme à verser au Trésor public par M. Jean M. et ses ayants droit ;

2°) de condamner l’Etat à leur verser la somme de 35 000 F (5 335,72 euros) au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée le 4 novembre 1950 ;

Vu le code électoral ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mlle Bourgeois, Auditeur,
- les observations de la SCP Peignot, Garreau, avocat de Mme M. et autres,
- les conclusions de Mme Prada Bordenave, Commissaire du gouvernement ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête ;

Considérant qu’aux termes du dernier alinéa de l’article L.52-15 du code électoral : « Dans tous les cas où un dépassement du plafond des dépenses électorales a été constaté par une décision définitive, la commission fixe alors une somme égale au montant du dépassement que le candidat est tenu de verser au Trésor public. Cette somme est recouvrée comme les créances de l’Etat étrangères à l’impôt et au domaine. » ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumises aux juges du fond que, par une décision du 30 octobre 1996, n° 177354, le Conseil d’Etat, statuant au contentieux, a constaté que le compte de campagne de M. Jean M., candidat tête de liste aux élections municipales de Boulogne-sur-Mer des 11 et 18 juin 1995, faisait apparaître, après réformation, un dépassement de 2 566 800 F (391 306,14 euros) du plafond des dépenses électorales ; qu’en application des dispositions précitées de l’article L. 52-15 du code électoral, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a, par une décision du 14 mars 1997, réclamé "à M. M. et à ses ayants droit" le versement au Trésor public d’une somme égale au montant du dépassement constaté par la décision définitive du juge de l’élection ; que M. M. est décédé le 9 octobre 1996, soit avant l’intervention de la décision de la commission ; qu’eu égard à la nature de cet ordre de versement qui constitue une sanction administrative à caractère pécuniaire et au principe de personnalité des peines qui en découle, cette circonstance faisait obstacle à ce qu’une telle sanction fût mise à la charge de ses ayants droit ; que, par suite, en retenant que la commission avait pu légalement réclamer aux ayants droit de M. M. la somme correspondant au montant des dépenses effectuées en dépassement du plafond des dépenses électorales autorisées, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit ; que, dès lors, Mme M. et autres sont fondés à demander, pour ce motif, l’annulation de l’arrêt attaqué ;

Considérant qu’aux termes de l’article L.821-2 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat, s’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort "peut régler l’affaire au fond" si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au fond ;

Considérant que, pour les motifs indiqués ci-dessus, Mme M. et autres sont fondés à soutenir que c’est à tort que, par un jugement en date du 6 juillet 1998, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à l’annulation de la décision en date du 14 mars 1997 de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de condamner l’Etat à payer à Mme M. et autres la somme de 5 000 euros au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris en date du 25 janvier 2001 est annulé.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 6 juillet 1998 est annulé.

Article 3 : La décision de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques en date du 14 mars 1997 est annulée.

Article 4 : L’Etat versera à Mme M. et autres la somme de 5 000 euros au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.

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Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article1434